Mes chers lecteurs, je suis obligé de vous l’avouer, j’ai de plus en plus de mal à écrire mes papiers. Non que j’aie moins d’idées, rassurez-vous, j’en ai toujours autant. Mais ce sont de plus en plus des idées noires, et j’ai toujours quelque scrupule à transmettre mon vague à l’âme à mes lecteurs. Comme disent les anglais, il faut rire avec les autres, mais si on veut pleurer, mieux vaut pleurer tout seul.
C’est que le monde, voyez-vous, ne me donne pas beaucoup de sujets de joie. J’aurais par exemple pu écrire un papier humoristique sur l’audition de François Bayrou devant la commission parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires. Et puis, je me suis dit, à quoi bon ? Cette audition ne nous a pas appris sur notre premier ministre rien qu’on ne sut déjà. On a pu voir un homme borné, un notable local sans envergure, un personnage incapable de la moindre introspection, de la moindre prise de distance, du moindre doute quant à ses propres choix. Pire : un homme qui, devant une mise en cause, n’a d’autre ressource que de chercher à intimider ses interlocuteurs. Penser qu’aujourd’hui c’est ce genre d’homme qui, en théorie, détermine et conduit la politique de la nation a de quoi déprimer l’optimiste le plus endurci. Et je ne parle même pas d’un président de la République française faisant la « une » des journaux du monde entier pour s’être fait gifler par sa femme à sa descente d’avion lors d’un déplacement international.
Il serait vain d’aller chercher une consolation dans les affaires internationales. Bien entendu, il ne faut pas idéaliser le passé. Le monde post 1945 n’était pas moins brutal que celui dans lequel nous vivons. La guerre froide a vu s’opposer deux blocs, chacun prêt à tout – et je dis bien tout – pour se protéger d’une menace qu’ils considéraient tous deux comme vitale. Mais le profond traumatisme des deux guerres mondiales avait fait naître dans les opinions publiques une exigence d’une autre morale publique. Le « plus jamais ça » a fait de la guerre froide une confrontation éthique autant que militaire, ou chaque bloc, tout en ayant recours aux méthodes les plus brutales, se sentait obligé de maintenir la fiction publique de son adhésion à certaines valeurs. D’un côté comme de l’autre, et sous des formes différentes, on a muselé les opposants, on a emprisonné, on a torturé, on a tué. Mais on ne pouvait pas se permettre de faire apparaître publiquement des actes remettant en cause une forme de morale internationale. Lorsqu’une puissance bombardait, torturait, tuait, il fallait le faire discrètement, ou bien par personne interposée. La théorie de la « plausible deniability » – l’expression apparaît au sein de la CIA dans les années 1950 et sera plus tard utilisée par Henry Kissinger – illustre parfaitement ce point.
Avec la chute du mur, ce système se dérègle. Les principes que le camp occidental proclamait comme sacrés – la souveraineté des nations, l’intangibilité des frontières, l’intégrité des personnes – ont été piétinés publiquement et sans fard. En 1999, plusieurs pays membres de l’OTAN bombardent ouvertement Belgrade, avec le but proclamé de détacher de la Serbie une province historiquement serbe, le Kossovo, et cela en violation flagrante des principes proclamés depuis 1945. En 2001, le « monde libre » regarde sans réagir la création du camp de Guantanamo et les « extraordinary renditions », système dans lequel des personnes sont détenues, emprisonnées, torturées sur simple décision administrative est sans aucune garantie procédurale. En 2003, les troupes américaines envahissent un pays souverain, renversent son gouvernement et établissent un régime proconsulaire, là encore sans se cacher. Aurait-on pu faire pareil dans les années 1960 ?
Et aujourd’hui, on en arrive au pire. Devant nous, à Gaza, a lieu ce qu’il faut bien qualifier, sauf à priver les mots de leur sens, de génocide. Et j’utilise à dessein ce terme qui fait si peur aux politiques, parce que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Le génocide est défini à l’article 2 du « traité pour la prévention du crime de génocide » de 1949, dont la France est signataire, de la manière suivante : « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
A Gaza aucun doute n’est permis, tant en ce qui concerne les actes, que l’intention de ceux qui les ordonnent. Les déclarations publiques des dirigeants israéliens ne laissent aucun doute à ce sujet. « Nous lançons maintenant la Nakba de Gaza », proclame Avi Dichter, ministre de l’agriculture. Le vice-président de la Knesset, Nissim Vaturi, appelle à « effacer la bande de Gaza de la surface de la terre ». L’ancien major général de l’armée israélienne, Giora Eiland, déclare que « L’Etat d’Israël n’a pas d’autre choix que de faire de Gaza un lieu où il sera temporairement, ou pour toujours, impossible de vivre ». Le but, on ne s’en cache pas, est le nettoyage ethnique de la bande de Gaza : « Si nous ne voulons pas que nos petits-enfants et les petits-enfants de nos petits-enfants se battent dans Gaza, nous devons suivre la vision de Trump (…). Nous devons être certains que Gaza est vide des Gazaouis. C’est la seule manière pour que nous ne versions pas notre sang pendant des dizaines d’années. ».
Et quelle est la réaction des « grandes démocraties » ? Que fait cette Union européenne, qu’on nous présente comme une « union des valeurs » ? Du bavardage. Chaque jour, on entend ces rodomontades remplies de mots comme « barbare » et « inacceptable ». Mais dès qu’il s’agit des actes, on ne trouve plus rien. Il n’a pas fallu trois mois après l’invasion de l’Ukraine pour que l’Union européenne prenne des sanctions contre la Russie. Il a fallu dix-neuf mois de bombardements, de destructions, de déplacement de populations à Gaza pour que la Commission décide qu’il serait peut-être opportun d’examiner la possibilité de réviser l’accord d’association avec Israël, examen qui à n’en pas douter prendra des années si tant est qu’il aboutisse à quelque chose d’autre qu’une déclaration indignée et des mesures symboliques. Des sanctions ? Vous n’y pensez pas. Certains gouvernements européens – dont le nôtre, honte à nous – ont même cru nécessaire de rassurer Netanyahu sur le fait que sa mise en examen par la CPI ne l’empêcherait pas de leur rendre visite. Un discours d’autant plus choquant qu’il vient des mêmes quartiers qui ont exigé la mise en accusation de Poutine devant la même Cour.
Si l’on veut comprendre le monde d’aujourd’hui, il faut relire « 1984 » de Georges Orwell. Tout s’y trouve : la surveillance des « télécrans », qui se matérialise dans ces réseaux sociaux à qui nous confions volontairement notre intimité ; cette « novlangue » appauvrie qu’est le « globish », de plus en plus présente dans nos échanges ; la réécriture de l’histoire qui fait d’un Bandera un héros de la liberté et de Staline un complice de Hitler ; l’ensemble euro-atlantique qui ressemble de plus en plus à l’Océania orwellienne ; le néo-puritanisme qui prétend bannir la sensualité de nos vies. L’idée qu’on peut être à la fois une « union des valeurs » et laisser piétiner ces mêmes valeurs sans réagir, n’est-ce pas une version moderne du « deux plus deux peuvent faire cinq » ?
La seule chose qu’Orwell n’ait pas anticipée – et elle n’était pas facile à voir dans le monde de 1949, quand il écrit son roman – c’est que pour imposer cette société, point besoin d’un dictateur. Que les matraques et les exécutions n’étaient nullement nécessaires, du moins pas massivement. Que l’évolution naturelle du capitalisme conduisait, par des voies détournées mais terriblement efficaces, à une société de cette nature. Que l’éclatement de la société sous la pression d’une concurrence exacerbée ne peut conduire qu’à la recherche d’un ennemi extérieur, seul élément capable de rétablir une forme d’unité. Que l’incertitude créée par ce type de société ne peut générer en réaction qu’une demande de surveillance, de contrôle. Que cette concurrence pousse à terme à l’abandon de tout ce qui ne contribue pas directement à la performance immédiate. Pourquoi chercher une expression soignée, une langue riche, alors que six-cents mots suffisent pour négocier un contrat ou répondre à un client ?
Notre indifférence – oui, j’ai bien écrit « indifférence » – à la tragédie qui se joue à Gaza témoigne du fait que le processus initié dans les années 1980 avec la révolution néolibérale est arrivé à son aboutissement. L’idéologie progressiste et généreuse qui, à l’est comme à l’ouest, a structuré le monde de l’après 1945, n’est même plus un souvenir. Mais il serait erroné de croire que nous serions revenus au monde d’avant. Ce fameux « retour aux années 1930 » dont on nous rabat les oreilles est une illusion, tout simplement parce que les rapports de production – et ce sont eux qui déterminent en dernière instance les rapports sociaux – ne sont pas du tout les mêmes. Les années 1930, c’est une bourgeoisie à base nationale puissante, des classes intermédiaires faibles, une classe ouvrière organisée et crainte par les classes dominantes. Un siècle plus tard, nous avons une bourgeoisie internationalisée, des classes intermédiaires puissantes, une classe ouvrière marginalisée. En 1930, les populistes étaient l’instrument de la bourgeoisie pour contrer les partis ouvriers. Aujourd’hui, ils sont au contraire perçus comme l’instrument pour les couches populaires de contester le pouvoir du bloc dominant. On n’est donc pas sur un retour en arrière, mais sur une fuite en avant. Cette fuite en avant fait que des choses qui étaient impensables depuis 1945 deviennent à nouveau concevables. Qui aurait pu prévoir en 1945 que l’Etat construit par les survivants de la Shoah serait, quatre-vingt ans après la libération d’Auschwitz, en train de parquer, de bombarder et d’affamer une population civile en attendant de pouvoir la déporter ailleurs, le tout dans l’indifférence générale ?
Difficile de ne pas évoquer à ce propos le naufrage de la « génération morale », celle qui domine la scène intellectuelle dans les années 1980 et 90. Celle qui, par idéalisme quelquefois, par anticommunisme souvent, a accompagné la révolution néolibérale sans se poser des questions. Et qui, avec les meilleures intentions du monde, a pavé la voie des Talibans en Afghanistan, des mollahs en Iran, des cléricaux en Pologne, des admirateurs de Bandera en Ukraine. Il y a bien entendu ceux qui, comme Bernard-Henri Lévy, nient l’évidence. Il y en a d’autres qui sont plus lucides. J’ai à titre personnel la plus grande estime pour des gens comme Elie Barnavi, par exemple. C’est un homme intelligent, cultivé. Aujourd’hui, il exprime une analyse parfaitement lucide de la dérive de la société israélienne. Le problème, c’est que ces dérives ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont aussi la conséquence de l’idéalisme de gens qui, comme Barnavi lui-même, alors qu’il était encore temps et qu’ils en avaient les moyens, se sont contentés de bonnes paroles et n’ont pas agi de manière décisive pour protéger le processus d’Oslo. Et ne parlons même pas d’un Finkielkraut, intellectuel que j’admire par ailleurs, mais qui reste prisonnier d’un réflexe communautaire, ce qui l’empêche de voir ce qu’Israël est devenu en réalité et ce qu’il fait sur le terrain, et qui continue à s’autoconvaincre que les dirigeants israéliens – pourtant élus et réélus démocratiquement – ne représentent pas le pays « profond » et que la dénonciation des crimes contre l’humanité commis à Gaza est une manifestation d’antisémitisme.
Difficile aussi de ne pas évoquer ceux qui, à l’inverse, cherchent à exploiter les réflexes communautaristes. D’un côté, et ce sont les mieux installés, ceux qui cherchent du côté de la « communauté juive » à susciter le réflexe de forteresse assiégée en assimilant toute critique de l’Etat d’Israël à l’antisémitisme. Cette technique n’est pas nouvelle, et a toujours compté avec le soutien actif des officines israéliennes ou tout simplement sionistes, qui y voient leur avantage à l’heure d’obtenir un soutien inconditionnel des juifs de la Diaspora, et susciter des vocations d’émigration vers ce qu’on appelle abusivement la terre promise. Elle repose sur une exploitation habile de la culpabilité européenne après la Shoah, et du traumatisme qu’elle fut pour les juifs d’Europe. De l’autre côté, certains à l’extrême gauche, soutenus avec enthousiasme par les milieux islamistes, essayent d’utiliser les horreurs de Gaza pour capter la « communauté musulmane » par identification, en faisant le parallèle abusif entre la souffrance des gazaouis et leur propre situation en France et en exploitant le victimisme qui en résulte. Ces deux discours, il faut bien le comprendre, se renforcent mutuellement : plus les dirigeants français proclameront leur « soutien indéfectible » aux actions de l’Etat d’Israël, et plus leur action – nécessaire – contre l’islamisme politique apparaîtra comme une forme de bombardement de Gaza en miniature. Et à l’inverse, plus les drapeaux palestiniens seront brandis dans les manifestations où ils n’ont rien à faire ou dans l’enceinte de l’Assemblée, et plus la communauté juive donnera crédit aux discours d’une montée de l’antisémitisme. Les politiciens qui s’engagent dans cette voie – souvent à droite pour capter le « vote juif », plutôt à gauche pour capter le « vote musulman » – nous préparent des lendemains qui pleurent. Ils prennent le risque de faire apparaître un « vote communautaire » qui à terme les asservira eux-mêmes à la dynamique du conflit entre communautés.
Finalement, cher lecteur, j’aurais mieux fait d’écrire un article sur l’audition de Bayrou. Parce que Bayrou, aussi désastreux soit-il, est mortel. Dans quelques années, il aura disparu du paysage et ce sera tant mieux pour nous tous. On peut donc, à ce propos, rester optimiste. Tandis que le génocide qui a lieu aujourd’hui à Gaza sera, lui, une tache indélébile sur notre front à tous.
PS: depuis la publication de ce papier, j’ai pu lire une excellente tribune de Ehoud Olmert, ancien premier ministre d’Israel (“Le Monde”, 4/5/2025) dans laquelle on peut lire: « J’ai saisi toutes les occasions possibles de rappeler la distinction entre ce dont on [les israéliens] nous accusait – un génocide et des crimes de guerre – et l’intolérable désastre humain dont nous étions responsables. La première accusation, je la rejetais, pour la seconde, je reconnaissais les torts d’Israël. Depuis quelques semaines, cependant, cette distinction m’apparaît dépassée. La guerre que nous menons à présent à Gaza est une guerre de dévastation : le massacre aveugle, cruel, sans limites aucunes, de la population civile. Ces violences ne sont pas le résultat d’une quelconque perte de contrôle ou des excès de certains soldats d’unités isolées. Elles résultent directement de la politique du gouvernement israélien : une politique irresponsable, intentionnellement meurtrière. » (c’est moi qui souligne). Tout est dit.
Descartes
@Descartes,
désolé, mais je ne partage pas du tout ce fardeau, et ce pour deux raisons.
La première raison se résume à la question suivante: pourquoi ne pas non plus le porter pour les morts du Kivu au Congo-Kinshasa, la guerre la plus meurtrière du XXIè siècle, et dont tout le monde se fout éperdument? Il est probable que c’est parce qu’à l’instar de Benjamin Netanyahou, ce conflit soit à l’instigation de Paul Kagamé, autre homme-lige des Américains et francophobe enragé…
D’un point de vue personnel, je n’ai ni plus ni moins d’empathie pour les Congolais que pour les Palestiniens…
La deuxième raison, c’est tout bonnement la résignation: le conflit israélo-palestinien dure depuis plus trois-quarts de siècle, et personne n’a vraiment cherché à faire la paix, sauf en 1993 avec le processus d’Oslo. Malheureusement, ce dernier a été rapidement mis dans le coma avec l’assassinat en novembre 1995 d’Itzak Rabbin par un Juif (et non un Palestinien) et définitivement liquidé après la mort de Yasser Arafat en 2004 (mort que certains estime éminemment suspecte…).
Pour filer une métaphore cinématographique, ce conflit, c’est vraiment “Highlander”: il n’en restera qu’un…
La société israélienne ne souhaite pas vraiment la paix, sinon elle n’aurait pas installé à sa tête des impérialistes comme Netanyahou, qui ont fermé toute possibilité de discussion de paix en marginalisant le Fatah et en soufflant dans les voiles du Hamas, qui est sa créature. Et surtout, les Palestiniens ne sont pas non plus des anges, surtout quand on compile toutes les exactions commises par les réfugiés dans les divers pays arabes qui les ont recueillis depuis 80 ans: ils ont une image désastreuse auprès de leurs “frères arabes”… Qui persiste aujourd’hui avec les
razziasmanifestions pro-palestiniennes qui tiennent du sac des villes occidentales que des protestations pacifiques et non-violentes à la Gandhi…@ CVT
[désolé, mais je ne partage pas du tout ce fardeau, et ce pour deux raisons.
La première raison se résume à la question suivante : pourquoi ne pas non plus le porter pour les morts du Kivu au Congo-Kinshasa, la guerre la plus meurtrière du XXIè siècle, et dont tout le monde se fout éperdument ?]
Parce que, cela ne vous aura pas échappé, l’Union européenne n’a pas conclu un accord d’association avec l’un des belligérants. Parce qu’aucun dirigeant français n’a proclamé son « soutien indéfectible » à l’un ou à l’autre camp. Parce que les armées occidentales ne participent pas à la protection militaire de l’une des parties au conflit et ne fournissent pas armement et assistance a hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Parce que les pays européens ont pris de sanctions et sont intervenus à différents moments pour essayer de faire cesser le conflit.
Si Israël ne pouvait pas compter sur le « soutien indéfectible » du monde occidental, ses dirigeants seraient obligés à établir avec leurs voisins des rapports moins hostiles, et donc de faire des concessions. Notre soutien et donc instrumental à la tragédie de Gaza, alors qu’il est pour le moins marginal dans le conflit du Kivu. Je sais bien que ce « nous » est un peu abusif, parce que ni vous ni moi à titre personnel n’avons pris la décision de soutenir inconditionnellement Israël. Mais en tant que citoyen, j’assume jusqu’à un certain point les fautes de mon pays.
[La deuxième raison, c’est tout bonnement la résignation: le conflit israélo-palestinien dure depuis plus trois-quarts de siècle, et personne n’a vraiment cherché à faire la paix, sauf en 1993 avec le processus d’Oslo. Malheureusement, ce dernier a été rapidement mis dans le coma avec l’assassinat en novembre 1995 d’Itzak Rabbin par un Juif (et non un Palestinien) et définitivement liquidé après la mort de Yasser Arafat en 2004 (mort que certains estime éminemment suspecte…).
Pour filer une métaphore cinématographique, ce conflit, c’est vraiment “Highlander”: il n’en restera qu’un…]
Mais si « personne n’a vraiment cherché à faire la paix », c’est aussi parce que la logique occidentale a encouragé la partie la plus puissante, c’est-à-dire, les israéliens, à ne faire aucune concession en les assurant d’une aide massive et, surtout, inconditionnelle. Et cette inconditionnalité saute aux yeux aujourd’hui, puisqu’alors même qu’un génocide est commis à Gaza, personne n’ose imaginer une remise en cause de ce soutien.
[La société israélienne ne souhaite pas vraiment la paix, sinon elle n’aurait pas installé à sa tête des impérialistes comme Netanyahou, qui ont fermé toute possibilité de discussion de paix en marginalisant le Fatah et en soufflant dans les voiles du Hamas, qui est sa créature.]
La société israélienne est une société très dysfonctionnelle. Un des problèmes est que l’Etat a été fondé sur deux fictions qui aujourd’hui empêchent de comprendre les problèmes, et donc de les traiter. La première est la fiction « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre », qui empêche de comprendre que la construction d’Israël s’est faite sur la négation des droits d’un peuple déjà installé dans la région. La seconde est celle d’un « peuple juif » qui n’a jamais existé. Déjà dans les temps bibliques, les juifs ont été divisés entre eux, et depuis le début de la Diaspora il y a eu une divergence considérable entre les juifs d’Europe occidentale, ceux d’Europe orientale, ceux de l’Afrique du nord, ceux du Levant, sans compter avec les communautés iraniennes ou somaliennes. Remettre tout ce monde ensemble crée des tensions qu’Israël n’arrive à gérer que grâce à l’existence d’un ennemi commun. Faites la paix avec les palestiniens, et vous aurez la guerre civile entre israéliens.
[Et surtout, les Palestiniens ne sont pas non plus des anges, surtout quand on compile toutes les exactions commises par les réfugiés dans les divers pays arabes qui les ont recueillis depuis 80 ans: ils ont une image désastreuse auprès de leurs “frères arabes”…]
Oui, mais souvent pour de mauvaises raisons. Par exemple, parce que les palestiniens sont nettement moins pratiquants que leurs « frères arabes », et beaucoup plus modernes en termes politiques, ce qui les a conduit souvent à contester les monarchies théocratiques…
Cela étant dit, je suis d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de saints en politique. Mais les Israéliens, avec la bénédiction des occidentaux – avec de rares et honorables exceptions, dont la France – se sont évertués à affaiblir les mouvements les plus progressistes, les plus laïques, les plus ouverts, pour privilégier les mouvements islamistes et rétrogrades comme le Hamas.
[j’ai toujours quelque scrupule à transmettre mon vague à l’âme à mes lecteurs]
Oh non ! Continuez à écrire, même des billets déprimés. Ils ne sont pas si déprimants que cela, car ils sont écrits avec coeur et discernement. A une époque où les textes écrits avec ces qualités sont si rares, c’est vraiment réconfortant de vous lire.
J’ai à peine commencé à lire votre article, et j’ai arrêté pour une urgence : NON, n’arrêtez surtout pas de nous écrire vos analyses, qu’il vente, qu’il pleuve, ou qu’il fasse beau. N’arrêtez pas. Contre vents et marrées !Vous êtes un des rares endroits où on apprend vraiment à mieux comprendre les choses politiques. On peut être d’accord (souvent) ou pas (ça arrive) avec vous, mais toujours, on apprend ! Et ça, ça n’a pas de prix. Dans un monde où le débat politique atteint des fonds abyssaux (terrifiants !), vous n’avez pas le droit d’arrêter, tant que vos doigts peuvent taper sur un clavier. C’est de votre faute : vous nous avez rendu addicts à ces moments d’aération, d’oxygénation, de désintoxication, de saine réflexion… du coup, vous n’avez plus le droit de nous laisser tomber ! Je dirais même plus : c’est quand la tempête rugit, quand le monde avance sur une ligne de crête incroyablement dangereuse (la plus dangereuse depuis la 2eme GM), qu’il faut plus que jamais essayer de comprendre, de s’élever…
Bon, maintenant que j’ai poussé mon cri, je continue ma lecture…
Bien vu, mais encore un effort.
Vous n’incluez-pas le tout pour le tout planétaire
des assesseurs du prophète.
@ Gérard Georges
[Vous n’incluez-pas le tout pour le tout planétaire des assesseurs du prophète.]
Quel rapport ? A Gaza, un génocide est en cours. Et le monde occidental, qui n’arrête pas de parler de “valeurs”, ne fait rien – quand il ne soutient pas les génocides. C’est là le problème qu’il me semblait important de traiter. Et dans cette question, “le tout planétaire des assesseurs du prophète” n’a guère d’importance.
Merci. C’est pour de tels textes que je lis votre blog avec assiduité…
Après une telle lecture, tout commentaire semble vain et superflu. Je préfère donc changer de sujet. Peut-être est-ce une forme de lâcheté ?…
Que pensez-vous de ceci :
[Jacques Delors, [lors d’une] entrevue avec Craig Stapleton [ambassadeur des Etats-Unis en France de 2005 à 2009] en décembre 2005, [a dit que] “le peuple français est à la fois traumatisé par son rôle réduit dans le monde et arrogant quant à sa vocation et sa capacité uniques à apporter des valeurs positives au monde. La combinaison de ce traumatisme et de cette arrogance, a-t-il dit, est à l’origine d’une schizophrénie toxique. Il a notamment fustigé, en les qualifiant de dangereux, ceux qui “sont tentés d’exalter l’importance de la France sur la scène mondiale”.]
Mais après tout, peut-être y a-t-il un lien (ténu) entre les obscénités de feu M. Delors et la situation à Gaza : toute l’action de nos classes dirigeantes tend (consciemment ou non ; M. Delors relevait de toute évidence de la première catégorie) à dissoudre la France, coûte que coûte, dans un ensemble “euro-atlantique”. Or, en raisons de ses contradictions internes absolument insurmontables, un tel ensemble ne pourra qu’être voué, comme “Océania”, à considérer le reste du monde comme un ennemi, avec lequel les seules relations possibles seront de nature exclusivement guerrières. Et Israël en fait partie, de cet ensemble “euro-atlantique” ; pour reprendre la métaphore de Josep Borrell, il s’agit d’un poste avancé du “jardin” au beau milieu de la “jungle”…
@ MJJB
[Que pensez-vous de ceci : (…)]
Je pense que les télégrammes en question ne font que confirmer ce qu’on savait déjà. D’abord, il faut être très naïf pour imaginer que les ambassades étrangères ne font pas de politique. Bien entendu, les résultats des élections ne leur sont pas indifférents, et elles cherchent par tous les moyens à leur portée de peser sur les équilibres politiques locaux. Pour cela, tous les moyens sont bons : on peut financer des politiciens « amis », mettre sur la place publique des informations compromettantes obtenues par des moyens que la morale réprouve, et même, cela s’est vu, soudoyer des juges ou des militaires. Et il n’y a là rien de condamnable : après tout, les diplomates sont payés pour servir les intérêts de leur pays. Difficile de leur reprocher de faire exactement cela…
Il faut être aussi très naïf pour s’imaginer que les politiciens n’essayent pas de profiter de cette situation. La méthode qui consiste à séduire un interlocuteur en lui disant ce qu’il veut entendre n’est pas seulement efficace avec les électeurs, elle marche aussi avec les diplomates étrangers. Il est donc assez logique que les dirigeants politiques français de tous bords aillent chercher le soutien de l’ambassade américaine – ou de n’importe quelle autre – en expliquant que toute leur action sera bien plus favorable aux intérêts de leur interlocuteur que celle de leurs concurrents. Là aussi, on n’est pas obligé de croire à la sincérité de telles déclarations.
Celle de Delors, par contre, est plus intéressante parce qu’elle est le fait non d’un politicien cherchant des soutiens, mais d’un politicien en fin de carrière qui n’a plus rien à gagner et plus rien à perdre, et qui reflète donc plus probablement sa pensée. Mais là encore, rien de bien nouveau : la volonté de la « deuxième gauche » de diluer la France dans l’Europe est connue au moins depuis la fin des années 1980.
[Mais après tout, peut-être y a-t-il un lien (ténu) entre les obscénités de feu M. Delors et la situation à Gaza : toute l’action de nos classes dirigeantes tend (consciemment ou non ; M. Delors relevait de toute évidence de la première catégorie) à dissoudre la France, coûte que coûte, dans un ensemble “euro-atlantique”. Or, en raisons de ses contradictions internes absolument insurmontables, un tel ensemble ne pourra qu’être voué, comme “Océania”, à considérer le reste du monde comme un ennemi, avec lequel les seules relations possibles seront de nature exclusivement guerrières.]
Vous manquez, je pense, le point fondamental de l’argumentation d’Orwell. La question n’est pas que « l’Océania » euro-atlantique soit considéré par le reste du monde comme un ennemi. La question est que l’ensemble en question, de par ses contradictions internes, a BESOIN d’avoir des rapports hostiles avec le reste du monde, parce que seule l’existence d’un ennemi extérieur permet de maintenir son unité et d’obtenir le consentement des populations à leur dépossession. C’est pourquoi les dirigeants européens ont poussé l’Ukraine à la guerre, puis ont utilisé cyniquement le conflit pour « faire avancer la construction européenne ». Exactement comme Big Brother utilise le conflit entre Océania et ses voisins pour justifier son régime.
La principale “contradiction” en France, c’est que l’intérêt des classes dirigeantes (et donc des classes intermédiaires, dont le sort est lié à celui des classes dirigeantes) est directement antagoniste à ce qu’on avait coutume d’appeler jadis “l’intérêt national”, lequel “intérêt national” tend au contraire à coïncider avec celui des classes populaires (notez que la désindustrialisation de notre pays a fait qu’il n’y a plus de “classe ouvrière” au sens strict du terme, ce qui facilite considérablement la tâche du bloc dominant). D’où, depuis désormais près d’un demi-siècle, le détricotage implacable de tout ce qui serait susceptible, dans notre pays, de “faire société” (pour reprendre un instant le jargon de l’ennemi)…
Le protectionnisme qui monte finira bien par avoir la peau du “projet européen”, mais je ne m’attends pas à ce que cela se passe dans une ambiance de soirée de gala à l’ambassade. Ma prévision, c’est qu’à un moment l’Allemagne finira par “reprendre ses billes”, que cela aura un effet de contagion dans toute l’Europe… sauf en France, qui restera sans doute encore longtemps après cela le dernier bastion de l’européisme ; une sorte d’européisme croupion, “d’européisme dans un seul pays”, un peu à la manière des dernières décennies d’existence de l’Empire byzantin, quand ce dernier se réduisait peu ou prou à la seule ville de Constantinople. Car nous sommes le seul et unique pays en Europe, où, au sein des classes dirigeantes, le “projet européen” a complètement et intégralement remplacé toute forme de “projet national”. L’intérêt national n’est pas, pour nos dirigeants, devenu “tabou” : il est devenu, au sens le plus strict du mot, “impensable” ; les capacités cognitives pour simplement envisager son existence n’existent plus chez ces gens-là, à peu près de la même manière que les chats ou les chiens ne peuvent même pas concevoir l’existence de la mécanique céleste…
@ MJJB
[Le protectionnisme qui monte finira bien par avoir la peau du “projet européen”, mais je ne m’attends pas à ce que cela se passe dans une ambiance de soirée de gala à l’ambassade. Ma prévision, c’est qu’à un moment l’Allemagne finira par “reprendre ses billes”, que cela aura un effet de contagion dans toute l’Europe… sauf en France, qui restera sans doute encore longtemps après cela le dernier bastion de l’européisme ; une sorte d’européisme croupion, “d’européisme dans un seul pays”, un peu à la manière des dernières décennies d’existence de l’Empire byzantin, quand ce dernier se réduisait peu ou prou à la seule ville de Constantinople. Car nous sommes le seul et unique pays en Europe, où, au sein des classes dirigeantes, le “projet européen” a complètement et intégralement remplacé toute forme de “projet national”.]
L’universalisme français a produit très tôt – surtout à gauche – un idéalisme européiste (pensez au projet d’Etats-Unis d’Europe qui était déjà dans la bouche de Victor Hugo dans son discours au congrès de la paix de 1849). Cet idéalisme trouve son moteur dans le pacifisme, l’idée de nation étant associée à celle de guerre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le slogan « l’Europe c’est la paix » a été aussi lourdement répété chez nous – ce qui n’est pas le cas ailleurs. C’est pourquoi je pense, comme vous, que l’échec réel de la construction européenne ne tuera pas l’idée européiste, qui restera vivante comme utopie – ou plutôt comme dogme religieux. Après tout, si on peut continuer à croire en un dieu bienveillant après Auschwitz, pourquoi ne pas croire à un “projet européen” malgré le désastre réel ?
Cher Descartes,
Merci pour cet article. On se sent moins seul, c’est important même si ça ne rajoute pas à notre pouvoir de changer les choses.
Est-ce que l’humanité peut supporter longtemps de tels drames, de telles impasses ?
Je partage bien de vos références, de Barnavi à Finkielkraut, je constate avec vous le drame de leur impuissance à se décaler d’un destin imaginaire.
1984 était une dystopie. Peut-on vraiment penser qu’il n’y aurait pas de limite à l’évolution “naturelle” du capitalisme ? L’humanité ne saurait-elle plus rétablir de la Loi ? J’ose l’espérer, même si je ne sais pas encore comment.
@ Paul
[Est-ce que l’humanité peut supporter longtemps de tels drames, de telles impasses ?]
Oui, très longtemps. Indéfiniment, en fait. Il suffit de ne pas regarder, ou comme le font certains de nos intellectuels, de nier que cela existe.
[Je partage bien de vos références, de Barnavi à Finkielkraut, je constate avec vous le drame de leur impuissance à se décaler d’un destin imaginaire.]
Et ils sont nombreux. Combien de nos intellectuels, combien de nos hommes politiques se sont contentés de répéter « il faut une solution à deux états » alors même que les Israéliens faisaient tout ce qu’il faut pour qu’une telle solution devienne impossible sans que personne ne bouge le petit doigt ?
[1984 était une dystopie. Peut-on vraiment penser qu’il n’y aurait pas de limite à l’évolution “naturelle” du capitalisme ?]
Non, si l’on croit Marx. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne voit pas cette limite à l’horizon. Est-ce un effet de notre propre myopie, ou est-ce parce qu’elle est encore très loin ? Très difficile à dire…
@ Descartes
[Dans quelques années, il aura disparu du paysage et ce sera tant mieux pour nous tous.]
Bayrou, tout comme Macron. Car si les deux sont médiocres, le 2e aura fait beaucoup plus de mal à notre pays.
[Qui aurait pu prévoir en 1945 que l’Etat construit par les survivants de la Shoah serait, quatre-vingt ans après la libération d’Auschwitz, en train de parquer, de bombarder et d’affamer une population civile en attendant de pouvoir la déporter ailleurs, le tout dans l’indifférence générale ?]
Vertigineux en effet.
[Tandis que le génocide qui a lieu aujourd’hui à Gaza sera, lui, une tache indélébile sur notre front à tous.]
Dans une certaine mesure, oui. Je ferais cependant une distinction entre les Etats-Unis qui arment, et continuent à le faire malgré le génocide indéniable, Israël depuis toujours, et le reste du monde “occidental”, condamnable pour inaction et pour sa lâcheté. Sans le soutien américain, il y a belle lurette que l’action destructrice d’Israël aurait été limitée, voire annihilée.
L’ONU dans tout cela ? Son impuissance montre sa totale inutilité.
@ Bob
[Bayrou, tout comme Macron. Car si les deux sont médiocres, le 2e aura fait beaucoup plus de mal à notre pays.]
Oui, mais il ne faudrait pas exagérer : Macron n’est pas tombé du ciel pour changer radicalement les politiques mises en œuvre. Il se place dans la continuité de François Hollande, et plus généralement, des gouvernements – et tout particulièrement des gouvernements socialistes – qui se sont succédés depuis les années 1970. En fait, Macron n’a pas inventé grande chose : il s’est contenté de continuer ce que ses prédécesseurs avaient commencé, dans un contexte qui lui permettait de faire ce que ses prédécesseurs avaient rêvé, mais n’avaient pas pu mettre en œuvre.
[« Tandis que le génocide qui a lieu aujourd’hui à Gaza sera, lui, une tache indélébile sur notre front à tous. » Dans une certaine mesure, oui. Je ferais cependant une distinction entre les Etats-Unis qui arment, et continuent à le faire malgré le génocide indéniable, Israël depuis toujours, et le reste du monde “occidental”, condamnable pour inaction et pour sa lâcheté. Sans le soutien américain, il y a belle lurette que l’action destructrice d’Israël aurait été limitée, voire annihilée.]
Vous vous souvenez de ce texte « complice est pire qu’auteur, parce que l’auteur a eu au moins le courage de le faire… »
[L’ONU dans tout cela ? Son impuissance montre sa totale inutilité.]
Je ne suis pas d’accord. On ne peut pas jeter un tournevis au motif qu’il ne fait pas le travail d’une pince. L’ONU n’a pas et ne peut pas avoir le pouvoir d’arrêter ou d’empêcher les conflits, surtout lorsque le conflit engage l’une des grandes puissances. Ses fondateurs l’avaient d’ailleurs très bien compris, et c’est pourquoi les puissances ont, au Conseil de sécurité, un droit de véto qui matérialise une réalité pragmatique : une résolution qui ne compte pas avec le soutien unanime des grandes puissances n’a aucune chance d’être mise en œuvre sur le terrain.
L’ONU est un forum d’échanges entre états, une institution qui, à travers ses agences, peut aider à réduire les conséquences d’un conflit ou soutenir les efforts des parties pour y mettre fin. Mais c’est tout. On ne peut conclure qu’elle est « inutile » parce qu’elle ne peut faire que ce pourquoi elle a été créée.
Bonsoir,
Merci pour cet article. Je pense également que l’histoire sera très sévère avec nous pour n’avoir pas su retenir le bras d’Israël.
Par contre, je me pose une question: que se passe-t-il dans le monde arabo-musulman? On se souvient des grandes manifestations à l’époque des caricatures du prophète. Et là, on a l’impression que les opinions publiques arabes sont un peu moins véhémentes, et on ne parle pas là de dessins blasphématoires réalisés dans un lointain pays occidental, mais de frères massacrés et affamés au Proche-Orient même… C’est tout de même étrange cette apparente apathie.
Les sociétés arabes sont-elles lasses? Nous savons bien que le panarabisme, de tendance laïque et socialisant, est en perte de vitesse, mais on avait l’impression que l’islamisme, particulièrement celui des Frères musulmans, avait pris le relais en terme d’idéologie “transnationale” susceptible de constituer un ciment pour le monde arabo-musulman.
Je pense pour ma part que les relations entre Israël et ses voisins ne sont pas si mauvaises que vous le dites. En fait, j’ai même l’impression que bon nombre de pays arabes sont prêts au “deal” suivant: abandonner les Palestiniens en échange d’une normalisation des relations avec Israël.
@ Carloman
[Par contre, je me pose une question: que se passe-t-il dans le monde arabo-musulman? On se souvient des grandes manifestations à l’époque des caricatures du prophète. Et là, on a l’impression que les opinions publiques arabes sont un peu moins véhémentes, et on ne parle pas là de dessins blasphématoires réalisés dans un lointain pays occidental, mais de frères massacrés et affamés au Proche-Orient même… C’est tout de même étrange cette apparente apathie.]
Oui et non. D’abord, il ne faut pas oublier que les régimes arabes sont des régimes dictatoriaux, et que la « rue » ne s’exprime de façon visible que lorsque le pouvoir local le permet. Or, les pouvoirs locaux ont compris qu’on prend des risques très importants à affronter Israël, parce que cela amène potentiellement à un conflit avec les Etats-Unis. Avec la fin du monde bipolaire, les marges de manœuvre qui permettaient par exemple aux régimes baasistes de maintenir une position intransigeante vis-à-vis d’Israël n’existent plus. Las Américains exercent une pression énorme sur les régimes arabes pour qu’ils « normalisent » leurs relations avec Israël – voir par exemple les accords d’Abraham – et sanctionnent lourdement ceux qui s’y refusent. On comprend que dans ce contexte les régimes arabes évitent de donner la parole à la rue. Seul l’Iran, pour des raisons historiques, peut se permettre de maintenir une position pro-palestinienne, et encore, avec une certaine prudence. Et là, vous voyez des manifestations de masse comme au bon vieux temps…
[Les sociétés arabes sont-elles lasses ? Nous savons bien que le panarabisme, de tendance laïque et socialisant, est en perte de vitesse, mais on avait l’impression que l’islamisme, particulièrement celui des Frères musulmans, avait pris le relais en termes d’idéologie “transnationale” susceptible de constituer un ciment pour le monde arabo-musulman.]
C’est probablement le cas. Mais le panarabisme était, ne l’oubliez pas, une idéologie officielle, soutenue de près ou de loin par beaucoup de dirigeants du monde arabe. L’islamisme, et tout particulièrement celui des Frères Musulmans, est au contraire un mouvement clandestin reprimé dans pratiquement l’ensemble du moyen orient. De là que les expressions publiques que nous pouvons percevoir en occident soient très différentes…
[Je pense pour ma part que les relations entre Israël et ses voisins ne sont pas si mauvaises que vous le dites. En fait, j’ai même l’impression que bon nombre de pays arabes sont prêts au “deal” suivant: abandonner les Palestiniens en échange d’une normalisation des relations avec Israël.]
Le « deal » est plutôt l’abandon des palestiniens en échange de l’appui – ou du moins, de la non-hostilité – américaine. Ce qui, vous me l’accorderez, est nettement plus intéressant pour des régimes qui ont des problèmes de stabilité interne et qui ont en mémoire le sort de Saddam Hussein… mais quand je parlais de « voisins », je pensais surtout aux Palestiniens !
[C’est probablement le cas. Mais le panarabisme était, ne l’oubliez pas, une idéologie officielle, soutenue de près ou de loin par beaucoup de dirigeants du monde arabe. L’islamisme, et tout particulièrement celui des Frères Musulmans, est au contraire un mouvement clandestin réprimé dans pratiquement l’ensemble du moyen orient. De là que les expressions publiques que nous pouvons percevoir en occident soient très différentes…]
Comment expliqué que les Frères Musulmans ne sont pas considéré comme une organisation terroriste en France a contrario de certains pays arabes ? Derrière ça il y a-t-il la main du Qatar ?
@ Glarrious
[Comment expliqué que les Frères Musulmans ne sont pas considéré comme une organisation terroriste en France a contrario de certains pays arabes ? Derrière ça il y a-t-il la main du Qatar ?]
A ma connaissance, les Frères Musulmans n’ont guère eu recours au terrorisme. Vous pensez à quelle action, précisément ?
[A ma connaissance, les Frères Musulmans n’ont guère eu recours au terrorisme. Vous pensez à quelle action, précisément ?]
Je pense à l’assassinat du président égyptien Anouar el-Sadate par la confrérie.
@ Glarrious
[Je pense à l’assassinat du président égyptien Anouar el-Sadate par la confrérie.]
Un magnicide n’est pas un “acte terroriste”. Ce n’est pas un acte indiscriminé tendant à terroriser une population par le fait que cela peut toucher n’importe qui, mais de supprimer une figure politique.
A votre avis, quel est le véritable rôle du Hamas, dant tout cela ? Lorsqu’ils ont déclenché le pogrom du 7 octobre, ils savaient pertinemment qu’Israël, n’étant pas la France, ne répliquerait pas à coups de bougies, de nounours, et en chantant “Imagine”. Quel but poursuivaient-ils, c’est ce que je ne comprends pas.
Par ailleurs, vous vous laissez un peu trop entraîner par votre tropisme habituel :
[la réécriture de l’histoire qui fait (…) de Staline un complice de Hitler]
Nooon ! Les gens sont méchants, quand même ! Ils vont finir par répandre la fiction d’un pacte Molotov-Ribbentrop !
[a pavé la voie des Talibans en Afghanistan, des mollahs en Iran, des cléricaux en Pologne]
Vous ne seriez pas en train de pousser Mémé dans les orties, avec cette comparaison ?
@ maleyss
[A votre avis, quel est le véritable rôle du Hamas, dans tout cela ? Lorsqu’ils ont déclenché le pogrom (…)]
Le mot « pogrom », utilisé couramment par la propagande israélienne, est ici impropre. Le mot « pogrom » désigne des émeutes antisémites qui avaient lieu dans l’empire russe – mais aussi en Europe centrale. Ces émeutes étaient rendues possibles par la passivité des autorités, voire par leur encouragement puisqu’elles permettaient de désigner le juif comme bouc émissaire. Par ailleurs, si l’on prend la définition retenue par Raoul Hilberg, peut-être le plus grand historien de la question juive en Europe, un pogrom est « une brève explosion de violence d’une communauté contre un groupe juif qui vit au milieu d’elle-même ». Rien à voir donc avec les évènements du 7 octobre 2023, qui sont un « massacre », mais certainement pas un « pogrom ».
[(…) du 7 octobre, ils savaient pertinemment qu’Israël, n’étant pas la France, ne répliquerait pas à coups de bougies, de nounours, et en chantant “Imagine”. Quel but poursuivaient-ils, c’est ce que je ne comprends pas.]
Il y a plusieurs versions. Celle qui me semble la plus vraisemblable, c’est qu’il s’agissait au départ d’une opération militaire audacieuse mais visant essentiellement les militaires israéliens, et qui du fait de l’impréparation de l’armée israélienne, des fautes des services de renseignement et d’un excès de confiance dans l’étanchéité du dispositif enfermant la bande de Gaza, est devenu un massacre de civils. Quant au but du Hamas, l’explication la plus vraisemblable se trouve probablement dans la manière dont la question palestinienne avait quitté le devant de la scène. La politique américaine de « normalisation » des relations entre Israël et le monde arabe avaient fait disparaître la question palestinienne de l’agenda, l’ensemble des acteurs étant finalement ravis de voir gérer la question par Israël à bas bruit. Une action d’éclat était nécessaire pour remettre la question palestinienne sous les projecteurs. Peut-être que le Hamais ait voulu pousser Israël à la faute… mais je ne suis pas confortable avec cette hypothèse : d’une part elle implique de la part du Hamas une disposition au sacrifice remarquable, et de l’autre une capacité de calcul politique qui l’est tout autant.
[Par ailleurs, vous vous laissez un peu trop entraîner par votre tropisme habituel : [la réécriture de l’histoire qui fait (…) de Staline un complice de Hitler] Nooon ! Les gens sont méchants, quand même ! Ils vont finir par répandre la fiction d’un pacte Molotov-Ribbentrop !]
J’attire votre attention sur un certain nombre de points. D’abord, le pacte Molotov-Ribbentrop porte un titre révélateur : « pacte de non agression ». On est donc loin d’une « complicité », et encore plus d’une « alliance ».
Ensuite, l’URSS n’est pas le seul pays ayant signé de tels accords. Si Staline était le « complice de Hitler », Pilsudski devait lui aussi être sur la liste. Un traité similaire avait été conclu entre la Pologne et l’Allemagne le 26 juin 1934. Ce sont ces rapports cordiaux avec l’Allemagne qui a permis à la Pologne de participer au dépècement de la Tchécoslovaquie, qui lui a rapporté la région de Teschen. Pourtant, curieusement, les historiens révisionnistes évitent soigneusement de faire mention de ce précédent. Peut-être parce que ce précédent pourrait entacher le mythe de la Pologne « nation martyr » ?
Enfin, il faut rappeler le contexte. L’URSS avait à l’époque une crainte amplement justifiée, celle d’une alliance entre l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne dans une grande croisade antibolchévique. Elle cherchait donc des alliances, et dans cette recherche elle avait donné la priorité à une puissance historiquement alliée, la France. C’est dans cette logique qu’est signé le traité franco-soviétique « d’assistance mutuelle » du 2 mai 1935. Mais c’est pour les soviétiques une grande déception : le protocole militaire qui doit l’accompagner n’est jamais signé, devant l’opposition de la droite mais aussi des militaires, et l’indifférence des socialistes. Les négociations s’éternisent devant la mauvaise volonté française. En parallèle, l’URSS négocie avec l’Allemagne qui, elle, montre une disponibilité bien plus grande. Jusqu’à la dernière minute, comme le raconte si bien Crémieux-Brilhac, les soviétiques négocient en parallèle mais sont prêts à donner la priorité à la France. Mais le gouvernement français n’arrive pas à se décider, alors que les Allemands sont prêts à signer. Et Staline tranche finalement entre le « tiens » allemand et le « tu l’auras » français. Dans ces conditions, parler de « complicité » me paraît, pour le moins abusif. Si le pacte fut un traumatisme, c’est en partie d’ailleurs parce que les partisans de l’alliance antibolchévique – comme Laval – ont eu le sentiment de s’être faits doubler…
[« a pavé la voie des Talibans en Afghanistan, des mollahs en Iran, des cléricaux en Pologne » Vous ne seriez pas en train de pousser Mémé dans les orties, avec cette comparaison ?]
Absolument pas. Je ne fais aucune comparaison, je ne fais que rappeler un fait. Contesteriez-vous le fait que l’action de ces intellectuels a pavé la voie d’un retour du cléricalisme en Pologne ? Le fait que vous voyez là une « comparaison » montre que vous n’avez pas la conscience tranquille…
@ Descartes,
[Le mot « pogrom », utilisé couramment par la propagande israélienne, est ici impropre. Le mot « pogrom » désigne des émeutes antisémites qui avaient lieu dans l’empire russe – mais aussi en Europe centrale. Ces émeutes étaient rendues possibles par la passivité des autorités, voire par leur encouragement puisqu’elles permettaient de désigner le juif comme bouc émissaire. […] Rien à voir donc avec les évènements du 7 octobre 2023, qui sont un « massacre », mais certainement pas un « pogrom ».]
N’y voyez nulle flagornerie, mais permettez-moi de vous remercier franchement pour ce paragraphe. Cette expression de “pogrom” a été utilisée à plusieurs reprises sans que personne – ou pas grand-monde – ne daigne s’interroger sur sa pertinence. Or un pogrom est une agression visant les juifs en tant que minorité, souvent discriminée et peu ou mal intégrée. Or, en Israël, les juifs ne sont pas une minorité, on ne peut pas dire qu’ils ne sont pas intégrés à la société, et ils ne sont pas discriminés. Il se murmure même que ce sont les non-juifs qui sont considérés comme des citoyens de seconde zone par l’Etat hébreu… Mais c’est un autre problème.
Je dois vous avouer que j’ai été très déçu – et même peiné – de la réaction d’Alain Finkielkraut dans cette affaire. Que, dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, Finkielkraut ait été submergé par l’émotion, et qu’il se soit laissé aller à employer le mot “pogrom”, je le comprends tout à fait. Je le comprends parce que nous ne sommes que des hommes, et parce qu’Alain Finkielkraut a une histoire personnelle, familiale, qui le rend très sensible à toute violence dirigée contre une population juive. Mais la grandeur de l’intellectuel, du véritable intellectuel, c’est d’être capable, une fois l’émotion passée, de laisser la raison reprendre ses droits, de réfléchir “à froid” sur la situation et de reconnaître éventuellement ses erreurs et ses approximations. Or Alain Finkielkraut a été incapable de mener ce travail et, je suis désolé, mais à mes yeux, il a de fait perdu sa stature de figure intellectuelle respectable. Parce que finalement, sur ce sujet, Finkielkraut montre le même aveuglement et le même militantisme borné qu’il reproche à longueur de temps aux “wokes”. Dans ces conditions, sa parole est disqualifiée. J’ajoute que c’est précisément sur ce genre de question qu’on mesure la réelle valeur intellectuelle d’un penseur. Force est de constater que Finkielkraut ne parvient pas à porter un regard critique sur une forme de réflexe communautaire qui le pousse à épouser la cause israélienne avec un manque de discernement qui, le temps passant, est de plus en plus difficile à excuser.
A titre personnel, je ne suis pas hostile à l’existence de l’Etat d’Israël (même si je pense que c’était une erreur et que le génie juif s’exprime davantage dans la diaspora), et je suis très islamophobe. Pour autant, je ne peux que constater que l’Etat hébreu commet des crimes de guerre – cela est une certitude -, des crimes contre l’humanité – c’est aujourd’hui plus que probable – et peut-être en effet un génocide. Et je ne peux pas applaudir à cela. De la même façon que je trouve intolérable la manière dont les colons chassent de leurs terres des Palestiniens en Cisjordanie, depuis des années, au vu et au su de tout le monde – il y a des reportages sans fard, j’en avais vu un réalisé par France 24, qui pourtant n’est pas une chaîne antisémite ou antisioniste. Bien sûr je ne peux pas me comparer à un Palestinien, mais je peux imaginer le sentiment d’injustice, de tristesse et de colère que ressentent ces gens du fait de la dépossession qui leur est imposée. L’une des pires choses qu’on puisse imposer à une population, c’est d’une part la priver de sa terre ancestrale, et d’autre part lui donner le sentiment qu’elle devient étrangère voire indésirable sur la terre de ses aïeux.
[Parce que, pour qu’il y ait « génocide » au sens de la convention, il faut qu’il y ait une « intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».]
Je dois avouer que je suis très mal à l’aise avec cette définition de génocide. “Détruire en totalité”, c’est clair. Qu’est-ce qu’on entend par “détruire en partie” en groupe? S’agit-il d’une partie du groupe résidant sur un territoire défini (qui n’engloberait pas l’ensemble de l’espace où vit ce groupe)? Est-ce que tout massacre en temps de guerre, dirigé contre un groupe en particulier (c’est souvent le cas), ne peut être assimilé à un génocide? La Saint-Barthélémy fut-elle un “génocide” des protestants? Lorsque les Ottomans en 1822 organisent les massacres de Chios (peut-être 20 000 morts et plus de 40 000 Grecs vendus comme esclaves) pour empêcher les habitants de l’île de se rallier aux insurgés de Grèce continentale, s’agit-il d’un génocide?
Plus près de nous, à Srebrenica pendant la guerre de Bosnie, l’accusation de “génocide” a été retenue contre les Serbes, qui ont effectivement effectué là un massacre de masse. Mais la plupart des femmes et des jeunes enfants avaient été évacués vers les lignes bosniaques, et les Serbes ont tué principalement des hommes et des garçons de plus de 15 ans. Bien sûr, massacrer sommairement des gens désarmés est un crime de guerre. Mais un “génocide”? L’objectif était certainement de chasser les Bosniaques musulmans de la région, dans le cadre d’une opération de nettoyage ethnique. Mais “détruire tout ou partie” d’un groupe (ici ethnico-religieux), cela me paraît plus discutable. Et si l’on considère que toute opération de nettoyage ethnique relève d’une forme de génocide, alors comment qualifier ce qui est arrivé à la minorité serbe de Croatie, dont une bonne part a été expulsée au lendemain de la “reconquête” croate des régions majoritairement peuplées de Serbes?
D’ailleurs, on ne souligne pas à mon sens les parallèles existant entre Serbes de Croatie et russophones du Donbass: en 1990, les Serbes de Croatie, craignant d’être marginalisés dans une Croatie devenue indépendante et gouvernée par des nationalistes dont certains ne rechignent pas à se réclamer des Oustachis de sinistre mémoire, font sécession et proclament la République serbe de Krajina. Vingt-cinq ans après, les russophones du Donbass, craignant d’être marginalisés par un pouvoir ukrainien de plus en plus nationaliste et de plus en plus enclin à revendiquer la filiation de Bandera et de l’UPA (d’aussi sinistre mémoire que Pavelic et les Oustachis), décident de faire sécession. Serbes de Croatie et russophones du Donbass sont deux populations, reliquat des anciens états fédéraux communistes de l’est (Yougoslavie et URSS), et qui peinent à trouver leur place dans la nouvelle organisation géopolitique d’Europe de l’est. A noter que dans les deux cas, les puissances occidentales ont soutenu les héritiers des mouvements collaborationnistes de la Seconde Guerre Mondiale…
Mais je m’égare, excusez-moi pour cette digression. Tout ça pour dire que les “méchants” (Serbes, Russes, etc) sont presque toujours accusés de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, alors que les “gentils” (Croates, Albanais du Kosovo, Ukrainiens, Israéliens,… et je ne parle pas des Américains) jamais. Pourtant, à y regarder de plus près, les crimes des seconds sont-ils vraiment moins horribles que ceux commis par les premiers?
C’est pourquoi, au-delà des faits, je me méfie un peu de toute cette terminologie. L’accusation de génocide est parfois bien commode. Je retiens qu’Israël aujourd’hui adopte une politique criminelle. Pour paraphraser la chanson de Jean Ferrat: “on vit Gaza rouge de sang, crier dans un monde immobile”…
@ Carloman
[Je dois vous avouer que j’ai été très déçu – et même peiné – de la réaction d’Alain Finkielkraut dans cette affaire. (…)]
Moi aussi, mais je suis un peu plus bienveillant que vous. Je pense que son expérience personnelle, familiale, l’empêchent d’avoir un jugement détaché sur cette affaire. Cela ne diminue en rien sa stature dans les autres domaines de la pensée qu’il a pu travailler, et à ce titre il reste pour moi une figure éminemment respectable. Simplement, il faut admettre qu’il est humain, et en tant que tel, limité. Et l’une de ses limites, c’est la question d’Israël et plus généralement, du judaïsme. Si ma mémoire ne me trompe pas il l’admet d’ailleurs lui-même dans un entretien à la radio.
[A titre personnel, je ne suis pas hostile à l’existence de l’Etat d’Israël (même si je pense que c’était une erreur et que le génie juif s’exprime davantage dans la diaspora), et je suis très islamophobe.]
Je partage votre position quant à l’Etat d’Israël. La spécificité de la culture juive était celle de la Diaspora, c’est-à-dire celle d’une communauté qui était à la fois ouverte sur la culture majoritaire des pays où elle était installée, tout en conservant farouchement une weltanschauung qui lui était propre. Cette exceptionnalité a été rendu possible parce qu’il s’agit d’une communauté dont l’assimilation n’a pas été empêchée par des contraintes internes, mais par des contraintes externes. Les juifs en France rêvaient de devenir des Français comme les autres, les juifs en Allemagne rêvaient de devenir Allemands comme les autres. Et chacun a rejoint l’armée de son pays quand cela leur a été demandé. Mais la population majoritaire a persisté à les considérer comme « différents »…
Mais en dehors de cela, il n’y a rien de spécial à être juif. Donnez-leur un Etat où ils seront majoritaires, et ils se comporteront exactement comme les autres hommes. Ce qu’on appelle la « culture juive » – il faudrait d’ailleurs utiliser le pluriel – et intimement lié au fait minoritaire.
[Je dois avouer que je suis très mal à l’aise avec cette définition de génocide. “Détruire en totalité”, c’est clair. Qu’est-ce qu’on entend par “détruire en partie” en groupe ? S’agit-il d’une partie du groupe résidant sur un territoire défini (qui n’engloberait pas l’ensemble de l’espace où vit ce groupe) ? Est-ce que tout massacre en temps de guerre, dirigé contre un groupe en particulier (c’est souvent le cas), ne peut être assimilé à un génocide ?]
Non. Encore une fois, il faut l’élément subjectif : la volonté de détruire ce groupe.
[La Saint-Barthélémy fut-elle un “génocide” des protestants ?]
Il faut se méfier des anachronismes. Le génocide, dans sa définition moderne, n’existe que depuis le procès de Nuremberg. J’ai une certaine méfiance pour les revendications de reconnaissance de « génocides » ou de « crimes contre l’humanité » avant cette date. Mais pour répondre à votre question, je ne me souviens pas que les instigateurs de la Saint-Barthélémy aient eu comme but l’extermination des protestants. Leur but était politique : réduire l’influence que le parti protestant avait pris sur les affaires de l’Etat.
[Plus près de nous, à Srebrenica pendant la guerre de Bosnie, l’accusation de “génocide” a été retenue contre les Serbes, qui ont effectivement effectué là un massacre de masse. Mais la plupart des femmes et des jeunes enfants avaient été évacués vers les lignes bosniaques, et les Serbes ont tué principalement des hommes et des garçons de plus de 15 ans. Bien sûr, massacrer sommairement des gens désarmés est un crime de guerre. Mais un “génocide”? L’objectif était certainement de chasser les Bosniaques musulmans de la région, dans le cadre d’une opération de nettoyage ethnique.]
C’est je pense ce dernier point qui en fait un « génocide », dans la mesure où l’on peut soutenir que le fait de déplacer par la force un peuple en le coupant de ses racines territoriales est une forme de « destruction ». Mais comme toute infraction pénale, la définition du « génocide » est soumise jusqu’à un certain point à l’interprétation du juge.
[D’ailleurs, on ne souligne pas à mon sens les parallèles existant entre Serbes de Croatie et russophones du Donbass: en 1990, les Serbes de Croatie, craignant d’être marginalisés dans une Croatie devenue indépendante et gouvernée par des nationalistes dont certains ne rechignent pas à se réclamer des Oustachis de sinistre mémoire, font sécession et proclament la République serbe de Krajina. Vingt-cinq ans après, les russophones du Donbass, craignant d’être marginalisés par un pouvoir ukrainien de plus en plus nationaliste et de plus en plus enclin à revendiquer la filiation de Bandera et de l’UPA (d’aussi sinistre mémoire que Pavelic et les Oustachis), décident de faire sécession. Serbes de Croatie et russophones du Donbass sont deux populations, reliquat des anciens états fédéraux communistes de l’est (Yougoslavie et URSS), et qui peinent à trouver leur place dans la nouvelle organisation géopolitique d’Europe de l’est. A noter que dans les deux cas, les puissances occidentales ont soutenu les héritiers des mouvements collaborationnistes de la Seconde Guerre Mondiale…]
Excellente remarque.
[C’est pourquoi, au-delà des faits, je me méfie un peu de toute cette terminologie. L’accusation de génocide est parfois bien commode. Je retiens qu’Israël aujourd’hui adopte une politique criminelle.]
Oui, mais si vous voulez vous en tenir au droit – et c’est ce que j’ai essayé de faire, parce qu’il faut mettre cette « Europe du droit » devant ses contradictions – il ne suffit pas de parler de « politique criminelle », il faut nommer le crime.
[Pour paraphraser la chanson de Jean Ferrat: “on vit Gaza rouge de sang, crier dans un monde immobile”…]
Que n’avons-nous aujourd’hui des poètes comme lui pour mettre des mots sur ce qui arrive… !
@ Descartes,
[Moi aussi, mais je suis un peu plus bienveillant que vous]
Je crains que vous ne confondiez “bienveillance” et “indulgence excessive”…
[Je pense que son expérience personnelle, familiale, l’empêchent d’avoir un jugement détaché sur cette affaire.]
Pardon mais, comme je l’ai écrit, je comprends tout à fait que l’histoire familiale d’Alain Finkielkraut l’empêche D’EMBLEE d’avoir un regard raisonnable et dépassionné sur ce qui se passe à Gaza. Que la sidération, l’émotion, la réminiscence de persécutions passées, la peur aient conduit Finkielkraut, dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, à réagir de manière viscérale, je le comprends, et je ne lui en fais pas grief. Il est humain. Mais là, ça fait un an et demi… La situation a nettement évolué. Le discours de Finkielkraut, pas tellement. “Errare humanum est, perseverare diabolicum”…
A la suite de votre réponse, je me suis imposé l’entretien que Finkielkraut a accordé au “Grand Rendez-vous Europe 1/Cnews” il y a une dizaine de jours. Et qu’est-ce que j’ai entendu? Le mot “pogrom” à nouveau, sans s’interroger sur sa pertinence; la remarque selon laquelle le mot “sioniste” est devenu synonyme de “youpin” (dans la bouche de ceux qui dénoncent la politique d’Israël à Gaza, s’entend); la volonté réitérée de combattre “ceux qui parlent de génocide à Gaza”. Aujourd’hui, pardon, ce discours frise la malhonnêteté. Finkielkraut vient de rentrer d’Israël où il a bu des verres avec des Israéliens qui déplorent la situation (et je ne mets pas en doute leur sincérité) et assisté à des manifestations de proches d’otages, mais ces gens ne sont en aucun cas représentatifs de la société israélienne si l’on en juge par la composition de la Knesset. Ce n’est pas que Finkielkraut ne le voit pas, c’est qu’il REFUSE de le voir. Vous-même citez un extrait d’une intervew d’Olmert où celui-ci dénonce “un encouragement au génocide” de la part de certains dirigeants israéliens. Que faut-il de plus? A partir de quel moment l’aveuglement volontaire devient-il plus qu’une erreur, une faute? J’irais même plus loin: en tant qu’intellectuel reconnu, en tant qu’homme d’un certain talent, Finkielkraut a des devoirs, des obligations morales même. Pourquoi les reconnaître à Brasillach et pas à lui?
[Cela ne diminue en rien sa stature dans les autres domaines de la pensée qu’il a pu travailler, et à ce titre il reste pour moi une figure éminemment respectable.]
Ah bon? Donc l’ “universalisme” peut être à géométrie variable? On peut “défendre l’héritage des Lumières” mais soutenir l’Etat d’Israël qui bafoue ouvertement – et depuis des années – le droit international, l’humanisme, les droits de l’homme et j’en passe. Quand c’est Poutine, c’est insupportable (dans l’entretien que je cite, Finkielkraut s’inquiète du “tropisme poutinien” du RN et déclare sans ambage que pour cette raison il n’a pas confiance dans ce parti…), quand ce sont les dirigeants israéliens, c’est juste regrettable.
Finkielkraut s’intéresse à l’école? Eh bien il devrait s’intéresser à l’école israélienne et à ce qu’on y enseigne: mépris de l’autre, culte de la force, déshumanisation des Palestiniens… Vous savez, ce n’est pas un hasard si certains dirigeants israéliens considèrent les Palestiniens comme des chiens, des moins-que-rien, voire se permettent de le dire, parce que cela correspond aux idées diffusées en Israël, y compris par le système scolaire. C’est marrant, Finkielkraut ne semble pas avoir beaucoup creusé cette question. Un oubli sans doute.
Vous fustigez à longueur d’articles – et à juste titre – la “petite France”, les notables de province, petits-bourgeois catholiques à l’esprit étriqué, bêtement conservateurs… Mais les élites israéliennes sont-elles moins “provinciales”, sont-elles moins bornées? Je ne le crois pas. Et Finkielkraut les soutient. Il les soutient en soupirant, il les soutient peut-être sans les aimer, mais il les soutient quand même. On ne peut pas être universaliste à Paris et communautariste à Jérusalem…
Votre remarque me rappelle pourquoi je combats les universalistes, parce que l’universalisme, c’est toujours quand ça arrange. Et comme me disait un ami, le jour où la crise arrive, chacun rejoint bien sagement sa communauté, quoi qu’il ait pu dire avant. Alain Finkielkraut vérifie parfaitement cet adage: le jour où Israël s’est trouvé confronté aux conséquences, hélas prévisibles, de sa propre politique – parce que c’est de cela qu’il s’agit, il faut rappeler les paroles de Netanyahou il y a quelques années, affirmant qu’il était de l’intérêt d’Israël de voir le Hamas gagner en influence – Finkielkraut a eu ce “réflexe communautaire” que n’aurait pas dû (pu?) avoir un authentique universaliste. Un esprit chagrin pourrait se dire que les juifs en France sont universalistes et humanistes parce que cela fait leurs affaires et les protège des discriminations, mais qu’en Israël, l’universalisme et l’humanisme étant des freins à leurs ambitions territoriales, ils s’essuient allègrement les pieds dessus. Cela me rappelle d’ailleurs tous ces musulmans qui, chez nous, sont très soucieux des droits des minorités parce que les musulmans sont minoritaires, mais qui s’en foutent royalement quand il s’agit des minorités non-musulmanes en terre d’islam.
Tout cela me renforce dans l’idée que l’homogénéité ethnique et culturelle est le meilleur facteur d’unité d’une nation. Le reste, c’est de la poudre aux yeux visant à accorder au final passe-droits et privilèges aux “minorités”.
[C’est je pense ce dernier point qui en fait un « génocide », dans la mesure où l’on peut soutenir que le fait de déplacer par la force un peuple en le coupant de ses racines territoriales est une forme de « destruction ».]
A Srebrenica, il s’agissait de chasser une population bosniaque d’un secteur géographique précis de Bosnie-Herzégovine. Sauf erreur de ma part, l’objectif n’était pas de chasser TOUS les Bosniaques de TOUTE la Bosnie…
[il ne suffit pas de parler de « politique criminelle », il faut nommer le crime.]
Je ne m’estime pas compétent pour cela. J’aimerais faire confiance au juge pour qualifier le crime. Si la CPI conclut des éléments et informations en sa possession que l’accusation de génocide est fondée, ce serait déjà un premier pas. Mais, encore une fois, j’ai l’impression que l’accusation de génocide est parfois maniée pour de basses motivations idéologiques. Si les Serbes avaient fait à Srebrenica ou à Pristina la moitié de ce qu’ont fait les Israéliens à Gaza, je gage que l’accusation serait bien plus claire et explicite…
Pour terminer, je voudrais faire, si vous me le permettez, une petite remarque concernant Orwell. D’abord, je trouve très intéressant les débats qui ont lieu sur ce blog sur l’homme et son oeuvre. J’ignorais complètement qu’une certaine gauche cherchait à disqualifier l’homme sans doute pour affaiblir la portée de son oeuvre. Je regrette pour ma part que ce travail ne soit pas effectué pour Jean Monnet, authentique agent américain, lui…
J’avais toujours cru pour ma part qu’Orwell était un authentique homme de gauche, proche du trotskisme, car il combattit en Espagne dans les rangs du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). Ai-je tout faux?
Un dernier mot sur La Ferme des animaux: je suis d’accord sur l’aspect universel de l’oeuvre, mais j’ai quand même beaucoup de mal à croire qu’Orwell, dans certains passages, n’ait pas eu Staline et les bolchéviks en ligne de mire…
@ Carloman
[« Je pense que son expérience personnelle, familiale, l’empêchent d’avoir un jugement détaché sur cette affaire. » Pardon mais, comme je l’ai écrit, je comprends tout à fait que l’histoire familiale d’Alain Finkielkraut l’empêche D’EMBLEE d’avoir un regard raisonnable et dépassionné sur ce qui se passe à Gaza. Que la sidération, l’émotion, la réminiscence de persécutions passées, la peur aient conduit Finkielkraut, dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, à réagir de manière viscérale, je le comprends, et je ne lui en fais pas grief. Il est humain. Mais là, ça fait un an et demi… La situation a nettement évolué. Le discours de Finkielkraut, pas tellement. “Errare humanum est, perseverare diabolicum”…]
Je pense que vous sous-estimez le traumatisme qu’a pu être pour Finkielkraut la déportation de ses grands parents à Auschwitz, où ils sont morts, et de son père, qui y a survécu. Je sais que mon père, que la tragédie a touché de beaucoup plus loin, et qui était un homme intelligent et pondéré, perdait toute rationalité quand il s’agissait d’Israël, qu’il percevait comme la seule barrière empêchant le recommencement de la Shoah. Bien sur, pour un penseur c’est là une sérieuse défaillance, mais une défaillance que, venant d’où je viens, j’ai du mal à ne pas pardonner.
[A partir de quel moment l’aveuglement volontaire devient-il plus qu’une erreur, une faute? J’irais même plus loin: en tant qu’intellectuel reconnu, en tant qu’homme d’un certain talent, Finkielkraut a des devoirs, des obligations morales même. Pourquoi les reconnaître à Brasillach et pas à lui?]
Si les grands parents de Brasillach étaient morts dans un camp tenu par des antichrétiens, si son père y avait été déporté, je pense que son antisémitisme aurait été bien plus pardonnable…
[Finkielkraut s’intéresse à l’école? Eh bien il devrait s’intéresser à l’école israélienne et à ce qu’on y enseigne: mépris de l’autre, culte de la force, déshumanisation des Palestiniens… Vous savez, ce n’est pas un hasard si certains dirigeants israéliens considèrent les Palestiniens comme des chiens, des moins-que-rien, voire se permettent de le dire, parce que cela correspond aux idées diffusées en Israël, y compris par le système scolaire. C’est marrant, Finkielkraut ne semble pas avoir beaucoup creusé cette question. Un oubli sans doute.]
Non, pas un oubli, une négation.
[Vous fustigez à longueur d’articles – et à juste titre – la “petite France”, les notables de province, petits-bourgeois catholiques à l’esprit étriqué, bêtement conservateurs… Mais les élites israéliennes sont-elles moins “provinciales”, sont-elles moins bornées? Je ne le crois pas. Et Finkielkraut les soutient. Il les soutient en soupirant, il les soutient peut-être sans les aimer, mais il les soutient quand même. On ne peut pas être universaliste à Paris et communautariste à Jérusalem…]
Au risque de me répéter : si Finkielkraut n’avait pas vécu la mort de ses grands parents et la déportation de son père à Auschwitz, je serais d’accord avec vous. Mais je ne peux pas être insensible à sa tragédie personnelle.
[Votre remarque me rappelle pourquoi je combats les universalistes, parce que l’universalisme, c’est toujours quand ça arrange. Et comme me disait un ami, le jour où la crise arrive, chacun rejoint bien sagement sa communauté, quoi qu’il ait pu dire avant.]
Là, je pense que vous faites une erreur en généralisant à partir d’une expérience personnelle. Que l’expérience traumatique vécue par Finkielkraut l’empêche d’être cohérent avec l’universalisme dont il se réclame par ailleurs, cela je veux bien l’admettre. Mais de là a affirmer que « les universalistes » en général « rentrent dans leur communauté » dès que la crise ce profile, je trouve cela très injuste. Je me déclare « universaliste ». Pensez-vous que j’aurais écrit un papier aussi critique d’Israël si j’avais l’intention de « rentrer dans ma communauté » ?
[Tout cela me renforce dans l’idée que l’homogénéité ethnique et culturelle est le meilleur facteur d’unité d’une nation. Le reste, c’est de la poudre aux yeux visant à accorder au final passe-droits et privilèges aux “minorités”.]
Je ne vois pas quel est le raisonnement qui vous fait aboutir à cette conclusion. Des entités comme l’ensemble germanique ou la péninsule italienne, dont l’homogénéité ethnique et culturelle est bien plus forte (homogénéité linguistique dans le premier cas, homogénéité religieuse dans le second, homogénéité culturelle dans les deux cas) ont eu bien plus de mal à constituer une nation unifiée qu’un pays aussi hétérogènes que la France ou la Grande Bretagne.
[A Srebrenica, il s’agissait de chasser une population bosniaque d’un secteur géographique précis de Bosnie-Herzégovine. Sauf erreur de ma part, l’objectif n’était pas de chasser TOUS les Bosniaques de TOUTE la Bosnie…]
La définition du génocide contient la formule « en totalité ou en partie »…
[J’avais toujours cru pour ma part qu’Orwell était un authentique homme de gauche, proche du trotskisme, car il combattit en Espagne dans les rangs du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). Ai-je tout faux?]
Pas du tout. Le problème, c’est qu’on trouve beaucoup « d’authentiques hommes de gauche » qui, par antisoviétisme, se sont compromis avec ce que la droite avait de pire. Doriot était un « authentique homme de gauche » avant de devenir un collaborationniste convaincu, Déat aussi… mais dans le cas d’Orwell, le seul reproche qu’on peut lui faire est d’avoir accepté de commenter une liste de nom des gens que l’IRD pensait pouvoir utiliser pour faire de la propagande anticommuniste. Et d’avoir écrit un livre qui, mal interprété, pouvait être utilisé pour cette propagande.
[Un dernier mot sur La Ferme des animaux: je suis d’accord sur l’aspect universel de l’oeuvre, mais j’ai quand même beaucoup de mal à croire qu’Orwell, dans certains passages, n’ait pas eu Staline et les bolchéviks en ligne de mire…]
Certainement. Mais Orwell n’en faisait pas la seule cible de son roman. Ce n’est pas par hasard si le méchant de l’histoire s’appelle Napoléon, l’homme censé avoir trahi la Révolution française… Orwell le dit d’ailleurs lui-même : « Bien sûr, j’ai conçu ce livre en premier lieu comme une satire de la révolution russe. Mais, dans mon esprit, il y avait une application plus large dans la mesure où je voulais montrer que cette sorte de révolution (une révolution violente menée comme une conspiration par des gens qui n’ont pas conscience d’être affamés de pouvoir) ne peut conduire qu’à un changement de maîtres. La morale, selon moi, est que les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs dès que ceux-ci ont fait leur boulot. » (George Orwell, Lettre à Dwight Macdonald, 5 décembre 1946).
@ Descartes,
Merci pour votre réponse.
[Je pense que vous sous-estimez le traumatisme qu’a pu être pour Finkielkraut la déportation de ses grands parents à Auschwitz, où ils sont morts, et de son père, qui y a survécu.]
C’est probable en effet. Sans doute suis-je trop exigeant, je vous l’accorde. J’ai beaucoup d’admiration pour les grands intellectuels, et j’ai du mal à accepter qu’un grand esprit nie l’évidence. Mais si un homme de la stature intellectuelle de Finkielkraut est incapable de prendre du recul sur la manière dont l’Etat hébreu “gère” la question palestinienne, je tremble en imaginant ce qu’en pense le juif lambda…
[Si les grands parents de Brasillach étaient morts dans un camp tenu par des antichrétiens, si son père y avait été déporté, je pense que son antisémitisme aurait été bien plus pardonnable…]
Pardon mais la question n’est pas là. La question est de savoir si le magistère intellectuel dont peut se réclamer Alain Finkielkraut lui donne ou pas une part de responsabilité dans le déroulement d’une tragédie qui se produit aujourd’hui sous ses yeux, et non du temps de ses grands-parents. Et on ne parle pas ici de quelques exactions isolées, ou de bavures de Tsahal, mais au moins de crimes de guerre, et peut-être de crimes contre l’humanité. Et par ailleurs, les grands-parents de Finkielkraut ont été tués par les Allemands, les Palestiniens, eux, n’y étaient pour rien. Votre argument s’entendrait à la rigueur si Israël menait des opérations contre l’Allemagne, mais ce n’est pas le cas.
Le fait d’être le descendant de gens persécutés, de gens qui ont souffert ne donne pas le droit de faire souffrir les autres, pas même de soutenir leurs bourreaux. Ou bien dois-je comprendre que vous “pardonneriez” à des Antillais qui soutiendraient des massacres de blancs en Europe au motif qu’ils descendent d’esclaves maltraités pendant des siècles? J’avoue trouver votre raisonnement étrange… et pas très rassurant.
[Non, pas un oubli, une négation.]
C’est pire…
[si Finkielkraut n’avait pas vécu la mort de ses grands parents et la déportation de son père à Auschwitz, je serais d’accord avec vous.]
Alain Finkielkraut est né le 30 juin 1949 à Paris. Il n’a, au sens strict, rien “vécu” du tout: ni la déportation, ni les mauvais traitements, et il n’a vu mourir aucun membre de sa famille. Finkielkraut ne connaît de la Shoah que ce qu’on lui en a raconté, et ce qu’il a vécu, ce sont les conséquences de la Shoah sur la psyché des juifs d’Europe, ce qui n’est pas du tout la même chose. Finkielkraut est le fils d’un survivant, il n’est pas lui même un survivant. Vous allez trouver que je chipote, mais tout cela a son importance. Je ne dis pas que cette expérience de vie ne compte pas, mais il faut quand même la nuancer. Les souffrances de mes ancêtres ne sont pas et ne seront jamais mes souffrances. Je me méfie des gens qui restent prisonniers d’une souffrance infligée à d’autres et qu’ils croient revivre par procuration. Mais vous me direz – et vous n’aurez pas complètement tort – que c’est facile de dire cela quand ses grands-parents n’ont pas fini à Auschwitz.
[Je me déclare « universaliste ». Pensez-vous que j’aurais écrit un papier aussi critique d’Israël si j’avais l’intention de « rentrer dans ma communauté » ?]
Avec tout le respect que je vous dois, j’ai tendance à vous considérer comme une exception… Et il faut le prendre comme un compliment.
Mais revenons sur le cas de votre père. Il était communiste, n’est-ce pas? Je ne crois pas trahir les valeurs du communisme en disant que les communistes se réclament d’un certain universalisme. Vous me dites par ailleurs que, contrairement à Finkielkraut, votre père n’a été touché que de manière beaucoup plus indirecte par la Shoah. Et pourtant, je vous cite: “[il] était un homme intelligent et pondéré, [mais qui] perdait toute rationalité quand il s’agissait d’Israël, qu’il percevait comme la seule barrière empêchant le recommencement de la Shoah.” Néanmoins, nous ne pouvons pas savoir ce que penserait votre père aujourd’hui s’il voyait ce que fait Israël. Peut-être reconsidérerait-il sa position?
Donc nous avons deux hommes, Alain Finkielkraut et votre père, tous deux “intelligents et pondérés”, tous deux universalistes à leur manière, dont l’un n’a été touché par la Shoah qu’indirectement… Et tous deux perdent toute rationalité lorsqu’il s’agit d’Israël. Je le redis: je tremble en imaginant ce que pensent des personnes moins intelligentes et moins pondérées… Et l’honnêteté m’oblige à vous dire que dans les deux cas, l’universalisme affiché bute sur un réflexe communautaire. Et comme je l’ai dit, on ne peut pas être universaliste à Paris et communautariste à Jérusalem. Il faut choisir, parce qu’on ne parle pas ici d’un détail mais de ce qui est au fondement même d’une conception du monde. On ne peut pas venir me dire que tous les peuples sont frères, tous les peuples doivent être libres et émancipés, mais vous comprenez, les Israéliens, eux, faut les comprendre, avec la Shoah, il peuvent bien chasser et déposséder les Palestiniens si cela leur permet d’éviter de nouvelles et sanglantes persécutions. Cela revient à cautionner une injustice pour en réparer une autre. Je trouve que c’est tout de même un très, très gros problème…
[Je ne vois pas quel est le raisonnement qui vous fait aboutir à cette conclusion.]
L’exemple de Finkielkraut et celui de votre père me paraissent de nature à ouvrir une brèche sérieuse dans les belles idées universalistes…
[Des entités comme l’ensemble germanique ou la péninsule italienne, dont l’homogénéité ethnique et culturelle est bien plus forte (homogénéité linguistique dans le premier cas, homogénéité religieuse dans le second, homogénéité culturelle dans les deux cas) ont eu bien plus de mal à constituer une nation unifiée qu’un pays aussi hétérogènes que la France ou la Grande Bretagne.]
Oui, enfin il ne faut quand même pas exagérer l’hétérogénéité de la France, une terre qui a été romanisée dans son ensemble pendant cinq siècles durant l’Antiquité, et qui, pendant tout le Moyen Âge, participe de la civilisation féodale de l’Occident chrétien. C’est vrai, il y a des particularismes dans le Midi, en Bretagne, en Alsace. Mais enfin aucune région française n’a jamais été coupée complètement des autres, et dans bien des cas (Bretagne, Lorraine, Provence, Dauphiné), l’influence française s’est faite sentir bien avant l’annexion.
Quant à la Grande-Bretagne, je ne vois aucune nation britannique. Il y a une nation anglaise, une nation galloise, une nation écossaise. Parce que les différences culturelles étaient justement bien plus profondes qu’entre régions françaises.
Et, de la même façon, on aurait tort d’exagérer l’homogénéité de l’espace germanique ou de la péninsule italienne. Cela étant dit, il y a la question ethnico-culturelle, et il y a la question politique. Une population peut être relativement homogène mais divisée politiquement pour des raisons historiques. En revanche, un pays uni sans une relative homogénéité ethnico-culturelle, ça reste rare. L’Inde ou le Brésil peut-être? Mais peut-on parler de nation pour de tels états? Et je crois que ce sont des états fédéraux. Même la Russie ou la Chine s’organise autour d’un groupe ethnique dominant (les Slaves pour la première, les Han pour la seconde).
[La définition du génocide contient la formule « en totalité ou en partie »…]
Oui, mais “en partie”, c’est à partir de quelle proportion? 5 %? 10 %? Un juge s’est-il prononcé sur cette épineuse question? A partir de quel seuil on passe du “massacre” au “génocide”?
Srebrenica, c’est 8 372 morts officiellement recensés. En 1995, il y avait près de 4 millions d’habitants en Bosnie-Herzégovine, dont environ 50 % de Bosniaques musulmans. Je vous laisse faire le calcul…
Je lis sur Wikipédia que “Des experts onusiens considèrent que ce génocide appartient à une vaste campagne de « nettoyage ethnique » en Bosnie multiculturelle“. Je dois dire que la formulation me laisse songeur: que l’ensemble de la “campagne de nettoyage ethnique” s’apparente à un génocide, pourquoi pas. Mais pourquoi qualifier le seul massacre de Srebrenica de “génocide”? Il y a là pour moi un mystère.
[mais dans le cas d’Orwell, le seul reproche qu’on peut lui faire est d’avoir accepté de commenter une liste de nom des gens que l’IRD pensait pouvoir utiliser pour faire de la propagande anticommuniste.]
Je ne veux pas passer pour un défenseur acharné d’Orwell, mais si c’est là son seul “péché”, il faut avouer qu’il est assez léger… Surtout si on compare avec Doriot ou Déat!
[Orwell le dit d’ailleurs lui-même : « Bien sûr, j’ai conçu ce livre en premier lieu comme une satire de la révolution russe. […] La morale, selon moi, est que les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs dès que ceux-ci ont fait leur boulot. » (George Orwell, Lettre à Dwight Macdonald, 5 décembre 1946).]
Très intéressant. Il me semble que ce texte clot le débat sur les intentions d’Orwell puisqu’il les a lui-même explicitées. Dont acte.
@ Carloman
[« Je pense que vous sous-estimez le traumatisme qu’a pu être pour Finkielkraut la déportation de ses grands parents à Auschwitz, où ils sont morts, et de son père, qui y a survécu. » C’est probable en effet. Sans doute suis-je trop exigeant, je vous l’accorde. J’ai beaucoup d’admiration pour les grands intellectuels, et j’ai du mal à accepter qu’un grand esprit nie l’évidence. Mais si un homme de la stature intellectuelle de Finkielkraut est incapable de prendre du recul sur la manière dont l’Etat hébreu “gère” la question palestinienne, je tremble en imaginant ce qu’en pense le juif lambda…]
Le juif lambda ayant subi le même traumatisme que Finkielkraut irait probablement beaucoup plus loin…
[« Si les grands parents de Brasillach étaient morts dans un camp tenu par des antichrétiens, si son père y avait été déporté, je pense que son antisémitisme aurait été bien plus pardonnable… » Pardon mais la question n’est pas là. La question est de savoir si le magistère intellectuel dont peut se réclamer Alain Finkielkraut lui donne ou pas une part de responsabilité dans le déroulement d’une tragédie qui se produit aujourd’hui sous ses yeux, et non du temps de ses grands-parents.]
Je vous trouve ici manquer d’empathie. Une part de responsabilité ? Probablement. Mais pas tout à fait aussi importante que celle de Brasillach, qui a trahi son « magistère intellectuel » sans circonstances atténuantes. Voyez-vous, je peux comprendre que les intellectuels pacifistes de l’entre-deux-guerres aient d’une certaine façon trahi leur « magistère », autant j’ai tendance à leur accorder des circonstances atténuantes à ceux qui ont subi directe ou indirectement le traumatisme de la première guerre mondiale. Je peux comprendre que ceux qui ont perdu un père dans les tranchées aient été prêts à tout pour éviter une nouvelle boucherie, aussi irrationnelle qu’ait été leur attitude. Et de la même manière, je comprends que Finkielkraut soit incapable d’agir autrement qu’il le fait. Que cela trahit d’une certaine manière le magistère moral qu’il prétend exercer ? Oui, probablement.
[Et par ailleurs, les grands-parents de Finkielkraut ont été tués par les Allemands, les Palestiniens, eux, n’y étaient pour rien.]
Certes. Mais lorsqu’on a été éduqué dans l’idée que les juifs sont toujours menacés d’une nouvelle Shoah, et qu’Israël est la seule assurance qu’on puisse avoir contre une telle catastrophe, je peux comprendre qu’on ait du mal à prendre position contre la politique israélienne.
[Le fait d’être le descendant de gens persécutés, de gens qui ont souffert ne donne pas le droit de faire souffrir les autres, pas même de soutenir leurs bourreaux. Ou bien dois-je comprendre que vous “pardonneriez” à des Antillais qui soutiendraient des massacres de blancs en Europe au motif qu’ils descendent d’esclaves maltraités pendant des siècles? J’avoue trouver votre raisonnement étrange… et pas très rassurant.]
Essayez de comprendre. Je parle de psychologie, pas de justice. Je ne justifierait pas le lointain descendant d’esclaves, mais j’accorderai des circonstances atténuantes à celui dont les grands parents auront été horriblement assassinés, et dont le père aurait été envoyé à la mort et en aurait réchappé de justesse, de ne pas condamner ceux qui dirigent ce qui perçoit comme le seul refuge possible. Je ne dirais pas qu’il a raison, mais je comprendrais que psychologiquement il ne puisse pas agir autrement.
[« si Finkielkraut n’avait pas vécu la mort de ses grands-parents et la déportation de son père à Auschwitz, je serais d’accord avec vous. » Alain Finkielkraut est né le 30 juin 1949 à Paris. Il n’a, au sens strict, rien “vécu” du tout : ni la déportation, ni les mauvais traitements, et il n’a vu mourir aucun membre de sa famille. (…) Finkielkraut est le fils d’un survivant, il n’est pas lui-même un survivant]
Vivre avec un père qui porte sur les épaules le poids de cette expérience, cela ne doit pas être facile. Je pense là à Elisabeth Borne, dont le père, résistant juif passé par les camps de Buchenwald et d’Auschwitz, n’a jamais pu se réconcilier avec la vie et a fini par se suicider vingt ans plus tard. Elle avait parlé de ce traumatisme dans un reportage émouvant, et je pense que le cas de Finkielkraut ne doit pas être très différent.
[Vous allez trouver que je chipote, mais tout cela a son importance. Je ne dis pas que cette expérience de vie ne compte pas, mais il faut quand même la nuancer. Les souffrances de mes ancêtres ne sont pas et ne seront jamais mes souffrances.]
« De mes ancêtres » en général, non. De mon père… c’est déjà autre chose.
[Je me méfie des gens qui restent prisonniers d’une souffrance infligée à d’autres et qu’ils croient revivre par procuration. Mais vous me direz – et vous n’aurez pas complètement tort – que c’est facile de dire cela quand ses grands-parents n’ont pas fini à Auschwitz.]
Je ne voudrais pas être désagréable, mais c’est exactement ce que je vous dirais. Vous avez peut-être dans votre famille des gens dont le père est revenu des tranchées de 1914-18. J’ai connu des gens qui sont restés traumatisés par ce père qui ne parlait pas, qui pleurait quelquefois, qui avait des cauchemars ou des crises de panique en entendant certains bruits. Mais au moins ceux qui étaient dans les tranchées sentaient que leur sacrifice servait à quelque chose, qu’ils défendaient la patrie, et lorsqu’ils sont revenus ils ont été reconnus en héros. Alors imaginez ce que cela a du être pour ceux qui sont passés par l’enfer d’Auschwitz…
[Mais revenons sur le cas de votre père. Il était communiste, n’est-ce pas? Je ne crois pas trahir les valeurs du communisme en disant que les communistes se réclament d’un certain universalisme. Vous me dites par ailleurs que, contrairement à Finkielkraut, votre père n’a été touché que de manière beaucoup plus indirecte par la Shoah. Et pourtant, je vous cite: “[il] était un homme intelligent et pondéré, [mais qui] perdait toute rationalité quand il s’agissait d’Israël, qu’il percevait comme la seule barrière empêchant le recommencement de la Shoah.” Néanmoins, nous ne pouvons pas savoir ce que penserait votre père aujourd’hui s’il voyait ce que fait Israël. Peut-être reconsidérerait-il sa position?]
Probablement aurait-il moins de mal à le faire, parce que le traumatisme était moins profond. Son père a dû fuir son pays après un pogrom, et est parti faire l’Amérique. Et sa famille restée au pays a été exterminée par les nazis. Mais c’est tout de même moins grave que d’être soi-même passé par Auschwitz. Je ne sais pas s’il aurait changé sa position, mais je pense qu’il aurait été déchiré par la situation actuelle, et d’une certaine façon je suis content que la mort lui ait épargné ce déchirement.
[Je le redis: je tremble en imaginant ce que pensent des personnes moins intelligentes et moins pondérées…]
Et vous avez raison. Il n’y a qu’à voir ce qu’est devenue l’opinion publique israélienne…
[Et l’honnêteté m’oblige à vous dire que dans les deux cas, l’universalisme affiché bute sur un réflexe communautaire. Et comme je l’ai dit, on ne peut pas être universaliste à Paris et communautariste à Jérusalem.]
Je pense que vous faites ici une erreur d’analyse. Je pense que vous ne comprenez pas – et je ne vous fais pas le reproche, vous n’avez pas le vécu qui vous permettrait de le faire – ce que pouvait être la sensation de vulnérabilité totale que pouvait être celle des juifs de la génération de mes grands parents et de mes parents (qui étaient juste un peu plus âgés que Finkielkraut). Il y a une longue histoire de persécutions et de pogroms dans la plus grande indifférence générale, pour aboutir à la nuit de cristal et finalement à la Shoah. Pour mon père, la persécution antisémite n’était pas une possibilité lointaine – comme cela pourrait l’être pour moi – mais une peur quotidienne. Pour vous donner un exemple personnel, lorsque j’ai choisi d’aller travailler dans l’administration française, mon père m’a pris à part pour me dire « ne va pas là-bas, c’est risqué, tu verras, il y a beaucoup d’antisémitisme » – antisémitisme fantasmé dont je dois dire que je n’ai pas une seule fois vu la couleur, alors que j’ai eu parmi mes chefs et comme mes collaborateurs des chrétiens intégristes (détail comique : l’un d’eux, à qui j’avais envoyé des condoléances lors du décès de sa mère, et alors qu’il savait parfaitement mes origines, m’a envoyé en réponse une jolie carte « en remerciant ceux qui avaient partagé ma douleur dans l’amour du christ »…). Mais pour mon père, le risque était toujours là, toujours présent, presque tangible.
Pour cette génération qui partage cette vision paranoïaque, Israël apparaît comme le seul lieu de sécurité, le seul endroit où en cas de malheur on serait reçu et protégé. C’est pour cela qu’il faut le préserver, et nullement par « solidarité communautaire », mais par réflexe utilitaire de défense. On s’interdit de critiquer Israël parce qu’on risque d’en avoir besoin.
C’est d’ailleurs extraordinaire de voir combien l’expérience vitale est importante pour ce genre de questions. Alors que mon père a vécu son enfance et une partie de sa jeunesse dans une communauté juive relativement provinciale, qui conservait le vécu de la persécution en Europe, du côté de ma mère c’était des juifs urbains beaucoup plus ouverts à l’égard des non-juifs. Mon grand-père maternel était une personnalité dans la communauté, mais avait beaucoup plus d’amis et de relations non-juifs, et ne cultivait nullement le sentiment d’être persécuté. Ma mère, qui vit toujours, n’a jamais eu peur de l’antisémitisme… et aujourd’hui elle n’a aucun scrupule à critiquer la politique israélienne.
[Il faut choisir, parce qu’on ne parle pas ici d’un détail mais de ce qui est au fondement même d’une conception du monde. On ne peut pas venir me dire que tous les peuples sont frères, tous les peuples doivent être libres et émancipés, mais vous comprenez, les Israéliens, eux, faut les comprendre, avec la Shoah, ils peuvent bien chasser et déposséder les Palestiniens si cela leur permet d’éviter de nouvelles et sanglantes persécutions. Cela revient à cautionner une injustice pour en réparer une autre. Je trouve que c’est tout de même un très, très gros problème…]
Entendons-nous bien. Je n’ai jamais dit que la Shoah donnait aux Israéliens le moindre droit. Ce que j’ai dit, c’est schématiquement que la Shoah (et plus généralement le vécu de la persécution) explique pourquoi un homme comme Finkielkraut, quelque soit son intelligence, ne peut pas se résoudre à critiquer chez les Israéliens ce qu’il n’hésiterait pas à critiquer chez les autres. Je ne l’approuve pas, je le constate. C’est une faiblesse que je trouve trop humaine pour la condamner, mais je vous accorde qu’elle est problématique.
[« Je ne vois pas quel est le raisonnement qui vous fait aboutir à cette conclusion. » L’exemple de Finkielkraut et celui de votre père me paraissent de nature à ouvrir une brèche sérieuse dans les belles idées universalistes…]
Que voulez-vous, les idées les plus belles sont portées par des hommes, et les hommes sont faillibles…
[Oui, enfin il ne faut quand même pas exagérer l’hétérogénéité de la France, une terre qui a été romanisée dans son ensemble pendant cinq siècles durant l’Antiquité, et qui, pendant tout le Moyen Âge, participe de la civilisation féodale de l’Occident chrétien. C’est vrai, il y a des particularismes dans le Midi, en Bretagne, en Alsace.]
C’est bien plus que des « particularismes ». Il y a une réelle hétérogénéité linguistique, religieuse, juridique. On parlait dans le territoire de la France aujourd’hui des dialectes romans – avec deux groupes très différents entre le nord et le sud, mais aussi des langues germaniques (Alsace), celtes (Bretagne), ou même des isolats (Basque) En matière religieuse, les protestants ont été très influents dans certaines régions, beaucoup plus qu’en Italie, par exemple. Et finalement, pour ce qui concerne la matière juridique, si le droit romain est resté dominant dans le sud, le nord a oscillé entre le droit romain et le droit germanique.
[Mais enfin aucune région française n’a jamais été coupée complètement des autres, et dans bien des cas (Bretagne, Lorraine, Provence, Dauphiné), l’influence française s’est faite sentir bien avant l’annexion.]
Je n’ai pas très bien compris ce que vous appelez « coupée complètement des autres ». Sur le plan physique, la continuité est évidente. Mais dans l’ouest, un certain nombre de provinces sont restées longtemps sous la domination anglaise, et donc coupées des autres. A l’Est, l’Alsace est restée liée à la Mitteleuropa germanique pendant une bonne partie de son histoire.
[Quant à la Grande-Bretagne, je ne vois aucune nation britannique. Il y a une nation anglaise, une nation galloise, une nation écossaise. Parce que les différences culturelles étaient justement bien plus profondes qu’entre régions françaises.]
Pourtant, la « solidarité inconditionnelle » entre ces différents « pays » est très forte. Pour ce qui concerne le pays de Galles, l’union est complètement établie en 1535 (« Laws of Wales act », pour l’Ecosse il faut attendre 1707 (« Act of Union »).
[Et, de la même façon, on aurait tort d’exagérer l’homogénéité de l’espace germanique ou de la péninsule italienne. Cela étant dit, il y a la question ethnico-culturelle, et il y a la question politique. Une population peut être relativement homogène mais divisée politiquement pour des raisons historiques. En revanche, un pays uni sans une relative homogénéité ethnico-culturelle, ça reste rare. L’Inde ou le Brésil peut-être ?]
J’aurais tendance à proposer la Suisse… dont le noyau s’est constitué en 1291 avec le « pacte fédéral », et qui a survécu alors qu’il n’est en rien « homogène » ni ethnique, ni culturellement. Mais je proposerais aussi la France, dont l’unité ethnique et culturelle est artificielle, produit de l’action de l’Etat, et relativement récente.
Il est clair que pour que la nation se constitue il faut qu’il y ait un facteur d’unité. Certaines nations se sont constituées autour d’un peuple, c’est-à-dire, d’une unité ethno-culturelle, d’autre autour d’un Etat, par l’action politique et administrative. L’unité ethno-culturelle n’est donc pas à mon avis une condition sine qua non, mais plutôt l’un des facteurs possibles de constitution de la nation.
@ Descartes,
[Je vous trouve ici manquer d’empathie.]
Possible. Mais que dire alors du manque d’empathie d’Alain Finkielkraut ? Je laisse vos lecteurs juger…
[Mais pas tout à fait aussi importante que celle de Brasillach, qui a trahi son « magistère intellectuel » sans circonstances atténuantes.]
Soutenir, ou au moins laisser faire un génocide – je précise que c’est vous qui employez le terme pour Gaza – avec ou sans « circonstances atténuantes », je vous avoue en toute franchise que j’ai un peu de mal à voir la nuance… Un crime reste un crime.
[autant j’ai tendance à leur accorder des circonstances atténuantes à ceux qui ont subi directe ou indirectement le traumatisme de la première guerre mondiale.]
Et lorsque ces « circonstances atténuantes » amènent à épouser la cause du III° Reich, qu’en pensez-vous ? Vous savez, la tragédie pour l’homme, c’est que le monde est rarement comme on aimerait qu’il soit. Avoir l’honnêteté de regarder les faits, c’est une première étape, difficile sans doute, mais indispensable. On ne peut sans doute pas l’exiger de tout un chacun, mais celles et ceux qui sont incapables d’effectuer ce travail ne peuvent pas se réclamer d’un quelconque magistère intellectuel.
Je vais vous dire les choses sans prendre de gants : j’aurais espéré de la part de gens dont les grands-parents sont morts à Auschwitz un peu plus de compassion et d’ « empathie » comme vous dites à l’égard des Palestiniens, à l’heure où Gaza ressemble de plus en plus à un gigantesque camp de concentration à ciel ouvert, et où Israël devient chaque jour un peu plus une nation de soudards brutaux et de gardes-chiourme impitoyables. Mais bon, vous m’expliquez que ce n’est pas possible et que ces gens ont des « circonstances atténuantes ». Dans l’entretien que je citais, Alain Finkielkraut n’a parlé quasiment que d’Israël. Il n’a pas eu un mot, pas un seul, pour les Gazaouis. Pour lui, c’est Israël qui souffre de la politique de Netanyahou.
[Je peux comprendre que ceux qui ont perdu un père dans les tranchées aient été prêts à tout pour éviter une nouvelle boucherie, aussi irrationnelle qu’ait été leur attitude.]
Eh bien je ne suis pas d’accord. D’ailleurs, parmi « ceux qui ont perdu un père dans les tranchées », certains ont été assez lucides pour voir le danger. La pureté des intentions n’est pas un motif recevable. Nous savons tous que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.
[Mais lorsqu’on a été éduqué dans l’idée que les juifs sont toujours menacés d’une nouvelle Shoah, et qu’Israël est la seule assurance qu’on puisse avoir contre une telle catastrophe, je peux comprendre qu’on ait du mal à prendre position contre la politique israélienne.]
Vous pointez là je pense un élément intéressant : la confusion dans l’esprit de Finkielkraut de deux choses, à savoir la question de l’existence (et de la survie) d’Israël et la question de la politique que mène Israël à l’égard des Palestiniens. Ce sont deux choses différentes. Qu’Alain Finkielkraut, compte tenu de son histoire familiale, soit viscéralement attaché à l’existence de l’État d’Israël comme refuge nécessaire pour les juifs, je le comprends parfaitement. Mais cela n’entraîne pas mécaniquement qu’il faille cautionner la politique de violence systématique et de riposte disproportionnée adoptée par l’État hébreu à l’encontre des Palestiniens. Mon impression, c’est que pour Finkielkraut et d’autres, le 24 octobre 2023 a en quelque sorte sonné comme le début d’une 2ème Shoah. Je suis désolé, ça n’est pas le cas, et vous le savez aussi bien que moi. Qu’Alain Finkielkraut ait eu cette impression dans les semaines qui ont suivi l’attaque terroriste, encore une fois, on peut le comprendre. Qu’il le croit encore un an et demi après les faits est incompréhensible et atteste d’une forme de malhonnêteté intellectuelle. De ce point de vue, je trouve qu’Elie Barnavi, qui est Israélien, est nettement plus courageux et lucide. Il a certainement sa part de naïveté, il s’est sans doute bercé d’illusions sur le projet sioniste, mais au moins il arrive à regarder la situation en face, jusqu’à un certain point. Même Ehud Olmert – qui a contrairement à Finkielkraut une part de responsabilité dans la situation – parle de « crimes de guerre » commis par Israël !
[Je parle de psychologie, pas de justice.]
Quelle barrière psychologique selon vous pourrait empêcher un juif d’établir une forme de parallélisme entre la politique de purification ethnique menée par le III° Reich et celle menée par Israël ? Enfermer une population dans un espace restreint, la priver des éléments vitaux de subsistance, avant de l’écraser sous les bombes parce que dans son désespoir elle finit par se soulever, n’est-ce pas ce qui s’est produit dans le ghetto de Varsovie en 1943 ? Certes, avant le 7 octobre, les Israéliens ne déportaient pas les Gazaouis et ces derniers mangeaient à peu près à leur faim. Mais depuis le 7 octobre, le parallèle ne me paraît pas aussi obscène que certains le clameront…
Non, désolé, je ne comprends pas comment le fait d’avoir perdu ses grands-parents à Auschwitz, victimes de la cruauté hitlérienne, amène des gens sensés et sensibles à considérer avec un relatif détachement, voire dans le pire des cas une certaine bienveillance, l’action de la soldatesque israélienne quand celle-ci ne se conduit guère mieux qu’une division de Waffen SS.
[Pour cette génération qui partage cette vision paranoïaque, Israël apparaît comme le seul lieu de sécurité, le seul endroit où en cas de malheur on serait reçu et protégé. C’est pour cela qu’il faut le préserver, et nullement par « solidarité communautaire », mais par réflexe utilitaire de défense. On s’interdit de critiquer Israël parce qu’on risque d’en avoir besoin.]
Ce raisonnement ne peut que conduire les juifs qui le partagent à devenir des lobbyistes pro-israéliens dans les pays où ils vivent. Non seulement cela risque fort d’entraîner une résurgence de l’antisémitisme, mais de surcroît cela alimentera le soupçon que les juifs ne sont pas complètement loyaux envers leur patrie.
[Je ne l’approuve pas, je le constate. C’est une faiblesse que je trouve trop humaine pour la condamner, mais je vous accorde qu’elle est problématique.]
La question n’est pas que vous condamniez Finkielkraut ou pas. Le problème est que Finkielkraut se condamne lui-même. Voilà un homme qui a bâti sa légitimité, son aura, son magistère intellectuel sur les valeurs humanistes, universalistes, républicaines, un homme qui s’est efforcé de défendre « l’esprit français », la culture française, la sociabilité à la française, un homme qui s’est publiquement ému de la « décivilisation » en France, du progrès de l’ignorance, de la perte de références historiques, de l’ensauvagement de la société française. Et cet homme est capable de mettre tout cela de côté devant la sauvagerie abjecte – et de plus en plus documentée – que pratique Israël. Et vous me dites en substance : « mais cet aveuglement n’enlève rien à la pertinence de ses réflexions sur d’autres sujets ». Effectivement nous n’avons pas du tout la même vision de ce qu’est un intellectuel et de ce qui fonde sa légitimité. Vos lecteurs jugeront.
[On parlait dans le territoire de la France aujourd’hui des dialectes romans – avec deux groupes très différents entre le nord et le sud, mais aussi des langues germaniques (Alsace), celtes (Bretagne), ou même des isolats (Basque) En matière religieuse, les protestants ont été très influents dans certaines régions, beaucoup plus qu’en Italie, par exemple. Et finalement, pour ce qui concerne la matière juridique, si le droit romain est resté dominant dans le sud, le nord a oscillé entre le droit romain et le droit germanique.]
Je veux bien admettre qu’il y a deux France, celle du Midi, plus romaine, plus méditerranéenne, et celle du nord, plus germanique. Cela étant dit la totalité du territoire français (y compris l’Alsace) a fait partie de la Gaule romaine, et la matrice latine est donc commune, même si l’influence germanique a été plus forte au nord et à l’est. Vous parlez des différences linguistiques. Elles sont réelles, je ne le nie pas mais : 1) là encore, l’héritage latin est ultra-dominant, puisque les langues romanes dominent très largement l’espace français ; je rappelle d’ailleurs que langue d’oc et langue d’oïl restent intercompréhensibles pendant une partie du Moyen Âge, et que la « reconstruction » des langues régionales par des militants à partir du XIX° siècle a beaucoup fait pour accentuer les différences avec le français (qui avait évolué entre-temps) ; je signale également que la Haute Bretagne, partie la plus peuplée et la plus riche de la région, passe à la langue d’oïl bien avant le rattachement à la France ; 2) le latin est langue de savoir et de culture partout, et jusqu’à la fin du Moyen Âge, c’est une langue vivante et parlée chez les élites (particulièrement le clergé et les juristes), et pas qu’en France d’ailleurs. Un rapide coup d’œil sur une carte montre que les langues non-romanes ne sont parlées que dans des espaces géographiques restreints, périphériques et longtemps assez peu peuplés (Basse Bretagne, Pays basque). Je vous accorde que l’Alsace est un cas à part : on peut parler pour le coup d’un territoire détaché de son espace germanique d’origine pour intégrer la France.
Je précise d’ailleurs que j’ai découvert récemment que ce caractère « latin » de la France était déjà bien affirmé à la fin du Moyen Âge : ainsi, les tentatives du duc de Bourgogne Charles le Téméraire – perçu comme « Français » outre-Rhin malgré ses démêlés avec Louis XI – d’établir son contrôle sur plusieurs territoires relevant du Saint Empire au XV° siècle a été perçu comme une menace « latine » par les élites germaniques, à une époque où l’identité allemande du Saint-Empire s’affirme de plus en plus (on voit apparaître l’expression, en latin et en allemand, de « Saint Empire romain de la nation allemande »). Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les historiens Francis Rapp (spécialiste de l’espace germanique à la fin du Moyen Âge) et Jean-Baptiste Santamaria (spécialiste de l’histoire politique et du gouvernement princier en France à la fin du Moyen Âge).
Sur le protestantisme : oui, il y a des régions où, localement, il a eu une influence. Mais il faut rappeler que : 1) aucune région française n’a été intégralement protestante, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ; 2) l’influence protestante sur la mentalité française reste très marginale. Il suffit de comparer la France avec les pays anglo-saxons.
Alors, c’est vrai la France n’a pas toujours été une nation au sens moderne du terme. Elle n’a jamais eu, eu égard à sa taille, une parfaite homogénéité linguistique ou culturelle. Pour autant, elle n’était pas tout à fait cette société « multiculturelle et diverse » qu’on se plaît à imaginer de nos jours dans les milieux immigrationnistes. Le poids de l’héritage romain et du catholicisme ont été de puissants ferments d’unité. La stabilité démographique (l’arrivée des Normands au X° siècle mettant un terme aux invasions/migrations commencée à la fin de l’Antiquité).
[Mais dans l’ouest, un certain nombre de provinces sont restées longtemps sous la domination anglaise, et donc coupées des autres.]
Vous avez raison pour l’Aquitaine et la Gascogne. Mais Philippe Auguste a pris quasiment tout le reste (Normandie, Anjou, Maine, Poitou) dès le début du XIII° siècle. Toutes les tentatives des souverains anglais pour reprendre ces provinces se solderont par des reconquêtes éphémères et des échecs.
[Pourtant, la « solidarité inconditionnelle » entre ces différents « pays » est très forte. Pour ce qui concerne le pays de Galles, l’union est complètement établie en 1535 (« Laws of Wales act », pour l’Ecosse il faut attendre 1707 (« Act of Union »).]
Je ne sais pas. Si ma mémoire ne me trompe pas, les sécessionnistes ont raté de peu la victoire au dernier référendum sur l’indépendance de l’Écosse.
[Mais je proposerais aussi la France, dont l’unité ethnique et culturelle est artificielle, produit de l’action de l’Etat, et relativement récente.]
L’unité d’un pays de la taille et de la situation – au carrefour de l’Europe du nord et de l’Europe du sud – de la France ne peut qu’être artificielle. Mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle est « relativement récente », au contraire je vois des éléments d’unité apparaître dès le Moyen Âge central. Et c’est peut-être cette ancienneté qui sauvera le pays.
@ Carloman
[« Je vous trouve ici manquer d’empathie. » Possible. Mais que dire alors du manque d’empathie d’Alain Finkielkraut ? Je laisse vos lecteurs juger…]
En attendant que d’autres lecteur fassent connaître leur réponse, je vous donne la mienne : oui, Finkielkraut manque lui aussi d’empathie. Le traumatisme qui vient de son histoire familiale l’empêche de se mettre à la place de l’autre. Je n’ai jamais dit le contraire.
[« autant j’ai tendance à leur accorder des circonstances atténuantes à ceux qui ont subi directe ou indirectement le traumatisme de la première guerre mondiale. » Et lorsque ces « circonstances atténuantes » amènent à épouser la cause du III° Reich, qu’en pensez-vous ?]
Je ne sais pas vous répondre in abstracto. Avez-vous un exemple précis en tête ?
[Vous savez, la tragédie pour l’homme, c’est que le monde est rarement comme on aimerait qu’il soit. Avoir l’honnêteté de regarder les faits, c’est une première étape, difficile sans doute, mais indispensable. On ne peut sans doute pas l’exiger de tout un chacun, mais celles et ceux qui sont incapables d’effectuer ce travail ne peuvent pas se réclamer d’un quelconque magistère intellectuel.]
Comme vous dites, le monde est rarement comme on aimerait qu’il soit, et cela est encore plus vrai pour les hommes. Chacun de nous, même les plus grands, ont leur « angle mort ». Celui de Finkielkraut est de ne pas pouvoir prendre de la distance avec son drame familial, prise de distance indispensable pour avoir un regard lucide. Est-ce que cela compromet le « magistère intellectuel » de Finkielkraut ? Certainement, du moins pour ce qui concerne la thématique en question.
[Je vais vous dire les choses sans prendre de gants : j’aurais espéré de la part de gens dont les grands-parents sont morts à Auschwitz un peu plus de compassion et d’ « empathie » comme vous dites à l’égard des Palestiniens, à l’heure où Gaza ressemble de plus en plus à un gigantesque camp de concentration à ciel ouvert, et où Israël devient chaque jour un peu plus une nation de soudards brutaux et de gardes-chiourme impitoyables. Mais bon, vous m’expliquez que ce n’est pas possible et que ces gens ont des « circonstances atténuantes ».]
L’Haggadah de Pâques, le texte qui est lu lors de la célébration de la pâque juive, qui commémore la libération des juifs de l’esclavage en Egypte, se clôt sur la formule « souviens toi que toi aussi tu as été esclave ». Cette formule résume parfaitement, je pense ce que vous voulez dire. Mais malheureusement, les hommes ne sont pas ainsi faits, et c’est faire preuve d’un grand idéalisme que de croire que placés en position d’oppresseurs les peuples – et les juifs ne font pas exception – se souviendront de ce que cela fait d’être de l’autre côté. Pire : le fait d’avoir été persécuté sert d’excuse justificative de la plus grande brutalité.
La formule « circonstances atténuantes » est, je vous l’accorde, malheureuse. Il ne s’agit pas pour moi de réduire la peine à laquelle vous condamnez Finkielkraut, mais de vous faire comprendre quel est le mécanisme qui rend impossible un autre comportement.
[« Je peux comprendre que ceux qui ont perdu un père dans les tranchées aient été prêts à tout pour éviter une nouvelle boucherie, aussi irrationnelle qu’ait été leur attitude. » Eh bien je ne suis pas d’accord. D’ailleurs, parmi « ceux qui ont perdu un père dans les tranchées », certains ont été assez lucides pour voir le danger. La pureté des intentions n’est pas un motif recevable. Nous savons tous que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.]
Ceux qui ont été « assez lucide » pour prendre de la distance et voir le danger malgré leur expérience méritent certainement d’être reconnus. Mais faut-il condamner ceux que leur traumatisme a aveuglé ? C’est là toute la question. Quant à la « pureté des intentions », ce n’est pas là mon point. Ce que je souligne, c’est le fait que certains traumatismes vous empêchent de faire une analyse lucide de la situation, qu’ils génèrent une sorte de réponse réflexe. La pureté des intentions n’a rien à voir.
[Vous pointez là je pense un élément intéressant : la confusion dans l’esprit de Finkielkraut de deux choses, à savoir la question de l’existence (et de la survie) d’Israël et la question de la politique que mène Israël à l’égard des Palestiniens. Ce sont deux choses différentes. Qu’Alain Finkielkraut, compte tenu de son histoire familiale, soit viscéralement attaché à l’existence de l’État d’Israël comme refuge nécessaire pour les juifs, je le comprends parfaitement. Mais cela n’entraîne pas mécaniquement qu’il faille cautionner la politique de violence systématique et de riposte disproportionnée adoptée par l’État hébreu à l’encontre des Palestiniens.]
Bien entendu. Mais le ressort de la réaction de Finkielkraut – et de beaucoup de juifs de sa génération – n’est pas là. La peur d’une nouvelle Shoah, la conviction qu’Israël est la seule digue contre la catastrophe conduit à refuser TOUTE critique de la politique israélienne, quelle qu’elle soit. Pour le dire autrement, je pense que Finkielkraut aurait condamné quiconque aurait critiqué la politique israélienne sans même savoir en quoi consistait la politique incriminée. La logique que je vous décrit n’est pas celle de cautionner telle ou telle politique, c’est de rejeter tout ce qui pourrait affaiblir la position israélienne. Ce qui revient, je vous l’accorde, à cautionner implicitement n’importe quoi.
[Mon impression, c’est que pour Finkielkraut et d’autres, le 7 octobre 2023 a en quelque sorte sonné comme le début d’une 2ème Shoah. Je suis désolé, ça n’est pas le cas, et vous le savez aussi bien que moi.]
Bien entendu. Personnellement, je ne me suis jamais senti menacé par une répétition de la Shoah. Mais pour Finkielkraut je pense – c’était le cas pour mon père, en tout cas – la deuxième Shoah peut commencer à n’importe quel moment. Chaque signe, du jet de peinture sur la face d’une synagogue à l’attaque du 7 octobre, c’est le signe que la bête immonde s’apprête à sortir de sa tanière. Et devant ce risque, on ne peut se permettre d’affaiblir le seul lieu de refuge sûr que nous ayons sur cette terre, quand bien même ses dirigeants seraient devenus fous. Je ne sais peut-être pas bien l’expliquer, et je m’en excuse, mais c’est quelque chose qu’il faut avoir vécu pour le comprendre.
[Qu’Alain Finkielkraut ait eu cette impression dans les semaines qui ont suivi l’attaque terroriste, encore une fois, on peut le comprendre. Qu’il le croit encore un an et demi après les faits est incompréhensible et atteste d’une forme de malhonnêteté intellectuelle.]
Ce que j’essaye de vous faire comprendre, c’est qu’il n’y a justement pas de malhonnêteté intellectuelle, mais une incapacité traumatique à regarder le réel en face.
[De ce point de vue, je trouve qu’Elie Barnavi, qui est Israélien, est nettement plus courageux et lucide.]
Mais justement, Barnavi n’a pas du tout la même histoire. Son père n’a pas été une victime, mais un combattant dans l’armée rouge. Et cela change beaucoup de choses. Par ailleurs, pour Finkielkraut Israël est une sorte d’abstraction, un lieu ou les juifs peuvent se réfugier en cas de malheur. Pour Barnavi, qui a vécu longtemps en Israël avant d’aller s’installer ailleurs, c’est une réalité…
[Même Ehud Olmert – qui a contrairement à Finkielkraut une part de responsabilité dans la situation – parle de « crimes de guerre » commis par Israël !]
Même remarque : Olmert est fils de juifs qui ont quitté la Russie en 1919, et qui se sont installés dans la Palestine mandataire en 1933.
[Quelle barrière psychologique selon vous pourrait empêcher un juif d’établir une forme de parallélisme entre la politique de purification ethnique menée par le III° Reich et celle menée par Israël ?]
Je crois que je l’ai expliqué plus haut : il y a une barrière psychologique qui interdit de critiquer Israël, quoi qu’il puisse faire. Parce que critiquer Israël, c’est affaiblir le seul refuge ou les juifs puissent se sentir en sécurité. Critiquer Israël, c’est d’une certaine façon accepter qu’on n’est en sécurité nulle part.
[Enfermer une population dans un espace restreint, la priver des éléments vitaux de subsistance, avant de l’écraser sous les bombes parce que dans son désespoir elle finit par se soulever, n’est-ce pas ce qui s’est produit dans le ghetto de Varsovie en 1943 ? Certes, avant le 7 octobre, les Israéliens ne déportaient pas les Gazaouis et ces derniers mangeaient à peu près à leur faim. Mais depuis le 7 octobre, le parallèle ne me paraît pas aussi obscène que certains le clameront…]
Vous n’avez pas besoin de me convaincre moi. Je suis convaincu par avance. Ce que j’essaye de vous expliquer, c’est pourquoi l’expérience traumatique empêche un homme comme Finkielkraut de voir ce qui pour vous et pour moi paraît évident.
[« Pour cette génération qui partage cette vision paranoïaque, Israël apparaît comme le seul lieu de sécurité, le seul endroit où en cas de malheur on serait reçu et protégé. C’est pour cela qu’il faut le préserver, et nullement par « solidarité communautaire », mais par réflexe utilitaire de défense. On s’interdit de critiquer Israël parce qu’on risque d’en avoir besoin. » Ce raisonnement ne peut que conduire les juifs qui le partagent à devenir des lobbyistes pro-israéliens dans les pays où ils vivent. Non seulement cela risque fort d’entraîner une résurgence de l’antisémitisme, mais de surcroît cela alimentera le soupçon que les juifs ne sont pas complètement loyaux envers leur patrie.]
Je ne vous le fais pas dire… Personnellement, j’ai toujours combattu ce tropisme.
[La question n’est pas que vous condamniez Finkielkraut ou pas. Le problème est que Finkielkraut se condamne lui-même. Voilà un homme qui a bâti sa légitimité, son aura, son magistère intellectuel sur les valeurs humanistes, universalistes, républicaines, un homme qui s’est efforcé de défendre « l’esprit français », la culture française, la sociabilité à la française, un homme qui s’est publiquement ému de la « décivilisation » en France, du progrès de l’ignorance, de la perte de références historiques, de l’ensauvagement de la société française. Et cet homme est capable de mettre tout cela de côté devant la sauvagerie abjecte – et de plus en plus documentée – que pratique Israël. Et vous me dites en substance : « mais cet aveuglement n’enlève rien à la pertinence de ses réflexions sur d’autres sujets ». Effectivement nous n’avons pas du tout la même vision de ce qu’est un intellectuel et de ce qui fonde sa légitimité. Vos lecteurs jugeront.]
Laissons-les juger. Mais en attendant, effectivement, nous n’avons pas la même vision de ce qu’est un intellectuel. Pour moi, un intellectuel n’est pas un gourou, ni même un guide. C’est un homme que je peux trouver supérieurement intelligent, qui m’enrichit de choses que je n’aurais pas pu penser par moi-même, mas un homme quand même, avec les défauts et les faiblesses humaines. Et c’est pourquoi, même lorsque je l’admire, je garde alerte mon sens critique et je ne prends pas son discours pour de l’argent comptant. Et lorsque ces faiblesses apparaissent, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Finkielkraut a écrit des choses très intéressantes sur l’identité, sur mai 1968, sur beaucoup d’autres sujets. Et ces textes ne perdent rien du fait que Finkielkraut soit incapable de voir le réel dans toute son horreur lorsqu’il s’agit d’Israël.
[(…) Alors, c’est vrai la France n’a pas toujours été une nation au sens moderne du terme. Elle n’a jamais eu, eu égard à sa taille, une parfaite homogénéité linguistique ou culturelle. Pour autant, elle n’était pas tout à fait cette société « multiculturelle et diverse » qu’on se plaît à imaginer de nos jours dans les milieux immigrationnistes. Le poids de l’héritage romain et du catholicisme ont été de puissants ferments d’unité.]
C’était bien mon point : ce n’est pas l’homogénéité ethno-culturelle qui fut le « puissant ferment d’unité », mais les institutions : l’Eglise, le droit, et l’Etat – que vous ne mentionnez pas. La peninsule italienne est bien plus homogène du point de vue ethno-culturel, et pourtant son unité nationale est beaucoup plus tardive.
[L’unité d’un pays de la taille et de la situation – au carrefour de l’Europe du nord et de l’Europe du sud – de la France ne peut qu’être artificielle. Mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle est « relativement récente », au contraire je vois des éléments d’unité apparaître dès le Moyen Âge central. Et c’est peut-être cette ancienneté qui sauvera le pays.]
Votre commentaire ne contredit pas le mien. L’unité – le résultat – est relativement récente, mais le processus qui y aboutit s’est amorcé, comme vous le dites, dès le moyen-âge. Certains placent cette amorce symboliquement à la victoire de Bouvines sous Philippe Auguste en 1214, d’autres préfèrent le situer moins symboliquement à l’édit de 1318 pris par Philippe V qui sépare le domaine royal du domaine privé.
@ Descartes et Carloman
[Mais lorsqu’on a été éduqué dans l’idée que les juifs sont toujours menacés d’une nouvelle Shoah, et qu’Israël est la seule assurance qu’on puisse avoir contre une telle catastrophe, je peux comprendre qu’on ait du mal à prendre position contre la politique israélienne.]
Moi, non. Pas après un an et demi à bombarder femmes, enfants, hôpitaux, écoles, etc. Et à les affamer désormais.
[Pire : le fait d’avoir été persécuté sert d’excuse justificative de la plus grande brutalité]
C’est pire, en effet.
[je pense que Finkielkraut aurait condamné quiconque aurait critiqué la politique israélienne sans même savoir en quoi consistait la politique incriminée.]
Je le pense aussi. C’est d’autant plus insupportable de la part de quelqu’un qui se présente en tant qu’intellectuel, qui est donc censé être une sorte de vigie, de savoir prendre du recul grâce à sa culture, sa capacité d’analyse.
[c’est pourquoi l’expérience traumatique empêche un homme comme Finkielkraut de voir ce qui pour vous et pour moi paraît évident.]
Oui et non. Carloman rappelle à juste titre que Finkielkraut est né après la guerre, qu’il n’a donc pas lui-même vécu cette “expérience traumatique”. Et quand bien même l’aurait-il vécue, serait-ce une “excuse” pour ne pas voir “l’expérience traumatique” que les Gazaouis vivent en ce moment avec Israël à la manœuvre ?
L’incapacité de Finkielkraut à réussir à prendre du recul est sidérante.
[Et ces textes ne perdent rien du fait que Finkielkraut soit incapable de voir le réel dans toute son horreur lorsqu’il s’agit d’Israël.]
Peut-être. Mais sa parole sur tout ce qui touche à Israël est totalement discréditée. C’est d’autant plus décevant de la part de quelqu’un qui se présente avec une “stature” de penseur.
[En attendant que d’autres lecteur fassent connaître leur réponse]
Je comprends les arguments de Descartes, sur ce qui “englue” Finkielkraut dans son aveuglement sur Israël, sur l’aspect “psychologique”, sur les ressorts profonds qui sont activés ; je suis cependant du même avis que Carloman, dont les arguments, pour moi, l’emportent.
La cécité de Finkielkraut sur la massacre/génocide en cours est inexcusable. Sa qualité d’intellectuel aggrave son cas.
@ Bob
[« Mais lorsqu’on a été éduqué dans l’idée que les juifs sont toujours menacés d’une nouvelle Shoah, et qu’Israël est la seule assurance qu’on puisse avoir contre une telle catastrophe, je peux comprendre qu’on ait du mal à prendre position contre la politique israélienne. » Moi, non. Pas après un an et demi à bombarder femmes, enfants, hôpitaux, écoles, etc. Et à les affamer désormais.]
Le CONTENU de la politique n’a aucune importance. Pour les juifs de cette génération, il est psychologiquement très difficile de faire quoi que ce soit qui puisse affaiblir Israël, parce qu’Israël apparaît comme la seule planche de salut dans un monde hostile. Et lorsqu’on a des grands parents morts à Auschwitz et un père qui y a été déporté, je peux comprendre que la difficulté devienne impossibilité.
Cela vous permet de comprendre pourquoi la propagande sioniste agite en permanence le spectre de l’antisémitisme. Par ce biais, on maintien actif ce réflexe – et on arrive en partie à le transmettre aux nouvelles générations, du moins celles qui conservent une vie communautaire.
[« je pense que Finkielkraut aurait condamné quiconque aurait critiqué la politique israélienne sans même savoir en quoi consistait la politique incriminée. » Je le pense aussi. C’est d’autant plus insupportable de la part de quelqu’un qui se présente en tant qu’intellectuel, qui est donc censé être une sorte de vigie, de savoir prendre du recul grâce à sa culture, sa capacité d’analyse.]
Je pense que vous demandez beaucoup d’un intellectuel. La culture, la capacité d’analyse n’abolissent pas l’inconscient. On peut être le plus grand philosophe, le plus grand intellectuel du monde, et avoir la phobie des araignées ou celle des ascenseurs. Et bien, comme d’autres ont une peur panique des araignées qui dépasse toute raison, Finkielkraut et beaucoup de juifs de sa génération ont une peur panique, irrationnelle, de tout ce qui peut affaiblir Israël.
[« c’est pourquoi l’expérience traumatique empêche un homme comme Finkielkraut de voir ce qui pour vous et pour moi paraît évident. » Oui et non. Carloman rappelle à juste titre que Finkielkraut est né après la guerre, qu’il n’a donc pas lui-même vécu cette “expérience traumatique”.]
Savoir que vos grands parents ont péri dans les chambres à gaz, vivre son enfance avec un père qui porte en lui le poids de la culpabilité du survivant, j’appelle cela un « traumatisme ». Même s’il n’a pas été lui-même déporté.
[Et quand bien même l’aurait-il vécue, serait-ce une “excuse” pour ne pas voir “l’expérience traumatique” que les Gazaouis vivent en ce moment avec Israël à la manœuvre ? L’incapacité de Finkielkraut à réussir à prendre du recul est sidérante.]
Je ne cherche pas des excuses à personne, j’essaye de comprendre. Ayant connu des gens de la génération de Finkielkraut qui ont vécu comme lui « par procuration » ce type de traumatisme, sa réaction ne me surprend pas. Après, si vous voulez le condamner, c’est votre affaire.
[Peut-être. Mais sa parole sur tout ce qui touche à Israël est totalement discréditée. C’est d’autant plus décevant de la part de quelqu’un qui se présente avec une “stature” de penseur.]
Comme je vous l’ai dit, vous demandez trop des intellectuels… Mais pour ce qui concerne la parole de Finkielkraut sur Israël, je suis d’accord, elle est totalement discréditée. Et elle l’était avant. D’une manière générale, on ne peut demander à un intellectuel de penser avec la tête froide quelque chose qui le touche aussi intimement. Quelque soient ses qualités humaines et intellectuelles, il ne peut tout simplement pas prendre la distance nécessaire. La seule chose qu’on peut reprocher à Finkielkraut, c’est de ne pas avoir conscience de cette limite, ce qui aurait du le pousser à garder le silence. Il se serait grandi en déclarant “cela me touche de trop près pour pouvoir prendre position en tant qu’intellectuel”.
@ Descartes
[Et bien, comme d’autres ont une peur panique des araignées qui dépasse toute raison, Finkielkraut et beaucoup de juifs de sa génération ont une peur panique, irrationnelle, de tout ce qui peut affaiblir Israël.]
A un point tel qu’il occulte ce qui crève les yeux du monde entier, soit les massacres en cours à Gaza, de peur d’éventuellement affaiblir Israël. A ce niveau de phobie, un traitement médical s’impose, pour sa propre santé mentale.
@ Bob
[A un point tel qu’il occulte ce qui crève les yeux du monde entier, soit les massacres en cours à Gaza, de peur d’éventuellement affaiblir Israël. A ce niveau de phobie, un traitement médical s’impose, pour sa propre santé mentale.]
Vous savez, si vous traitiez tous ceux qui ont des phobies, les professionnels ne chômeraient pas.
@ Descartes
[La seule chose qu’on peut reprocher à Finkielkraut, c’est de ne pas avoir conscience de cette limite, ce qui aurait du le pousser à garder le silence. Il se serait grandi en déclarant “cela me touche de trop près pour pouvoir prendre position en tant qu’intellectuel”.]
Cela me paraît inconcevable que Finkielkraut ne se rende pas compte de cette limite ; si c’est le cas, c’est bien dommage et on ne peut pas grand-chose pour lui.
Vous faites montre d’une mansuétude certaine à son égard. Étant donné le biais de jugement qui est le sien, garder le silence sur la tragédie en cours à Gaza aurait été la moindre des choses. Il se serait grandi s’il avait réussi à s’extraire de son histoire familiale afin de prendre le recul nécessaire pour voir le réel avec lucidité.
@ Bob
[Cela me paraît inconcevable que Finkielkraut ne se rende pas compte de cette limite ; si c’est le cas, c’est bien dommage et on ne peut pas grand-chose pour lui.]
Non, on ne peut pas grande chose pour lui. On est dans le domaine de l’irrationnel, de la phobie.
[Vous faites montre d’une mansuétude certaine à son égard.]
J’ai une certaine tendance à la bienveillance envers les limites de mes semblables… si vous exigez des autres qu’ils soient parfaits pour les admirer, vous n’admirerez pas grand monde…
[Étant donné le biais de jugement qui est le sien, garder le silence sur la tragédie en cours à Gaza aurait été la moindre des choses. Il se serait grandi s’il avait réussi à s’extraire de son histoire familiale afin de prendre le recul nécessaire pour voir le réel avec lucidité.]
Certainement. Mais cette grandeur n’est pas donnée à tout le monde.
@ Descartes
[Je pense que vous sous-estimez le traumatisme qu’a pu être pour Finkielkraut la déportation de ses grands parents à Auschwitz, où ils sont morts, et de son père, qui y a survécu.]
Je ne peux que ressentir de l’empathie pour cette souffrance. Toutefois, ce que je ne comprends pas, c’est que pour beaucoup de sionistes, ce réflexe émotionnel semble à géométrie variable. Quand Netanyahu utilise la mémoire de la Shoah pour lancer des accusations d’antisémitisme complètement farfelues, ou pour justifier une politique de nettoyage ethnique, ça ne choque pas. Je suis moi-même, goyissime parmi les goys, écoeuré par la récupération mémorielle opérée par le gouvernement israélien, qui apparaît comme un compétiteur féroce aux pires antisémites lorsqu’il s’agit de salir la mémoire des victimes de la Shoah… Et ça, ça n’a pas l’air de gêner.
@ BolchoKek
Bonjour BolchoKek, un plaisir de voir que tu fréquentes encore ces pages…
[Je ne peux que ressentir de l’empathie pour cette souffrance. Toutefois, ce que je ne comprends pas, c’est que pour beaucoup de sionistes, ce réflexe émotionnel semble à géométrie variable.]
Non, justement. C’est un réflexe constant: chaque fois que quelque chose peut affaiblir la position de l’Etat d’Israel, le réflexe est de le défendre. Le réflexe n’est pas de défendre une politique donnée, et c’est d’ailleurs pourquoi elle n’est jamais discutée. Finkielkraut ne se demande même pas si la politique mise en oeuvre aujourd’hui à Gaza est efficace pour combattre le Hamas, si elle a des chances de réaliser ses objectifs. La seule chose qui le fait réagir, c’est qu’Israël est critiqué.
Si vous me permettez de renchérir… Le contexte nous est encore moins favorable, en vérité. Non seulement, le traité de 1935 est virtuellement nul depuis la mort de Barthou et son remplacement par Laval, mais chaque année qui nous sépare du pacte germano-soviétique donnera de nouvelles raisons à l’Union soviétique de ne plus y voir qu’un piège.
En 1936, nous rapporte Duroselle, la non-intervention est votée à la demande de l’Italie, par crainte de la guerre pour certains, mais aussi dans l’espoir, pour d’autres, que l’intervention russe déclenche les hostilités à l’est. C’est un échec.
En 1937, c’est une campagne médiatique qui est lancée pour faire des Ukrainiens les victimes de l’Union soviétique, que leurs frères allemands devraient aller délivrer. C’est un échec.
En 1938, Benes est entretenu dans l’idée que la France et la Grande-Bretagne interviendrait, afin de pousser l’Union soviétique à intervenir contre l’Allemagne, comme elle le réclamait. Seulement, le pacte germano-polonais lui interdisait le passage vers l’Allemagne ; l’Union soviétique réclamait que la France et la Grande-Bretagne fissent pression sur la Pologne pour que le passage des troupes ne fut pas traité comme une invasion, qui eût permis à l’Allemagne de soutenir la Pologne contre l’Union soviétique. Les protestations à l’égard de Benes étaient autant d’incitations à l’égard de l’Union soviétique, qu’on entretenait mensongèrement de manoeuvres diplomatiques à l’égard de la Pologne, sur le mode “t’inquiète, vas-y, ça le fera”, en espérant que le conflit éclate à l’est. Ce fut un échec.
(Notons au passage que Ryti, en Finlande, sera victime de la même manoeuvre : soutenu jusqu’au bout puis lâché en rase campagne, dans l’espoir cette fois-ci que ce soit l’Allemagne qui se tourne contre l’Union soviétique.)
En 1939, c’est au tour de la Pologne de subir le même sort. Seulement, cette fois-ci, l’Union soviétique n’a plus l’intention de risquer de se faire rouler dans la farine par des alliés qui, non seulement manquent de bonne fois, mais encore ont tenté tous les ans de provoquer une guerre à ses dépens, en comptant sur les forces de la puissance que l’alliance de revers devait justement contenir.
Pardon, mais si ce n’avait pas été d’affreux bolchéviques au couteaux entre les dents, qui songerait à ne pas reconnaître le bien fondé d’une telle politique ? A tout prendre, nous avons hélas tout fait pour susciter la défiance de celle qui aurait dû nous soutenir – et elle le réclamait depuis une demi-douzaine d’années -, et qui le fera objectivement malgré nous, en son heure.
Le pacte germano-soviétique aura été désastreux pour nous, c’est entendu ; mais ce désastre aurait été entièrement évité si nous n’avions pas tout fait pour le provoquer. L’anticommunisme, en accouplant un pacifisme stupide à l’égard de l’Allemagne, et des velléités guerrières à l’égard de l’Union soviétique, enfanta d’un rejeton qui le mordit au berceau.
@ Louis
[Le pacte germano-soviétique aura été désastreux pour nous, c’est entendu ; mais ce désastre aurait été entièrement évité si nous n’avions pas tout fait pour le provoquer. L’anticommunisme, en accouplant un pacifisme stupide à l’égard de l’Allemagne, et des velléités guerrières à l’égard de l’Union soviétique, enfanta d’un rejeton qui le mordit au berceau.]
Merci de votre mise au point historique. Etant déjà catalogué par certains commentateurs comme “pro-russe”, je n’aurais pas osé aller autant dans les détails… Et oui, le désastre aurait pu être évité si la France n’avait pas été aveuglée par la combinaison de l’anticommunisme de la droite et des socialistes et le pacifisme de la gauche. Mais il y a un troisième paramètre qu’il ne faut pas oublier, et c’est le poids de la “petite France”, ce provincialisme paresseux que Marc Bloch a si bien dépeint, et qui empêchait de prendre conscience de l’échelle des évènements. Laval et son “alliance italienne” représentent très bien ce courant.
Comment ça, “pas la conscience tranquille” ? Là, vous êtes en pleine bouffée délirante ! Si vraiment vous mettez sur le même plan les mollahs, les Talibans et les braves curés polaks, là, vraiment, je ne peux rien pour vous.
@ maleyss
[Comment ça, “pas la conscience tranquille” ? Là, vous êtes en pleine bouffée délirante ! Si vraiment vous mettez sur le même plan les mollahs, les Talibans et les braves curés polaks, là, vraiment, je ne peux rien pour vous.]
Pardon, mais c’est vous, et non pas moi, qui “les met sur le même plan”. Moi, je me suis contenté de dire que certains bienpensants avaient “pavé la voie des Talibans en Afghanistan, des mollahs en Iran, des cléricaux en Pologne”. C’est là un fait historique vérifiable, et rien dans ma formule n’indique une “mise sur le même plan” des trois catégories. Le fait que vous voyez une comparaison là où il n’y a qu’une simple énumération me semble très révélateur…
Vous avez bien eu raison d’éviter de commenter l’audition de Bayrou qui n’est jamais qu’un médiocre politicien de la génération de Mélenchon 1951; il serait temps qu’ils prennent leurs retraites. Je n’écoute plus cette classe dirigeante tant elle est consternante de médiocrité. Elle est légale mais illégitime parce qu’elle a bafoué le vote populaire du 29 mai 2005. Illégitime parce qu’elle n’a pas de vrai consentement populaire, seulement par défaut.
Quant à la définition de génocide elle me parait si extensive qu’on peut se demander s’il n’y a pas une guerre sans génocide. En Ukraine les Russes ne commettent-ils pas un génocide ? On se focalise sur cette dernière et celle à Gaza mais les Occidentaux passent sous silence tout ce qui se passe dans l’est de la RDC depuis plus de 20 ans où il ne faut rien dire parce que Paul Kagamé joue sur notre culpabilité du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
Pour en revenir à la guerre à Gaza le Hamas devait savoir que l’actuel gouvernement israélien, son double inversé, procéderait à des représailles disproportionnés pour détruire sa créature par le niais de l’argent du Qatar qui a fortifié la tutelle du Hamas sur Gaz de manière totalitaire en éliminant physiquement tout autre mouvement palestinien. La cause palestinienne mérite mieux qu’une telle représentation. Le pogrom du 7 octobre 2023 a donné au gouvernement israélien une survie inespérée dans la mesure où son chef était l’objet de poursuites judiciaires. Le Hamas est la traduction régionale des Frères musulmans interdits dans maints pays arabes. La paix ne peut que passer par la disparition du gouvernement Netanyahou et la neutralisation du Hamas.
En ce qui nous concerne, nous européens, nous sommes en train de vivre une période d’après-après guerre froide. Nous aurions du avoir la dislocation de l’Otan comme l’URSS a dissous le Pacte de Varsovie mais l’ubris et la routine européenne ne n’ont pas permis. Nous nous sommes crus plus malins, intelligents à ne pas écouter la Russie lorsqu’elle disait quelque chose. Avec la guerre en Ukraine les Ukrainiens, bercés de tant d’illusions, en paient le plus fort, et en ce moment la Russie mène et gagne, lentement mais sûrement et inexorablement, la guerre d’attrition à l’Ukraine non pas seulement sur le front militaire mais aussi sur tout l’arrière du pays largement bombardé par des missiles russes détruisant toutes les infrastructures civiles et militaires et même les usines et lieux d’entrainement et casernement d’ukrainiens mais aussi d’experts et mercenaires étrangers. Dans ces conditions où les USA se désengagent ou presque et où les Européens quoiqu’ils en disent ne peuvent pas les remplacer la paix ne peut avoir lieu qu’aux conditions russes ce que le gouvernement Zelensky se refuse absolument ce qui ne fait qu’aggraver leur situation.
@ Cording1
[Quant à la définition de génocide elle me parait si extensive qu’on peut se demander s’il n’y a pas une guerre sans génocide. En Ukraine les Russes ne commettent-ils pas un génocide ? On se focalise sur cette dernière et celle à Gaza mais les Occidentaux passent sous silence tout ce qui se passe dans l’est de la RDC depuis plus de 20 ans où il ne faut rien dire parce que Paul Kagamé joue sur notre culpabilité du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.]
La définition de « génocide » donnée par la convention n’est pas aussi extensive que vous le dites. Si l’élément objectif est présent dans beaucoup de guerres (en particulier celui prévu par le premier alinéa de l’article 2, à savoir, « meurtre de membres du groupe »), l’élément subjectif est lui, presque toujours, absent. Parce que, pour qu’il y ait « génocide » au sens de la convention, il faut qu’il y ait une « intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Les russes tuent certainement beaucoup d’ukrainiens, mais difficile de l’attribuer à une intention d’exterminer les ukrainiens en tant que groupe national, ethnique, racial ou religieux. Je ne connais pas bien le conflit du Kivu, mais il me semble que le but des belligérants est de s’approprier les richesses de la région, et non de « détruire » tel ou tel groupe.
[Pour en revenir à la guerre à Gaza le Hamas devait savoir que l’actuel gouvernement israélien, son double inversé, procéderait à des représailles disproportionnés pour détruire sa créature par le biais de l’argent du Qatar qui a fortifié la tutelle du Hamas sur Gaza de manière totalitaire en éliminant physiquement tout autre mouvement palestinien.]
Je ne sais pas. Il y a ceux qui pensent que le 7 octobre n’est que la n-ième opération montée par le Hamas, que l’objectif était d’infliger des pertes à l’armée israélienne et démontrer la capacité du Hamas à sortir des frontières de Gaza, et que c’est l’impréparation des israéliens qui a transformé ce qui devait être une opération militaire somme toute banale en massacre de civils. D’autres pensent au contraire qu’il s’agissait d’une opération terroriste visant à pousser les israéliens à la faute, en suscitant des représailles disproportionnées qui remettraient la question palestinienne – qu’on avait tendance à mettre sous le tapis depuis quelques années – sous le feu des projecteurs et ferait reculer la politique américaine de « normalisation » des relations entre Israël et ses voisins. Je ne connais pas la situation assez bien pour trancher entre ces deux versions – sans compter les versions intermédiaires.
[La cause palestinienne mérite mieux qu’une telle représentation. Le pogrom du 7 octobre 2023 a donné au gouvernement israélien une survie inespérée dans la mesure où son chef était l’objet de poursuites judiciaires. Le Hamas est la traduction régionale des Frères musulmans interdits dans maints pays arabes. La paix ne peut que passer par la disparition du gouvernement Netanyahou et la neutralisation du Hamas.]
Certes. Mais « la difficulté fut d’attacher le grelot », comme disait La Fontaine (« le conseil tenu par les rats »). Je vous trouve d’ailleurs très optimiste de penser que le problème se réduit à faire disparaître un gouvernement ici, un mouvement politique là. Le problème est qu’un long conflit a radicalisé non seulement les gouvernements, mais les peuples dont ils sont issus. La destruction de Gaza rencontre un soutien très important dans la population israélienne, tout comme le massacre du 7 octobre (le mot « pogrom » est à mon sens impropre, et relève de l’amalgame, puisque ce qui rendait le « pogrom » possible était la bienveillance des autorités, ce qui n’est de toute évidence pas le cas ici) n’a pas choqué l’opinion palestinienne.
[En ce qui nous concerne, nous européens, nous sommes en train de vivre une période d’après-après guerre froide. Nous aurions du avoir la dislocation de l’Otan comme l’URSS a dissous le Pacte de Varsovie mais l’hubris et la routine européenne ne n’ont pas permis. Nous nous sommes crus plus malins, intelligents à ne pas écouter la Russie lorsqu’elle disait quelque chose.]
Tout à fait. Les Américains ont vu dans la fin de la guerre froide une « victoire » qui leur permettait d’imposer leur domination sur le reste du monde, et ses alliés européens ont vu dans cette situation une opportunité de profiter de la domination américaine. Dans les années qui ont suivi, le bloc occidental a piétiné tous les sages principes qu’il avait sacralisé pendant la guerre froide. Pourquoi les respecter, puisqu’il n’y avait plus personne pour leur mettre des limites ?
Le problème c’est que le Hamas veut la destruction de l’état d’Israël pour le remplacer par un pays “de la mer ( Méditerranée ) au fleuve ( Jourdain )” dans lequel les Juifs seraient au mieux des dhimmis ou citoyens de seconde zone voire renvoyés ailleurs. Dans une seule Palestine reniant 78 ans d’histoire qui a toujours été défavorable aux Palestiniens. D’autant plus que les pays arabes se sont accommodés de l’existence de l’état d’Israël et reprendront, tôt ou tard, ce cours après la guerre actuelle. Trump tente de le faire lors de son voyage dans la région où il a ostensiblement snobé Netanyahou. Lui ou son successeur poursuivront cette politique. L’etat juif est trop fort et ne consentira jamais à se laisser faire c’est une question de survie. Nous devons défendre, par principe, l’existence de cet état fût-ce contre son actuel gouvernement. Il n’est jamais que le double inversé du gouvernement Netanyahou.
D’où une paix impossible sans au moins la neutralisation du Hamas à Gaza en permettant aux autres partis,et groupes palestiniens d’y être présents et représentés au sein du pouvoir à Gaza notamment le Fatah et l’OLP; Sinon la guerre de cent ans entre Juifs et arabes se poursuivra au détriment des Palestiniens comme depuis 1948. On parle beaucoup de Gaza mais c’est l’arbre qui cache la forêt de la brutalité israélienne et de la colonisation dans les territoires occupés.
On dit qu’avec la guerre actuelle le Hamas recrute de nouveaux combattants mais avec quels moyens pour les nourrir, financer. Pas sûr, en effet, ils sont largement taris. Ce qui est sûr c’est que dans toute guerre on sait quand et comment elle commence mais jamais quand et comment elle finit. Ce qui est aussi sûr c’est que l’opinion mondiale hostile à Israël ne compte pas et ce dernier s’en moque parce que pour lui ce qui compte avant tout c’est la survie d’Israël, et cela quelque soit le gouvernement israélien il y a des constantes. Face à un environnement hostile Israël a une mentalité d’état assiégé dont il a bien du mal à se départir et l’action du Hamas la conforte. Comme le dit l’adage “On n’est pas sorti de l’auberge”.
@ Cording1
[Le problème c’est que le Hamas veut la destruction de l’état d’Israël pour le remplacer par un pays “de la mer ( Méditerranée ) au fleuve ( Jourdain )” dans lequel les Juifs seraient au mieux des dhimmis ou citoyens de seconde zone voire renvoyés ailleurs.]
Pardon, mais ce n’est pas la « LE » problème. C’est « l’UN » des problèmes. L’autre étant que les sionistes veulent établir un Etat « de la mer au fleuve », dans lequel les Palestiniens seraient au mieux des citoyens de seconde zone, voire expulsés. Le problème, voyez-vous, est parfaitement symétrique : Juifs sionistes et Palestiniens veulent tous les deux un état sur les mêmes terres, en expulsant l’autre ou en le réduisant à un statut subordonné. Pour résoudre cette contradiction, on leur a proposé de se partager le territoire pour créer deux états, ça n’a pas marché. On leur a proposé de créer un état binational, personne n’en a voulu…
[Dans une seule Palestine reniant 78 ans d’histoire qui a toujours été défavorable aux Palestiniens.]
Ce n’est pas « l’histoire » qui a été défavorable aux Palestiniens, c’est le rapport de forces, et notamment, celui des grandes puissances qui ont fait la pluie et le beau temps dans la région. Le processus de décolonisation et la tentation de beaucoup de dirigeants arabes de jouer le camp soviétique a poussé les Américains et leurs alliés à valoriser fortement la présence d’un état prétorien acquis à leurs positions, servant de base de renseignement et d’action contre ses voisins. Les Palestiniens ont été broyés par cette mécanique.
[L’etat juif est trop fort et ne consentira jamais à se laisser faire c’est une question de survie. Nous devons défendre, par principe, l’existence de cet état fût-ce contre son actuel gouvernement. Il n’est jamais que le double inversé du gouvernement Netanyahou.]
Je ne vois pas très bien la logique de votre raisonnement. Quel rapport entre la « force » de « l’Etat juif » (une expression qui, par ailleurs, est fort discutable : beaucoup de juifs ne se reconnaissent nullement dans l’Etat d’Israël, et une proportion non négligéable de citoyens israéliens ne sont pas juifs) et notre « devoir » à le soutenir ? Je ne vois pas en quoi nous aurions un « devoir » de soutenir un Etat qui ne paye pas de reciprocité.
[D’où une paix impossible sans au moins la neutralisation du Hamas à Gaza en permettant aux autres partis, et groupes palestiniens d’y être présents et représentés au sein du pouvoir à Gaza notamment le Fatah et l’OLP;]
Mais pour quoi faire ? En quoi « être représentés » par le Fatah plutôt que par le Hamas améliorerait les perspectives des Palestiniens ? On voit le problème en Cisjordanie, ou la colonisation avance et aboutit à une expulsion progressive des Palestiniens. Votre raisonnement serait entendable si l’on pouvait croire qu’Israël négocierait une paix juste avec une organisation qui aurait renoncé à la violence. Mais on sait, par expérience, que ce n’est pas le cas. La « neutralisation du Hamas à Gaza » aboutirait peut-être à une représentation palestinienne « domestiquée », plus vraisemblablement à l’apparition d’un autre mouvement de révolte violente qui serait peut-être pire que le Hamas. Mais certainement pas à faire avancer les revendications palestiniennes.
[Sinon la guerre de cent ans entre Juifs et arabes se poursuivra au détriment des Palestiniens comme depuis 1948.]
Les Palestiniens payent un prix très important depuis 1948, mais la guerre a aussi un coût très important pour Israël. L’incapacité à faire la paix a porté un gros coup, peut-être mortel, à l’idéal sioniste d’un « Etat des juifs » reprenant l’humanisme de la Diaspora. On trouve de plus en plus de « faux sionistes », c’est-à-dire des juifs qui, tout en ayant un passeport israélien (« on ne sait jamais… ») vivent hors d’Israël et n’ont aucune intention d’y retourner. La dérive prétorienne de l’Etat d’Israël a créé une ambiance intellectuelle irrespirable, et cela se ressent très fortement sur la capacité à former des élites. On le voit bien d’ailleurs : Israël produit de plus en plus de généraux, et de moins en moins d’artistes, de scientifiques, d’intellectuels.
[On parle beaucoup de Gaza mais c’est l’arbre qui cache la forêt de la brutalité israélienne et de la colonisation dans les territoires occupés.]
Faudrait savoir. D’un côté vous m’expliquez que seule la « neutralisation du Hamas » pour permettre aux Palestiniens « d’être représentés par d’autres partis, notamment le Fatah et l’OLP » permettra la paix à Gaza, et ensuite vous constatez que dans les territoires occupés, ou les Palestiniens sont DEJA « représentés par d’autres partis, notamment le Fatah et l’OLP » cela ne règle rien.
[On dit qu’avec la guerre actuelle le Hamas recrute de nouveaux combattants mais avec quels moyens pour les nourrir, financer. Pas sûr, en effet, ils sont largement taris. Ce qui est sûr c’est que dans toute guerre on sait quand et comment elle commence mais jamais quand et comment elle finit.]
Celle-ci n’a aucune raison de finir, sauf par l’extermination de l’un des deux groupes en présence ou l’imposition par la force, par une puissance extérieure, d’un partage viable.
[Ce qui est aussi sûr c’est que l’opinion mondiale hostile à Israël ne compte pas et ce dernier s’en moque parce que pour lui ce qui compte avant tout c’est la survie d’Israël, et cela quel que soit le gouvernement israélien il y a des constantes.]
Vous reprenez une prémisse cachée de la propagande israélienne, qui est celle d’imaginer que dans l’affrontement à Gaza ou en Cisjordanie se joue « la survie d’Israël ». La propagande israélienne veut le faire croire, et cela pour une simple raison que votre commentaire illustre parfaitement : dès lors que se joue la « survie », tout est permis. Mais soyons sérieux, la « survie » de l’Etat d’Israël n’a pas été mise en jeu par le massacre du 7 octobre, pas plus que la « survie » des Etats-Unis n’a été mise en jeu par l’attaque du 11 septembre. Il faut dire les choses comme elles sont : la « survie » de l’Etat d’Israël n’est pas en jeu. Les Palestiniens n’ont pas les moyens de menacer la stabilité de l’Etat, et aucun des voisins d’Israël n’a l’intention de leur prêter main forte.
[Face à un environnement hostile Israël a une mentalité d’état assiégé dont il a bien du mal à se départir et l’action du Hamas la conforte.]
Mais quel « environnement hostile » ? Les Etats voisins d’Israël n’ont rien fait de « hostile » depuis des lustres. La Jordanie et l’Egypte ont avec Israël des rapports apaisés. Le gouvernement libanais n’est nullement hostile aux israéliens, même si l’une des milices de ce pays constitue une menace relative. Le gouvernement syrien est depuis plus de dix ans hors d’état de nuire – et ce sont plutôt les Israéliens qui ont été « hostiles » en annexant le plateau du Golan. Quant au reste du monde, Israël peut compter sur le « soutien indéfectible » de l’Union européenne et des Etats-Unis, et de l’indifférence polie de la Chine. Alors, où est « l’environnement hostile » ?
Il ne faut pas céder aux sirènes de la propagande. « L’environnement hostile » est une invention commode : elle permet de créer cette mentalité de « forteresse assiégée » qui permet de faire avaler par l’opinion n’importe quelle politique, et faire passer tout opposant pour un traître. Regardez le discours politique israélien, et vous verrez que toute opinion dissidente est immédiatement associée à de la traîtrise et de l’antisémitisme, que des crimes de guerre sont justifiés au nom de la « survie du peuple ».
Bonjour Descartes,
Une fois n’est pas coutume, je me trouve en profond désaccord avec votre grille de lecture qui tend à faire peser sur nos épaules le poids moral de conflits extérieurs dont nous ne sommes ni les instigateurs ni les acteurs décisifs. On voudrait nous faire croire que la France – et, par extension, l’Occident tout entier – porterait une responsabilité collective dans ce qui se joue là-bas, au Proche-Orient. Mais cette vision culpabilisante procède d’un amalgame.
La vérité, c’est que nous n’avons aucun interlocuteur fiable ou légitime si, par un impossible élan de solidarité armée, nous souhaitions soutenir militairement les Palestiniens. Quel État ? Quelle force politique crédible et unifiée ? Le paysage palestinien est morcelé, parasité par des factions antagonistes dont certaines défient ouvertement les normes du droit international.
À moins d’envisager une intervention armée directe contre Israël – hypothèse évidemment absurde– il faut se résoudre à cette évidence : la France est impuissante sur le terrain militaire. Toute prétention à “agir” concrètement relève donc du théâtre diplomatique ou de la posture idéologique. Or notre capacité à agir sur le plan diplomatique est très réduite car nous ne sommes pas des interlocuteurs privilégiés des israéliens.
Vous semblez rejoindre la gauche mélenchoniste qui se plaît à vouer la France aux gémonies, comme si elle était le complice silencieux d’un prétendu ordre mondial inique, qui essentialise “l’Occident” en un bloc monolithique et oublie commodément que nous ne sommes ni les États-Unis ni Israël. Je trouve injuste de de projeter sur notre pays des fautes qui ne sont pas les siennes, au nom d’un universalisme inversé qui vire à l’auto-flagellation.
@ Roman
[Une fois n’est pas coutume, je me trouve en profond désaccord avec votre grille de lecture qui tend à faire peser sur nos épaules le poids moral de conflits extérieurs dont nous ne sommes ni les instigateurs ni les acteurs décisifs. On voudrait nous faire croire que la France – et, par extension, l’Occident tout entier – porterait une responsabilité collective dans ce qui se joue là-bas, au Proche-Orient. Mais cette vision culpabilisante procède d’un amalgame.]
Pardon, mais « la France et l’accident tout entier » ont leur part de responsabilité dans la situation au Proche-Orient. Pour commencer, il ne vous aura pas échappé que la création même de l’Etat d’Israël n’a été possible que grâce au soutien actif des puissances occidentales. Ce sont elles qui ont décidé que les palestiniens paieraient le prix de la solution de la « question juive ». Ensuite, c’est le « soutien indéfectible » des puissances occidentales en général et des Etats-Unis en particulier qui ont permis à Israël de refuser toute concession qui aurait permis la formation d’un Etat palestinien. Et aujourd’hui, c’est la passivité de l’occident qui permet à Israël de conduire un génocide. A un moment donné, il faut que ces choses soient dites : on est autant responsable par ses actions que par ses omissions. Comparez les mesures prises contre la Russie dans le conflit ukrainien, et celles prises contre Israël dans les vingt dernières années.
[La vérité, c’est que nous n’avons aucun interlocuteur fiable ou légitime si, par un impossible élan de solidarité armée, nous souhaitions soutenir militairement les Palestiniens.]
Exact. Les gouvernements israéliens successifs ont tout fait d’ailleurs pour qu’on arrive à cette situation. Parce qu’il ne faudrait pas oublier qu’on avait un tel interlocuteur pendant des années : c’était l’OLP de Yasser Arafat. Mais nous avons un interlocuteur légitime lorsqu’il s’agit d’empêcher un génocide. Il ne s’agit pas de « soutenir militairement les Palestiniens », mais de faire pression sur l’Etat d’Israël.
[Quel État ? Quelle force politique crédible et unifiée ? Le paysage palestinien est morcelé, parasité par des factions antagonistes dont certaines défient ouvertement les normes du droit international.
À moins d’envisager une intervention armée directe contre Israël – hypothèse évidemment absurde – (…)]
Pourquoi « évidement absurde » ? On a bombardé Belgrade, on a envahi l’Irak… en quoi serait-il impossible d’envisager une opération contre Israël ?
[(…) il faut se résoudre à cette évidence : la France est impuissante sur le terrain militaire. Toute prétention à “agir” concrètement relève donc du théâtre diplomatique ou de la posture idéologique.]
Vous semblez oublier qu’entre le « théâtre diplomatique » et l’intervention militaire il reste un levier très puissant : les sanctions économiques. Israël est un petit pays, totalement dépendant des échanges commerciaux avec l’étranger.
[Vous semblez rejoindre la gauche mélenchoniste qui se plaît à vouer la France aux gémonies, comme si elle était le complice silencieux d’un prétendu ordre mondial inique, qui essentialise “l’Occident” en un bloc monolithique et oublie commodément que nous ne sommes ni les États-Unis ni Israël. Je trouve injuste de de projeter sur notre pays des fautes qui ne sont pas les siennes, au nom d’un universalisme inversé qui vire à l’auto-flagellation.]
La référence à la « gauche mélenchoniste » relève de la pure amalgame. Ce n’est pas parce que Mélenchon dit qu’il fait jour à midi que je vais dire le contraire. Quant au « monolithisme » du bloc occidental, votre remarque aurait été pertinente du temps de mongénéral. Mais si vous prenez les vingt dernières années, vous aurez du mal à trouver un seul exemple où la France, au-delà des discours, n’ait pas suivi le troupeau. Les velléités de Macron de garder un canal diplomatique ouvert avec Poutine n’ont duré que quelques jours. Et finalement, il ne s’agit pas de projeter sur notre pays des fautes qui ne sont pas les siennes, mais de noter les fautes qui ont effectivement été commises, et d’abord par omission. Est-ce que la France a proposé à l’Union européenne des sanctions économiques contre Israël ? Non. Est-ce qu’elle a pris elle-même de telles sanctions ? Non. Ce sont là des faits. Et si vous voulez un acte positif, est-ce que le ministre des affaires étrangères a rassuré Netanyahu quant à l’application qui pourrait être faite de la décision de la CPI de le mettre en examen ? Oui.
Cher Descartes,
Merci pour ce billet.
Je ne suis pas d’accord avec l’usage du terme “génocide”, qui a à la fois un sens juridique, que vous rappelez, et un sens commun. Au sens commun, c’est une politique d’extermination, avec comme exemple la Shoah, le génocide des Roms, le génocide arménien. Et il n’y a pas de politique d’extermination de la part d’Israël : s’ils avaient voulu tuer 10, 20 ou 50% de la population à Gaza, cela n’aurait pas été très difficile pour eux de le faire. Par contre, il y a bien des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont un nettoyage ethnique planifié et assumé.
Sur la position visible de la communauté juive en France, le lecteur du Figaro que je suis ne manque de s’étrangler de rage en voyant les éditorialistes se comporter comme une cinquième colonne pro-Israël (le plus caricatural étant Me Goldnadel) et les commentateurs comme une sixième colonne. J’ai l’impression que ce qui rend Israël si détestable, ce n’est pas l’ampleur de ses crimes (dans la moyenne régionale récente, la prison de Saidnaya étant le point haut), c’est leur mélange d’insolence, d’impudence, d’arrogance mêlée à une déploration de leurs malheurs sur le ton d’un rom gare de l’Est. Le meilleur exemple étant que dans les médias, la vie d’un israélien vaut à peu près celle de 30 palestiniens, chacun valant environ 10 soudanais. Et Israël et ses soutiens expliquent que c’est scandaleux qu’un palestinien vaille plus qu’un soudanais, tout en disant qu’on ne parle pas assez des otages. Honnêtement, si je ne connaissais pas personnellement des juifs tout à fait sympathiques, je pense que cela m’aurait rendu complètement antisémite.
Hélas, vous avez raison sur le fait que notre crédibilité, notamment sur les valeurs, est morte. Et que si une bonne partie de la planète se fiche des palestiniens, elle constate aussi que nous nous fichons de nos valeurs dès qu’il s’agit d’Israël.
Je ne suis pas sûr que l’Union Européenne cherche à ses créer des ennemis. J’ai plutôt l’impression que nos dirigeants naviguent à vue, sans perspective de long terme (c’est des anciens consultants, qui ont probablement un horizon de 6 mois au mieux), en suivant docilement leurs conseillers en communication (et donc twitter et reddit comptent plus que nos intérêts) et leur maître américain (sur l’Ukraine, sous Biden, la position française était la position US avec quelques jours de retard). Est-ce qu’ils se sont demandés “à quoi ressemblerait un accord avec la Russie, favorable à la paix et à nos intérêts”?
Sur le pacte germano-soviétique, j’ai l’impression que vous jouez sur les mots. Ce qui est reproché à l’URSS, ce n’est pas le pacte de non-agression, c’est les clauses secrètes avec l’annexion partielle ou entière des pays voisins. Tous les pays avaient des pactes de non-agression, effectivement. Seule l’URSS avait un pacte de partage de l’Europe (enfin, jusqu’à Yalta).
Quant à la stratégie et au but du Hamas, je ne le comprends toujours pas, l’hypothèse d’une opération ayant dérapée étant plausible (la base de Reïm étant une des cibles principales, avec un nombre de morts élevés et une page wikipédia d’une discrétion absolue), peut-être qu’ils ont sous-estimé la volonté israélienne de vengeance et se sont dit “dans une guérilla urbaine, nous aurons un avantage car ils ne peuvent pas raser tous les immeubles”. Même l’Orient le Jour n’a pas d’explication claire sur les buts du Hamas dans l’opération (je peux essayer de résumer les articles sur le sujet si cela intéresse), alors qu’ils sont généralement excellent dans l’analyse politique régionale.
Bien cordialement,
@ Simon
[Au sens commun, c’est une politique d’extermination, avec comme exemple la Shoah, le génocide des Roms, le génocide arménien.]
Même au sens commun du terme, la question se discute. On parle de « génocide des indiens d’Amérique » par les conquistadors espagnols ou par les colons venus aux Etats-Unis. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre il n’y avait pas une volonté de supprimer des peuples entiers. Il s’agissait simplement de leur prendre les terres fertiles ou leur or, et accessoirement de mettre à distance des voisins agressifs… en quoi l’action d’Israël en Cisjordanie ou à Gaza est fondamentalement différente ?
[Et il n’y a pas de politique d’extermination de la part d’Israël : s’ils avaient voulu tuer 10, 20 ou 50% de la population à Gaza, cela n’aurait pas été très difficile pour eux de le faire. Par contre, il y a bien des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont un nettoyage ethnique planifié et assumé.]
Pardon, mais l’extermination n’est pas moins extermination pour être lente, et on n’est pas très loin des 10% de la population de Gaza tuée (je vous rappelle que les chiffres publiés ne comportent que les morts identifiés, décédés de suite des opérations militaires, et ne comptent pas les victimes du manque de soins, d’eau ou de nourriture, pas plus que ceux morts de leurs blessures au-delà d’un certain délai. Mais encore une fois, ce qui caractérise le génocide est moins l’acte objectif que l’intention subjective. Et les déclarations des dirigeants israéliens laissent peu de doute à ce sujet.
[Sur la position visible de la communauté juive en France, le lecteur du Figaro que je suis ne manque de s’étrangler de rage en voyant les éditorialistes se comporter comme une cinquième colonne pro-Israël (le plus caricatural étant Me Goldnadel) et les commentateurs comme une sixième colonne.]
Il ne faut jamais oublier que la « position visible de la communauté juive en France » ne reflète en rien la position des juifs français, qui ne constituent en rien une « communauté » – il n’y a qu’à voir ce que ashkénazes et sefarades pensent les uns des autres… La très grande majorité des juifs français – dont je suis – est constituée de juifs assimilés qui n’ont guère de vie communautaire, ne vont à la synagogue que pour les mariages et les enterrements – et encore. Parmi eux, même la circoncision, un des plus anciens commandements de la religion juive, et devenue relativement rare. Ceux qui conservent une vie religieuse et communautaire, c’est souvent les moins assimilés, et comme ce sont eux qui constituent les institutions dites « représentatives », c’est leur voix qu’on entend. Mais cette voix ne représente qu’eux. Et comme beaucoup de ces institutions sont noyautées par les services israéliens… vous voyez la suite.
[Hélas, vous avez raison sur le fait que notre crédibilité, notamment sur les valeurs, est morte. Et que si une bonne partie de la planète se fiche des palestiniens, elle constate aussi que nous nous fichons de nos valeurs dès qu’il s’agit d’Israël.]
Oui, et le problème est que le fait qu’on se fiche de nos valeurs dès qu’il s’agit d’Israël fait penser que les « valeurs » en question ne sont que des prétextes dont on use quand cela nous arrange et qu’on oublie dès qu’ils ne nous arrangent plus.
[Je ne suis pas sûr que l’Union Européenne cherche à ses créer des ennemis. J’ai plutôt l’impression que nos dirigeants naviguent à vue, sans perspective de long terme (c’est des anciens consultants, qui ont probablement un horizon de 6 mois au mieux), en suivant docilement leurs conseillers en communication (et donc twitter et reddit comptent plus que nos intérêts) et leur maître américain (sur l’Ukraine, sous Biden, la position française était la position US avec quelques jours de retard). Est-ce qu’ils se sont demandés “à quoi ressemblerait un accord avec la Russie, favorable à la paix et à nos intérêts”?]
Tout à fait d’accord. Comme disent les Anglais, il ne faut pas confondre léthargie et stratégie. La politique de l’Union européenne – mais aussi celle des dirigeants politiques nationaux des Etats membres – est la politique du chien crevé au fil de l’eau. Ils sont tellement devenus incapables de penser en dehors du cadre familier qu’ils découvrent aujourd’hui ce que tout le monde savait depuis longtemps, à savoir, que l’Europe n’est plus au cœur des préoccupations américaines, et qu’il va peut être falloir se passer du « tuteur » américain. Et parce que la communication est devenu l’âme de la politique, l’UE mais aussi les gouvernements nationaux sont devenus une usine à fabriquer des déclarations, mais n’agit jamais.
[Sur le pacte germano-soviétique, j’ai l’impression que vous jouez sur les mots. Ce qui est reproché à l’URSS, ce n’est pas le pacte de non-agression, c’est les clauses secrètes avec l’annexion partielle ou entière des pays voisins. Tous les pays avaient des pactes de non-agression, effectivement. Seule l’URSS avait un pacte de partage de l’Europe (enfin, jusqu’à Yalta).]
D’abord, tous les pactes de non-agression ont abouti à des « annexions partielles ou entières des pays voisins ». Le cas de la Pologne est d’ailleurs intéressant : le pacte de non-agression avec l’Allemagne lui permet, lors du dépècement de la Tchécoslovaquie, d’annexer la région de Teschen. Curieusement, personne ne semble considérer que cette annexion jette une ombre sur l’histoire polonaise… pourquoi, à votre avis ?
Maintenant, revenons au pacte germano-soviétique. Les territoires annexés en application des clauses secrètes du traité n’étaient pas « ceux d’un pays voisin », mais des territoires que la Pologne avait occupé suite à la guerre russo-polonaise de 1920-21 et « l’opération Kiev » qui aboutira à la paix de Riga, par laquelle la Russie soviétique perd d’importants territoires. La prétention de l’URSS a récupérer ces territoires n’était pas plus illégitime que celle des Polonais à les conserver.
[Quant à la stratégie et au but du Hamas, je ne le comprends toujours pas, l’hypothèse d’une opération ayant dérapée étant plausible (la base de Reïm étant une des cibles principales, avec un nombre de morts élevés et une page wikipédia d’une discrétion absolue), peut-être qu’ils ont sous-estimé la volonté israélienne de vengeance et se sont dit “dans une guérilla urbaine, nous aurons un avantage car ils ne peuvent pas raser tous les immeubles”. Même l’Orient le Jour n’a pas d’explication claire sur les buts du Hamas dans l’opération (je peux essayer de résumer les articles sur le sujet si cela intéresse), alors qu’ils sont généralement excellent dans l’analyse politique régionale.]
On le saura peut-être quand les armes se seront tues. Ou peut-être pas, compte tenu du manque de documentation sur le fonctionnement du Hamas. On sera vraisemblablement réduit à des hypothèses. Pour moi, celle d’une opération au départ limitée et qui est devenu de grande ampleur du fait de l’impréparation israélienne est la plus vraisemblable. Celle d’un Hamas poussant Israël à la faute est aussi plausible, compte tenu de la logique martyrologique des mouvements comme le Hamas.
Désolé pour la mise en forme de mon commentaire précédent, j’aurais dû sauter des lignes.
Un point à ajouter : j’ai l’impression qu’il y a un retour aux années 30. Changement des modes de production, des rapports sociaux, choc technique. Cela rappelle les années 1830, avec la révolution industrielle.
@ Simon
[Changement des modes de production, des rapports sociaux, choc technique. Cela rappelle les années 1830, avec la révolution industrielle.]
Mais là, les différences l’emportent largement: 1830, c’est l’accroissement de l’influence européenne avec la fondation des empires coloniaux et la constitution des nations…
Je vous remercie pour cette analyse, stimulante intellectuellement, sur un sujet extrêmement difficile. J’aime vos arguments et votre exposé, mais je pourrais vous reprocher, un peu, vos certitudes. Nous avons ici affaire au mal absolu, un mal enraciné; rien n’est ce qui paraît être réellement, ni dans un sens, ni dans l’autre, et toute action entraîne une myriades d’effets imprévisibles. Tout, depuis des décennies, concourt à l’horreur, tout, y compris ce qui pouvait paraître, superficiellement, comme des avancées tangibles et positives (par exemple le retrait inconditionnel de Tsahal de Gaza avant l’élection du Hamas, etc.)
Deux remarques.
Sur la question du génocide à Gaza, qui sous-entend la volonté directe de détruire le peuple palestinien. Si c’était vrai, si tel était l’intention d’Israel, je ne comprends pas comment il se fait, en tenant compte de l’immense disproportion dans les moyens militaires, que le nombre total de mort soit au plus 50000 ou 60000, borne supérieure venant des chiffres donnés par le Hamas lui-même et qui reste dans un ordre de grandeur compatible avec une guerre menée dans le seul but d’éliminer la force combattante du Hamas, dans un environnement urbain dense. J’aurais pensé qu’un état génocidaire israélien serait beaucoup plus efficace. Les «génocidaires» américains tuèrent 25000 personnes à Dresde en 2 ou 3 jours.
À tout le moins, ces chiffres remettent en cause votre théorie de l’appui «inconditionnel» d’un bloc occidental monolithique à Israel. Il y a bien quelque chose qui retient la main des «génocidaire.»
Quant à l’origine de ce soi-disant soutien «inconditionnel» (qui est plutôt à mon avis un soutien fort mais qui a ses limites), il me semble assez évident. Il faut chercher dans le fait que, si le rapport des forces était inversé en Palestine, le nombre de mort Israélien en 18 mois ne serait pas de 50000 ou 60000 et personne ne se poserait la question pour savoir si l’extermination des Juifs dans la région correspondrait à un génocide ou non. Car l’entreprise génocidaire est inscrite officiellement dans les statuts du Hamas ou de l’Iran, et il est parfois utile d’écouter ce que les gens disent. C’est en grande partie cet état de fait qui explique le soutien.
Ceci dit, en revenant à mon idée initiale que l’on a ici affaire au mal absolu et qu’il faut être très prudent, je ne soutiendrais pas la position que le soutient donc a bénéficié Israel, surtout ces derniers mois, soit une bonne chose ou puisse être justifié.
@ Frank
[Je vous remercie pour cette analyse, stimulante intellectuellement, sur un sujet extrêmement difficile. J’aime vos arguments et votre exposé, mais je pourrais vous reprocher, un peu, vos certitudes.]
Quelles « certitudes » ?
[Nous avons ici affaire au mal absolu, un mal enraciné; rien n’est ce qui paraît être réellement, ni dans un sens, ni dans l’autre, et toute action entraîne une myriades d’effets imprévisibles. Tout, depuis des décennies, concourt à l’horreur, tout, y compris ce qui pouvait paraître, superficiellement, comme des avancées tangibles et positives (par exemple le retrait inconditionnel de Tsahal de Gaza avant l’élection du Hamas, etc.)]
Je ne suis pas d’accord. Parler du « mal absolu », c’est introduire une dimension métaphysique et même, si l’on va plus loin, théologique. Cela ne fait que compliquer des choses qui au fond sont simples : la situation du moyen orient n’est en rien « imprévisible ». C’est au contraire la conséquence prévisible de politiques poursuivies depuis plus d’un demi-siècle par l’Etat d’Israël. Vous ne pouvez pas priver un peuple de ses droits, le condamner à vivre dans la misère, priver sa jeunesse de toute perspective, et vous imaginer que cela ne générera pas de la violence. Sun Tzu l’écrivait déjà : il ne faut jamais mettre son adversaire dans une situation dans laquelle il n’a plus rien à perdre. L’exemple que vous donnez est révélateur : est-ce que le retrait de Tsahal s’est traduit pour les gazaouis dans un espoir de développement ? Non : à l’occupation a succédé un blocus étanche qui a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert.
Pourquoi les arabes israéliens sont beaucoup plus pacifiques, moins revendicatifs que les Palestiniens, alors qu’ils partagent la même histoire ? Parce que, même s’ils sont traités en citoyens de seconde zone, ils ont des droits garantis et profitent de la prospérité générale. C’est dans la question économique, et non dans la question politique, que se situe le problème.
[Sur la question du génocide à Gaza, qui sous-entend la volonté directe de détruire le peuple palestinien. Si c’était vrai, si tel était l’intention d’Israel, je ne comprends pas comment il se fait, en tenant compte de l’immense disproportion dans les moyens militaires, que le nombre total de mort soit au plus 50000 ou 60000, borne supérieure venant des chiffres donnés par le Hamas lui-même et qui reste dans un ordre de grandeur compatible avec une guerre menée dans le seul but d’éliminer la force combattante du Hamas, dans un environnement urbain dense. J’aurais pensé qu’un état génocidaire israélien serait beaucoup plus efficace. Les « génocidaires » américains tuèrent 25000 personnes à Dresde en 2 ou 3 jours.]
D’abord, il faut corriger les chiffres. Les données que vous citez ne concernent que les morts identifiés, conséquence directe des actions militaires israéliennes. Ils ne comprennent ni les morts non identifiés, qui se trouvent sous les décombres, ni ceux qui sont la conséquence indirecte des destructions et du blocus – destruction du système de santé, manque de nourriture et d’eau potable, etc. Si l’on se réfère à d’autres guerres des vingt ou trente dernières années, le chiffre réel pourrait être entre six et dix fois plus élevé. Et les israéliens ne sont pas idiots : ils savent parfaitement jusqu’où ils peuvent aller trop loin.
Mais la destruction d’un peuple n’implique pas nécessairement sa destruction physique : le fait de déporter un peuple ou de l’obliger à quitter son habitat, de le priver de ses racines territoriales, culturelles, symboliques, c’est aussi une forme de destruction. Or, il est de notoriété publique que le but du gouvernement israélien est de vider Gaza de ses habitants…
[À tout le moins, ces chiffres remettent en cause votre théorie de l’appui « inconditionnel » d’un bloc occidental monolithique à Israel. Il y a bien quelque chose qui retient la main des « génocidaire ».
Vous avez raison. Il est clair que si Israël mettait en place des chambres à gaz et des fours crématoires, la communauté internationale réagirait. Enfin, on pourrait l’espérer, parce que rien n’est sûr dans ce bas monde. Cependant, la tolérance occidentale va suffisamment loin pour qu’on puisse parler d’un soutien « inconditionnel ».
[Quant à l’origine de ce soi-disant soutien «inconditionnel» (qui est plutôt à mon avis un soutien fort mais qui a ses limites), il me semble assez évident. Il faut chercher dans le fait que, si le rapport des forces était inversé en Palestine, le nombre de mort Israélien en 18 mois ne serait pas de 50000 ou 60000 et personne ne se poserait la question pour savoir si l’extermination des Juifs dans la région correspondrait à un génocide ou non. Car l’entreprise génocidaire est inscrite officiellement dans les statuts du Hamas ou de l’Iran, et il est parfois utile d’écouter ce que les gens disent. C’est en grande partie cet état de fait qui explique le soutien.]
Pardon, mais pouvez-vous m’indiquer dans quel paragraphe des « statuts du Hamas ou de l’Iran » figure une « entreprise génocidaire » ? Je me suis tapé la lecture de la charte du Hamas de 1988 (disponible sur https://iremam-base.cnrs.fr/voix/voix15.htm), et si je trouve la réafirmation du fait que la Palestine tout entière fait partie du « waqf » (c’est-à-dire, des « terres musulmanes »), il n’est nulle part dit que cela implique le génocide des juifs qui y vivent : « A l’ombre de l’islam, les disciples des trois religions, islamique, chrétienne et juive, peuvent coexister dans la sécurité et la confiance. Ce n’est qu’à l’ombre de l’islam que la sécurité et la confiance peuvent se trouver, l’histoire récente et ancienne en constituant un bon témoin. » (art 31).Quant aux « statuts de l’Iran », je ne sais à quoi vous faites référence. La constitution iranienne ne contient aucune « référence génocidaire ». Pourriez-vous être plus précis ?
Au-delà de ces mentions officielles, vous faites là une hypothèse de politique fiction. Rien ne vous permet d’affirmer que si le rapport de forces était inversé, le nombre de morts israéliens atteindrait ces chiffres. En pratique, cela n’a jamais été le cas : les minorités juives ont vécu pendant des siècles dans le monde arabe, et ont généralement été mieux traitées que dans l’Europe chrétienne. C’est particulièrement le cas de l’Iran, qui a pendant longtemps hébergé une très importante communauté juive, mais c’était aussi le cas au Levant, et en Afrique du nord. C’est la création de l’Etat d’Israël dans un contexte conflictuel qui, dans beaucoup de cas, a provoqué l’exode de ces communautés.
[Pardon, mais pouvez-vous m’indiquer dans quel paragraphe des « statuts du Hamas ou de l’Iran » figure une « entreprise génocidaire » ? … Pourriez-vous être plus précis ?]
En effet, je n’ai pas été très précis. Dans la charte du Hamas, on trouve :
« La terre de Palestine est une terre islamique confiée aux générations musulmanes jusqu’au Jour du Jugement. On ne doit renoncer à aucune partie de cette terre. Aucun État, aucune organisation ni aucun individu n’a le droit de le faire. »
« Israël existera et continuera d’exister jusqu’à ce que l’islam l’efface, comme il en a effacé d’autres avant lui. »
« Il n’y a pas de solution à la question palestinienne sauf par le jihad. »
Ceci implique, me semble-t-il, la destruction/disparition totale de l’État d’Israël, par la violence, inscrite dans la charte fondatrice.
Quant à l’Iran, je faisais référence aux paroles «sacrées» de Khomeini, qui a indiqué qu’Israël devait disparaître, propos repris depuis à plusieurs reprises sous diverses formes par les hauts dignitaires Iraniens.
Vous pourrez me dire que ceci n’est pas un appel explicite au génocide, mais, en réalité, je ne vois pas bien comment arriver à ces buts affichés officiellement dans en passer par un génocide.
[ les minorités juives ont vécu pendant des siècles dans le monde arabe, et ont généralement été mieux traitées que dans l’Europe chrétienne. C’est particulièrement le cas de l’Iran, qui a pendant longtemps hébergé une très importante communauté juive, mais c’était aussi le cas au Levant, et en Afrique du nord.]
Je ne pense pas que la Dhimmitude puisse être associée à une quelconque notion de bon traitement. Vous avez raison qu’on a vu parfois pire dans l’Europe chrétienne, mais il y a eu une évolution qui n’a pas eu lieu en terre d’Islam, me semble-t-il. Je ne suis pas sûr non plus que, «en moyenne» au cours de l’histoire (depuis quand ?), le Juif ait été mieux traité en terre d’Islam que chez les Chrétiens. Vous vous fondez sur quoi pour penser cela ?
[Je ne suis pas d’accord. Parler du « mal absolu », c’est introduire une dimension métaphysique et même, si l’on va plus loin, théologique.]
Il est des situations où il faut admettre que la bonne volonté humaine ne suffit plus, et où la rationalité n’a plus aucune place. C’est ce que j’appelle personnellement le «mal absolu». N’oublions pas qu’il y a eu dans le camp Israélien des dirigeants qui pensaient que
« Nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir forcés à tuer leurs enfants. La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. »
Je sais que cette pensée est partagée par beaucoup de Juifs (peut-être de moins en moins…), indépendamment du fait qu’elle ait été réellement prononcée par Golda Meir ou pas. Elle illustre cette idée de mal absolu, d’irrationalité et de chaos, et résonne particulièrement avec ce qu’il s’est passé depuis le 7 octobre.
[Cela ne fait que compliquer des choses qui au fond sont simples : la situation du moyen orient n’est en rien « imprévisible ».]
Je ne partage pas du tout cette opinion. Croyez-vous qu’au moment de la création de l’État d’Israel, l’horreur absolue de ce qu’il se passe aujourd’hui avait été prédite ? Ou même pendant la période plus récente Arafat/Rabin ?
Vous même avez mentionnez l’impossibilité de savoir quels étaient les buts stratégiques du Hamas le 7 octobre ! (je doute fort de la plausibilité, que vous mentionnez, d’un plan visant uniquement les militaires qui aurait mal tourné en raison de l’impréparation de l’armée israélienne (!); mais si c’était vrai, ce serait encore pire, en quelque sorte, pour jauger le niveau d’humanité des combattants du Hamas et de leurs chefs, qui auraient transformé une opération militaire somme toute légitime en un épouvantable massacre, en sautant sur l’occasion, en quelque sorte, sans se poser de question). Bref, on ne prévoit rien, visiblement, dans cette situation.
J’y vois personnellement un exemple parfait de chaos et d’imprévisibilité; enfin, c’est comme ça que je voyais les choses «avant». Aujourd’hui je suis horriblement pessimiste pour les deux camps, évidemment.
Vous pourriez soulever l’idée que je confonds la prévision du temps qu’il fera dans une semaine (chaotique) et la prévision du climat à long terme.
Ça ramène à la grande question qui est et qui restera toujours : était-il légitime, juste, moralement justifiée, de créer l’État d’Israel en Palestine ? (ou de créer un État Juif tout court). En essayant d’échapper à la pensée téléologique, je dirais oui, c’est ma conviction personnelle, elle s’est forgée en partie sur des discussions (souvent difficiles, car j’ai l’esprit de contradiction) avec des amis Juifs. Il fallait que la Shoah accouche de quelque chose de réellement neuf pour le peuple Juif. D’ailleurs, la grande majorité des Juifs ont toujours été pour. Mais c’est une question difficile, sans doute, et vous n’êtes probablement pas d’accord avec moi là-dessus.
@ Frank
[« Pardon, mais pouvez-vous m’indiquer dans quel paragraphe des « statuts du Hamas ou de l’Iran » figure une « entreprise génocidaire » ? … Pourriez-vous être plus précis ? » En effet, je n’ai pas été très précis. Dans la charte du Hamas, on trouve : (…) Ceci implique, me semble-t-il, la destruction/disparition totale de l’État d’Israël, par la violence, inscrite dans la charte fondatrice.]
Admettons. Mais où est « l’entreprise génocidaire » ? La disparition d’un Etat – c’est-à-dire, d’une structure politique et administrative – fut-ce par la violence ne constitue pas une « entreprise génocidaire » que je sache. Ou alors, il faudra pas mal réécrire l’histoire…
[Quant à l’Iran, je faisais référence aux paroles «sacrées» de Khomeini, qui a indiqué qu’Israël devait disparaître, propos repris depuis à plusieurs reprises sous diverses formes par les hauts dignitaires Iraniens.]
Encore une fois, la disparition d’un Etat n’a rien à voir avec une « entreprise génocidaire ». Et les « paroles » de Khomeini, tout sacrées qu’elles puissent être, n’ont pas une valeur statutaire.
[Vous pourrez me dire que ceci n’est pas un appel explicite au génocide, mais, en réalité, je ne vois pas bien comment arriver à ces buts affichés officiellement dans en passer par un génocide.]
Vous voulez dire que l’article de la loi fondamentale allemande qui faisait de la réunification allemande – et donc de la disparition d’un Etat, celui de la RDA – un objectif constitutionnel implique une « entreprise génocidaire » ? Soyons sérieux. L’histoire a vu disparaître des Etats sans qu’il y ait pour autant un « génocide » derrière. Il faut faire attention aux mots.
[« les minorités juives ont vécu pendant des siècles dans le monde arabe, et ont généralement été mieux traitées que dans l’Europe chrétienne. C’est particulièrement le cas de l’Iran, qui a pendant longtemps hébergé une très importante communauté juive, mais c’était aussi le cas au Levant, et en Afrique du nord. » Je ne pense pas que la Dhimmitude puisse être associée à une quelconque notion de bon traitement.]
Je n’ai pas dit qu’ils étaient bien traités, j’ai dit qu’lis étaient mieux traités que dans l’Europe chrétienne, ce qui me semble franchement indiscutable. Le statut juridique des juifs en Europe jusqu’au XIXème siècle fait passer la Dhimmitude pour un paradis. De l’antisémitisme catholique – pensez à l’expulsion et les conversions forcées dans l’Espagne du XIIIème siècle à la Shoah au XXème, il me semble difficile de trouver des exemples équivalents en terre d’Islam.
[Vous avez raison qu’on a vu parfois pire dans l’Europe chrétienne, (…)]
Parfois ? La France, qui fut pionnière dans la matière, n’accorde aux juifs l’entrée dans le droit commun qu’avec l’Empire. Et encore, ce pas juridique mettra très longtemps à rentrer dans les faits, certains domaines – la magistrature, l’armée, l’administration – leur rester fermée jusqu’à la fin du XIXème siècle. Et ailleurs en Europe c’est bien pire. Les juifs d’Europe ont vécu, depuis le moyen-âge et jusqu’au XXème siècle dans l’insécurité juridique la plus totale. La Dhimmitude, avec ce qu’elle contenait comme discrimination, donnait aux juifs une sécurité juridique bien plus grande.
[(…) mais il y a eu une évolution qui n’a pas eu lieu en terre d’Islam, me semble-t-il.]
Oui. Mais cette « évolution » est moins univoque que vous le pensez. Il y a eu l’émancipation à la fin du XXème siècle… et il y eut la Shoah. La terre d’Islam n’a connu ni l’une, ni l’autre…
[Je ne suis pas sûr non plus que, «en moyenne» au cours de l’histoire (depuis quand ?), le Juif ait été mieux traité en terre d’Islam que chez les Chrétiens. Vous vous fondez sur quoi pour penser cela ?]
Sur l’histoire, pardi. Le Juif en terre d’Islam bénéficie d’un statut juridique précis, celui d’un des « peuples du livre », subordonné certes à la majorité musulmane, mais bénéficiant en échange de cette soumission de droit précis. L’occident chrétien, au contraire, en fait le « peuple déicide », et à ce titre dépourvu de tout statut. En terre chrétienne, il est licite de l’expulser en confisquant leurs biens, et on ne compte pas les monarques qui, du moyen âge jusqu’au XVIIIème siècle ont eu recours à ce moyen. La Shoah, vous savez, n’est pas un accident de l’histoire, et vous devriez vous interroger sur ce qui a fait que tant de peuples européens ont coopéré avec la machine concentrationnaire allemande pour se défaire de « leurs » juifs…
[Il est des situations où il faut admettre que la bonne volonté humaine ne suffit plus, et où la rationalité n’a plus aucune place. C’est ce que j’appelle personnellement le «mal absolu».]
Comme disait l’un de mes maîtres, quand on ne voit pas de rationalité dans une situation, c’est qu’on est en train de la regarder par le mauvais bout. Et souvent, quand on a recours à des concepts comme celui du « mal absolu », c’est qu’on en veut pas voir ou se trouve la rationalité des actes incriminés.
[N’oublions pas qu’il y a eu dans le camp Israélien des dirigeants qui pensaient que « Nous pouvons pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Nous ne pouvons pas leur pardonner de nous avoir forcés à tuer leurs enfants. La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Je sais que cette pensée est partagée par beaucoup de Juifs (peut-être de moins en moins…), indépendamment du fait qu’elle ait été réellement prononcée par Golda Meir ou pas. Elle illustre cette idée de mal absolu, d’irrationalité et de chaos, et résonne particulièrement avec ce qu’il s’est passé depuis le 7 octobre.]
La phrase attribuée à Golda Meir est très révélatrice de ce qu’était le projet sioniste, et prophétique de ce qu’il est devenu. L’humanisme juif est un fruit de la Diaspora. Les juifs, parce qu’ils étaient en position subordonnée, ont pu penser des idées généreuses sans avoir à les confronter aux bassesses et aux renoncements qu’implique l’exercice réel du pouvoir. Mais à partir du moment où les juifs ont eu leur Etat, ils ont été obligés de « tuer les enfants » de ce peuple dont ils avaient pris la place en l’expulsant de leurs foyers. Dans cette formule, Golda Meir attribue la responsabilité aux Arabes, et elle a tort : elle reproche à un peuple de ne pas avoir accepté de bonne grâce son expulsion. Si la situation avait été inversée, aurait-elle accepté l’expulsion des juifs pour faire place à un état Palestinien ? On peut sérieusement penser que non.
Ce que Golda Meir – et beaucoup d’hommes et femmes juifs de sa génération – n’étaient pas prêts à accepter, c’est que « la terre sans peuple pour un peuple sans terre » était une fiction, et que la création d’un Etat amenait avec elle inévitablement le tragique de « devoir tuer des enfants ». Autrement dit, que l’humanisme construit dans la Diaspora était incompatible avec le projet sioniste. D’où la contradiction permanente de dirigeants israéliens, dont beaucoup venaient de la gauche humaniste, qui ont essayé de préserver le visage « humaniste » tout en faisant une politique qui ne pouvait qu’avoir le résultat inverse. La génération suivante n’aura pas ce genre de scrupules, et assume parfaitement la fin de l’humanisme et la raison d’Etat. Mais il n’y a là rien de « irrationnel » là-dedans, au contraire. C’est la rationalité de la raison d’Etat qui s’impose. Delenda est Cartago…
[« Cela ne fait que compliquer des choses qui au fond sont simples : la situation du moyen orient n’est en rien « imprévisible ». » Je ne partage pas du tout cette opinion. Croyez-vous qu’au moment de la création de l’État d’Israel, l’horreur absolue de ce qu’il se passe aujourd’hui avait été prédite ? Ou même pendant la période plus récente Arafat/Rabin ?]
Oui. Et la formule de Golda Meir que vous avez cité plus haut le montre. D’éminents intellectuels juifs avaient d’ailleurs averti dès la proclamation de l’Etat d’Israël qu’un « Etat juif » ne pouvait être qu’un Etat comme un autre, et que l’installer sur une terre déjà occupée par un autre peuple ne pouvait que conduire tôt ou tard au choix entre l’extermination ou l’expulsion. Et il était clair que le remplacement progressif de la génération des pionniers – celle à laquelle appartient Rabin, né en 1922 – qui avait été formée dans l’esprit de la Diaspora par la génération des « sabras » nés et formés en Israël ne pouvait qu’accentuer le phénomène. Les accords d’Oslo étaient le dernier râle d’une génération idéaliste, il se sont fracassés contre la réalité.
[Vous même avez mentionnez l’impossibilité de savoir quels étaient les buts stratégiques du Hamas le 7 octobre !]
Je ne saisis pas le rapport. Le fait que je n’aie pas accès à cette information n’implique pas qu’elle n’existe pas.
[(je doute fort de la plausibilité, que vous mentionnez, d’un plan visant uniquement les militaires qui aurait mal tourné en raison de l’impréparation de l’armée israélienne (!); mais si c’était vrai, ce serait encore pire, en quelque sorte, pour jauger le niveau d’humanité des combattants du Hamas et de leurs chefs, qui auraient transformé une opération militaire somme toute légitime en un épouvantable massacre, en sautant sur l’occasion, en quelque sorte, sans se poser de question). Bref, on ne prévoit rien, visiblement, dans cette situation.]
Mais qui vous dit que « les chefs ont transformé… » ? Vous parlez comme si les combattants du Hamas – ou de n’importe quelle armée, d’ailleurs – étaient des pions que « les chefs » déplacent sur l’échiquier. Mais c’est un peu plus compliqué que cela. Les combattants du Hamas, une fois entrés dans le territoire israélien sans trouver de résistance à leur grande surprise, et se retrouvant au milieu d’un festival techno ont il demandé à leurs chefs des ordres ? Ou ont-ils agi de leur propre chef en laissant libre cours à leurs instincts de vengeance ? Toutes les guerres sont émaillées d’incidents de ce type, ou des troupes – même celles des armées régulières, soumises à un entrainement et une discipline autrement plus sévère – se livrent à des excès guidés par un sentiment de haine ou de vengeance. La deuxième guerre mondiale, la guerre du Vietnam ou celle d’Irak, pour ne donner que quelques cas bien documentés, fournissent de nombreux exemples.
[Vous pourriez soulever l’idée que je confonds la prévision du temps qu’il fera dans une semaine (chaotique) et la prévision du climat à long terme.]
J’allais y venir, mais vous soulevez le point avant moi…
[Ça ramène à la grande question qui est et qui restera toujours : était-il légitime, juste, moralement justifiée, de créer l’État d’Israel en Palestine ? (ou de créer un État Juif tout court).]
C’est une question à laquelle il n’y a pas de réponse, ou plutôt, dont la réponse change en fonction du cadre de pensée dans lequel vous vous placez. Certains vous diront que les juifs ayant été expulsés de Palestine par les romains au premier siècle de notre ère, ils ont un droit historique au retour. Dans ce cadre, la position sioniste est juste, légitime, moralement justifiée et tout ce que vous voulez. D’autres vous diront que deux mille ans sont une période suffisamment longue pour considérer comme prescrits les droits du peuple juif – à supposer qu’un tel « peuple » existe – sur la palestine. Et dans ce cadre, la position sioniste n’est ni juste, ni légitime, ni moralement justifiée.
Personnellement, je pense que cette question n’a pas de sens. C’est un peu comme se demander s’il était « juste, légitime et moralement justifié » d’incorporer la Bretagne au royaume de France. Que la création de l’Etat d’Israel ait été une bonne ou une mauvaise idée, il est là et il faut vivre avec. Ce qui par contre est indispensable, c’est de s’interroger sur les conséquences de la création de cet Etat. Il est clair qu’Israël n’est en rien l’Etat « moral » dont rêvaient ses fondateurs. Ce qui arrive très souvent…
[En essayant d’échapper à la pensée téléologique, je dirais oui, c’est ma conviction personnelle, elle s’est forgée en partie sur des discussions (souvent difficiles, car j’ai l’esprit de contradiction) avec des amis Juifs. Il fallait que la Shoah accouche de quelque chose de réellement neuf pour le peuple Juif. D’ailleurs, la grande majorité des Juifs ont toujours été pour. Mais c’est une question difficile, sans doute, et vous n’êtes probablement pas d’accord avec moi là-dessus.]
Je ne suis pas d’accord parce que je ne crois pas à l’existence d’un « peuple juif ». Pour moi, ce concept a été inventé pour cacher une réalité : les juifs ne constituent pas une unité. Entre le juif alsacien installé à Strasbourg depuis dix générations, le juif new yorkais dont les ancêtres sont venus de Pologne ou de Russie, le juif marocain, installé depuis des siècles au maghreb ou le juif iranien, il n’y a pas plus d’unité qu’entre le protestant du Kansas, le maronite du Liban, l’évangélique d’Afrique du Sud et la nonne espagnole. Personne ne parle du « peuple chrétien », alors pourquoi parler du « peuple juif » pour désigner un ensemble qui finalement n’a rien en commun sauf la religion ?
Vous me dites que « il fallait que la Shoah accouche de quelque chose ». Mais vous oubliez que la Shoah est une expérience qui parle essentiellement aux juifs européens. Pour les juifs séfarades – qu’ils soient maghrébins, levantins, iraniens – ou ceux émigrés dans les Amériques, c’est une expérience vécue par procuration. D’ailleurs, le problème s’est posé en Israël lorsque la culture des fondateurs – dont beaucoup étaient des rescapés de la Shoah – est entrée en collision avec celle des immigrants séfarades, pour qui la Shoah était une référence lointaine.
[Je ne suis pas d’accord parce que je ne crois pas à l’existence d’un « peuple juif ». Pour moi, ce concept a été inventé pour cacher une réalité : les juifs ne constituent pas une unité. Entre le juif alsacien installé à Strasbourg depuis dix générations, le juif new yorkais dont les ancêtres sont venus de Pologne ou de Russie, le juif marocain, installé depuis des siècles au maghreb ou le juif iranien, il n’y a pas plus d’unité qu’entre le protestant du Kansas, le maronite du Liban, l’évangélique d’Afrique du Sud et la nonne espagnole. Personne ne parle du « peuple chrétien », alors pourquoi parler du « peuple juif » pour désigner un ensemble qui finalement n’a rien en commun sauf la religion ?]
Mais, cher Descartes, vous apportez vous-même l’exemple en vous qualifiant -à juste titre- de juif français, alors que, si j’ai bien compris, vous n’êtes en aucune manière croyant ou pratiquant. Quand on parle du peuple chrétien dans un discours catholique en France, cela désigne l’ensemble des catholique croyants et/ou pratiquants, personne n’inclut quelqu’un dont les parents sont catholiques mais qui est lui-même athée dans le peuple chrétien.
Pour l’islam ou le christianisme, il est possible de se convertir en venant de l’extérieur. Pour le judaïsme, c’est beaucoup plus difficile si l’on est pas d’origine juive.
Rémi Brague indiquait qu’une différence importante entre christianisme/catholicisme (il a utilisé le terme christianisme, dans le cadre d’un MOOC sur la violence principalement dans le catholicisme) , islam et judaïsme, c’est que le christianisme est une religion et seulement une religion, alors que l’islam est une religion et une loi (et que la loi peut être indépendante de la religion), et que le judaïsme est une religion et un peuple. Et que si certes la religion n’est jamais présente à l’état pure, dans le cas du christianisme elle est comme l’huile dans une émulsion : mêlée mais pas confondue avec par exemple le politique.
Pour être tout à fait honnête, je pense même que les juifs constituent le meilleur exemple de ce que l’on appelle un peuple, se souvenant du coeur de son identité et voulant persévérer dans l’être malgré une dispersion longue.
Par ailleurs, merci pour vos réflexions sur le côté idéaliste de la diaspora et la confrontation au réel, je n’y avais jamais pensé et cela permet de mieux comprendre la situation.
@ Simon
[Mais, cher Descartes, vous apportez vous-même l’exemple en vous qualifiant -à juste titre- de juif français, alors que, si j’ai bien compris, vous n’êtes en aucune manière croyant ou pratiquant. Quand on parle du peuple chrétien dans un discours catholique en France, cela désigne l’ensemble des catholique croyants et/ou pratiquants, personne n’inclut quelqu’un dont les parents sont catholiques mais qui est lui-même athée dans le peuple chrétien.]
Admettons. Mais que penseriez-vous d’un discours qui ferait de l’ensemble incluant les maronites, les évangéliques, les chrétiens de rite oriental, les catholiques européens et les orthodoxes un « peuple » qui aurait le droit d’avoir son « Etat » ? Vous voyez bien que c’est là une absurdité.
[Pour l’islam ou le christianisme, il est possible de se convertir en venant de l’extérieur. Pour le judaïsme, c’est beaucoup plus difficile si l’on n’est pas d’origine juive.]
De nos jours, c’est parfaitement possible… et si c’était possible dans le passé, c’était extrêmement rare compte tenu des inconvénients que cela entraînait…
[Rémi Brague indiquait qu’une différence importante entre christianisme/catholicisme (il a utilisé le terme christianisme, dans le cadre d’un MOOC sur la violence principalement dans le catholicisme) , islam et judaïsme, c’est que le christianisme est une religion et seulement une religion, alors que l’islam est une religion et une loi (et que la loi peut être indépendante de la religion), et que le judaïsme est une religion et un peuple. Et que si certes la religion n’est jamais présente à l’état pure, dans le cas du christianisme elle est comme l’huile dans une émulsion : mêlée mais pas confondue avec par exemple le politique.]
Je suis tout à fait d’accord avec lui avec une nuance : le judaïsme et l’Islam sont beaucoup plus proches de ce point de vue qu’il ne le dit. Dans les deux cas, la séparation entre le civil et le religieux est inexistante. Le christianisme est le seul, parmi les trois monothéismes, qui connaît cette séparation, et cela pour une raison historique : le christianisme se développe dans le contexte de l’empire romain, et il doit composer avec. Or, l’empire romain a son droit civil, qui est totalement séparé du religieux. Vouloir mélanger les deux, c’était risquer un conflit inutile avec le pouvoir établi. D’où la célèbre formule « au Cesar ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu ». Et même si plus tard l’Eglise catholique, devenue dominante, a voulu rétablir le lien entre le civil et le religieux, la matrice originale a persisté.
[Pour être tout à fait honnête, je pense même que les juifs constituent le meilleur exemple de ce que l’on appelle un peuple, se souvenant du coeur de son identité et voulant persévérer dans l’être malgré une dispersion longue.]
Sauf qu’il faut parler de « peupleS » au pluriel, parce que, comme je vous l’ai dit, les juifs sont divers et leur volonté de « persévérer dans l’être » fait référence à des « êtres » différents.
[Admettons. Mais où est « l’entreprise génocidaire » ? La disparition d’un Etat – c’est-à-dire, d’une structure politique et administrative – fut-ce par la violence ne constitue pas une « entreprise génocidaire » que je sache. Ou alors, il faudra pas mal réécrire l’histoire…
Encore une fois, la disparition d’un Etat n’a rien à voir avec une « entreprise génocidaire ». Et les « paroles » de Khomeini, tout sacrées qu’elles puissent être, n’ont pas une valeur statutaire.]
[Vous voulez dire que l’article de la loi fondamentale allemande qui faisait de la réunification allemande – et donc de la disparition d’un Etat, celui de la RDA – un objectif constitutionnel implique une « entreprise génocidaire » ? Soyons sérieux. L’histoire a vu disparaître des Etats sans qu’il y ait pour autant un « génocide » derrière. Il faut faire attention aux mots.]
Mais je ne parle pas de la disparition d’un État en dehors de tout contexte, je parle de la disparition d’Israël en accomplissant la charte du Hamas qui, me semble-t-il, n’a pas été inspiré par la loi fondamentale allemande…
[Comme disait l’un de mes maîtres, quand on ne voit pas de rationalité dans une situation, c’est qu’on est en train de la regarder par le mauvais bout. Et souvent, quand on a recours à des concepts comme celui du « mal absolu », c’est qu’on en veut pas voir ou se trouve la rationalité des actes incriminés.]
Vous semblez croire que les actions humaines et l’Histoire sont la conséquence rationnelle de lois qui seraient comme des lois de la Physique… L’être humain est profondément irrationnel de nature. La période récente en Occident nous rappelle d’ailleurs que la domination de la rationalité dans une société humaine est probablement (et malheureusement) une singularité instable. Ce serait extraordinaire que l’on puisse toujours (ou même la plupart du temps) comprendre l’Histoire comme on comprend l’évolution d’un système mécanique avec les lois de Newton. Ces explications «rationnelles» sont toujours téléologiques, au moins en partie, et souvent en grande partie. Vous pouvez me citer des visionnaires, des gens «qui avaient prédits», mais on trouve des prédictions dans tous les sens et donc il y en a toujours qui finissent par tomber justes, çe ne prouve rien.
Une manière rationnelle d’envisager la situation aurait pu être, pour les Israeliens, de comprendre que les compensations économiques étaient vitales et devaient venir rapidement dès le départ (vous le dite vous-même : «c’est dans la question économique, et non dans la question politique, que se situe le problème» ; et pour les Arabes de comprendre que, tenant compte des circonstances, des rapports de force en jeu, du mouvement de l’Histoire, etc., il valait mieux laisser la haine de côté et essayer de travailler à ce que ce malheur se transforme en opportunité : un lieu d’échange fécond entre l’Orient et l’Occident et un développement économique bénéficiant à tous.
Voilà ce que la Raison aurait pu dicter. Belle utopie raisonnable…
[Ce que Golda Meir – et beaucoup d’hommes et femmes juifs de sa génération – n’étaient pas prêts à accepter, c’est que « la terre sans peuple pour un peuple sans terre » était une fiction]
C’est en effet un point essentiel. Le nœud gordien.
[Vous me dites que « il fallait que la Shoah accouche de quelque chose ». Mais vous oubliez que la Shoah est une expérience qui parle essentiellement aux juifs européens. Pour les juifs séfarades – qu’ils soient maghrébins, levantins, iraniens – ou ceux émigrés dans les Amériques, c’est une expérience vécue par procuration. D’ailleurs, le problème s’est posé en Israël lorsque la culture des fondateurs – dont beaucoup étaient des rescapés de la Shoah – est entrée en collision avec celle des immigrants séfarades, pour qui la Shoah était une référence lointaine.]
Le fait que beaucoup de Séfarades ont émigré en Israël montre que votre argument manque probablement de nuance. Il y a bien quelque chose qui semble unir les Juifs entre eux, qui va bien au-delà du lien entre la nonne espagnol et le maronite du Liban, pour reprendre votre comparaison. Définir ce lien est une entreprise passionnante, Simon donne une piste dans un commentaire.
@ Frank
[Mais je ne parle pas de la disparition d’un État en dehors de tout contexte, je parle de la disparition d’Israël en accomplissant la charte du Hamas qui, me semble-t-il, n’a pas été inspiré par la loi fondamentale allemande…]
Je regrette, la charte du Hamas parle de la disparition d’Israël en tant qu’Etat, elle ne fixe pas comme objectif l’extermination de personne. Elle mentionne même l’idée que les juifs puissent vivre paisiblement en terre d’Islam. Cela ne constitue pas, que je sache, un « projet génocidaire ». Je vous mets donc au défi de m’indiquer précisément où la charte du Hamas énonce un tel projet…
[Vous semblez croire que les actions humaines et l’Histoire sont la conséquence rationnelle de lois qui seraient comme des lois de la Physique…]
Non. Ce que je crois, c’est que rien n’arrive sans raison. Autrement dit, que les actions humaines ne sont jamais aléatoires et ont toujours une motivation et donc une logique.
[L’être humain est profondément irrationnel de nature. La période récente en Occident nous rappelle d’ailleurs que la domination de la rationalité dans une société humaine est probablement (et malheureusement) une singularité instable.]
Le fait qu’un acte ait une « raison » n’implique pas qu’il soit « rationnel ». Je pense que vous faites ici une confusion, induite peut-être par la polysémie du mot « raison ». Danser pour provoquer la pluie ou sacrifier un bœuf pour avoir des vents favorables sont des actes « irrationnels », mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont aléatoires, qu’ils ne sont pas organisés par une logique interne. Ceux qui accomplissaient ces actes n’étaient pas rationels – au sens cartésien du terme – mais avaient une « raison » pour le faire, et dans leur cadre de pensée ces actes sont parfaitement logiques.
L’être humain est peut-être « irrationnel de nature » (encore que…) mais ce n’est pas pour autant que ses actes n’ont pas une cohérence. Et c’est de cela qu’il s‘agissait ici.
[Ce serait extraordinaire que l’on puisse toujours (ou même la plupart du temps) comprendre l’Histoire comme on comprend l’évolution d’un système mécanique avec les lois de Newton. Ces explications « rationnelles » sont toujours téléologiques, au moins en partie, et souvent en grande partie.]
Je ne suis pas sûr de ce que vous entendez par « comprendre l’histoire ». L’histoire est faite par des hommes, et ces hommes agissent pour presque toujours pour des raisons. On peut trouver, en cherchant bien, des actes aléatoires, qui n’ont pas de motivation compréhensible, mais ils sont très rares. Dans l’immense majorité des cas, les actes ont une raison. Une raison fondée sur des faits ou sur des croyances, sur des savoirs ou des préjugés, sur des pulsions ou des intérêts, mais il y a pratiquement toujours une raison. Et dès lors que l’acte a une raison, il est compréhensible.
[Vous pouvez me citer des visionnaires, des gens « qui avaient prédits », mais on trouve des prédictions dans tous les sens et donc il y en a toujours qui finissent par tomber justes, çe ne prouve rien.]
Ne confondez pas la capacité à prédire et la capacité à comprendre. On sait aujourd’hui qu’on ne peut prédire le comportement de certains systèmes mécaniques réels simples à partir des lois de Newton, tout simplement parce que ces systèmes, à partir d’états initiaux très légèrement différents – inséparables avec les instruments de mesure dont nous disposons – ont des évolutions radicalement différentes. Cela n’implique pas que nous ne puissions pas, à postériori, encadrer cette évolution dans les lois de Newton…
[Une manière rationnelle d’envisager la situation aurait pu être, pour les Israéliens, de comprendre que les compensations économiques étaient vitales et devaient venir rapidement dès le départ (…)]
Attendez… ces « compensations économiques » auraient eu un coût. Peut-être que finalement la guerre étai plus avantageuses, non ? Sans compter le fait que la guerre extérieure permanente est indispensable à l’équilibre intérieur d’Israël, qui est une société très profonde et très violemment divisée, plusieurs fois au bord de la guerre civile. Sans cette guerre extérieure pour maintenir une forme d’unité, les israéliens se déchireraient entre eux. Que s’est-il passé quand Yitzhak Rabin a porté l’amorce d’une paix ? Il a été assassiné. Pas par un musulman palestinien, mais par un juif israélien. Le choix sioniste de prolonger indéfiniment la guerre n’a rien d’irrationnel, au contraire : il y a de solides raisons pour faire ce choix.
[et pour les Arabes de comprendre que, tenant compte des circonstances, des rapports de force en jeu, du mouvement de l’Histoire, etc., il valait mieux laisser la haine de côté et essayer de travailler à ce que ce malheur se transforme en opportunité : un lieu d’échange fécond entre l’Orient et l’Occident et un développement économique bénéficiant à tous.]
Et pour cela faire quoi ? Arafat a « laissé la haine de côté » et signé les accords d’Oslo. Qu’est ce que cela a eu pour conséquence ?
[« Vous me dites que « il fallait que la Shoah accouche de quelque chose ». Mais vous oubliez que la Shoah est une expérience qui parle essentiellement aux juifs européens. Pour les juifs séfarades – qu’ils soient maghrébins, levantins, iraniens – ou ceux émigrés dans les Amériques, c’est une expérience vécue par procuration. D’ailleurs, le problème s’est posé en Israël lorsque la culture des fondateurs – dont beaucoup étaient des rescapés de la Shoah – est entrée en collision avec celle des immigrants séfarades, pour qui la Shoah était une référence lointaine. » Le fait que beaucoup de Séfarades ont émigré en Israël montre que votre argument manque probablement de nuance.]
Je ne saisis pas le rapport. Les juifs séfarades ont émigré vers Israël non pas par référence à la Shoah, mais parce que l’affrontement Israélo-Arabe a souvent dégradé leurs rapports avec les populations musulmanes majoritaires – et les militants sionistes ont fait tout ce qu’il fallait pour accentuer ce mouvement. Par ailleurs, Israël offrait aux nouveaux arrivants un statut et des opportunités que les juifs séfarades n’avaient souvent pas dans leur pays d’origine. Mais la Shoah n’a rien à voir là-dedans. Pour ne prendre qu’un exemple, lors de l’exode des européens d’Algérie en 1962, l’immense majorité des juifs algériens ont préféré la France à Israël.
[Il y a bien quelque chose qui semble unir les Juifs entre eux, qui va bien au-delà du lien entre la nonne espagnol et le maronite du Liban, pour reprendre votre comparaison. Définir ce lien est une entreprise passionnante, Simon donne une piste dans un commentaire.]
Moi aussi je pensais comme vous, jusqu’à ce que j’aille pour la première fois en Israël pour le mariage d’une cousine éloignée qui se mariait avec un juif sabra d’origine séfarade iranienne. Et c’est là que j’ai compris que je n’avais rien en commun avec le marié et sa famille, qu’il m’était aussi étranger qu’un chiite iranien. Sa mère et ses sœurs étaient « voilées » (chevelure couverte, vêtements couvrant l’ensemble du corps sauf les mains), ils avaient des interdits alimentaires qui allaient bien au-delà de la cacherout que je connais. Ils ne parlaient pas la même langue que moi, ils n’avaient pas les mêmes formes de sociabilité. Je dois dire d’ailleurs qu’étant moi-même juif, je ne me suis senti nullement chez moi en Israël, tout au contraire, je me suis senti beaucoup plus étranger qu’en Jordanie, par exemple, peut-être précisément parce que j’avais cru naïvement que « quelque chose unit les juifs entre eux ».
La seule expérience que tous les juifs du monde partagent, c’est celle d’avoir été une minorité, d’avoir vécu pendant des générations entourés et dominés par des gens différents d’eux. Or, c’est précisément cette expérience que les juifs israéliens ne partagent pas !
@ Descartes
[ en quoi serait-il impossible d’envisager une opération contre Israël ?]
Parce que le pays qui oserait la mener devrait subir les foudres et les représailles des États-Unis. En conséquence, on risque de trouver fort peu de candidats.
@ Bob
[Parce que le pays qui oserait la mener devrait subir les foudres et les représailles des États-Unis. En conséquence, on risque de trouver fort peu de candidats.]
Mais quid d’une opération décidée par les Etats-Unis eux mêmes ?
@ Descartes
[Mais quid d’une opération décidée par les Etats-Unis eux mêmes ?]
Ce sont bien les seuls à le pouvoir. Cela serait rompre avec 70 ans d’une ligne politique qui “passe” tout à Israël et on n’en prend pas le chemin. On a plutôt l’impression que c’est Israël qui dicte aux États-Unis sa conduite.
@Descartes
[ Les politiciens qui s’engagent dans cette voie – souvent à droite pour capter le « vote juif », plutôt à gauche pour capter le « vote musulman » – nous préparent des lendemains qui pleurent. Ils prennent le risque de faire apparaître un « vote communautaire » qui à terme les asservira eux-mêmes à la dynamique du conflit entre communautés.]
Le “vote communautaire” me semble déjà installé”. Non ?
@ Geo
[Le “vote communautaire” me semble déjà installé”. Non ?]
Il pointe son nez, mais il est nettement moins installé qu’ailleurs. Les tentatives de lancement de partis politiques ou de listes « communautaires » a jusqu’à maintenant toujours conduit à l’échec. Lorsqu’on regarde les candidats « issus de la diversité », il s’agit presque toujours de personnes très largement assimilées. Le but de LFI, seule organisation qui assume le fait de capter le vote « communautaire », n’est pas de faire élire des musulmans pratiquants ou des femmes voilées, mais de capter ce vote au bénéfice de candidats qui se sont affranchis depuis longtemps de leur communauté, si tant est qu’ils aient jamais appartenu.
bonjour à tous
Tout d’abord maître René, non n’arrêtez pas de commenter, on apprend plein de choses chez vous. 🙂
Pour la culpabilité sur le génocide de Gaza, je pense que le monde entier a sa part de responsabilité
Les pays arabes voisins doivent intervenir car ce sont littéralement les suivants, mais si la menace américaine est une excuse ils sont tous pro israliens ou au mieux très passif alors que clairement ce sont les suivantsl’ancien tiers monde fait de son mieux mais est trop faibleles Iraniens pourraient aider, les saoudiens aussi ainsi que les qataris, au mieux ils sont neutres et eux s’adaptent au tableau global.
L’Occident est aussi complice actif mais soyons francs Israël c’est notre camp, c’est normal qu’on veuille qu’il gagne (intellectuellement parlant, moralement je suis aussi écœuré que vous).
Vous l’avez dit vous-même on ne se pose aucune limite pour gagner car personne ne nous en pose, le seul pays qui a tenté c’est la Russie. Résultat elle est juste soutenue par l’Iran et la Corée du Nord, la Chine ayant vendu plus d’armes à l’Ukraine qu’à la Russie, et en ce moment ça tourne moyen pour elle en conséquence
Il reste un pays qui devrait poser des limites à l’Occident, a les moyens de le faire mais ne le fait pas. et pour moi ce pays est aussi responsable voire plus que nous de ce génocide. C’est la Chine…
Comme vous le dites l’Histoire est tragique et dans notre cadre l’acteur géopolitique qui la rend encore plus tragique en ne faisant pas son rôle c’est la Chine.
Notre cynisme et notre hypocrisie sont assez reconnues depuis deux cents ans maintenant, c’est juste qu’on est les plus forts.
Pour défendre l’ONU tout en l’attaquant, l”ONU est à l’image du bloc dont elle dépend le plus: (nous) ultra hypocrite mais elle ne peut pas faire autrement
@ kaiser hans
[Pour la culpabilité sur le génocide de Gaza, je pense que le monde entier a sa part de responsabilité
Les pays arabes voisins doivent intervenir car ce sont littéralement les suivants, mais si la menace américaine est une excuse ils sont tous pro israéliens ou au mieux très passif alors que clairement ce sont les suivants. L’ancien tiers monde fait de son mieux mais est trop faible. Les Iraniens pourraient aider, les saoudiens aussi ainsi que les qataris, au mieux ils sont neutres et eux s’adaptent au tableau global.]
Tout le monde a sa part de responsabilité, mais certains en ont plus que d’autres. Comme disait l’autre, avec le pouvoir vient la responsabilité, et si nous – que ce « nous » soit français ou européen – prétendons à la puissance, nous ne pouvons pas refuser les responsabilités qui vont avec. Il faut aussi tenir compte de la réalité géopolitique. Que la Jordanie, qui est voisine avec Israël, qui est un pays faible, et qui risquerait de graves représailles, évite d’agir, c’est compréhensible. Que l’Union européenne, qui pourrait imposer des sanctions sans risquer le bombardement de Rome, Berlin ou Paris, n’agisse pas, c’est impardonnable.
Au demeurant, l’Iran et l’Arabie Saoudite ont réagi bien plus activement que nous. L’Iran soutient sans ambigüité le Hamas – qui, nolens volens, est aujourd’hui le seul mouvement organisé qui, sur le terrain, fait quelque chose pour les palestiniens – et a même envoyé des missiles sur Israël. L’Arabie Saoudite a gelé le processus de normalisation des accords d’Abraham. Comparez cela à l’UE, qui a mis plus d’un an à s’interroger – et on en reste à l’interrogation – sur l’opportunité de geler l’accord d’association avec Israël.
[L’Occident est aussi complice actif mais soyons francs Israël c’est notre camp, c’est normal qu’on veuille qu’il gagne (intellectuellement parlant, moralement je suis aussi écœuré que vous).]
Qu’on « veuille qu’il gagne », c’est peut-être normal. Qu’on tolère un génocide au motif qu’il est commis par quelqu’un de « notre camp » me pose un problème bien plus sérieux.
[Vous l’avez dit vous-même on ne se pose aucune limite pour gagner car personne ne nous en pose, le seul pays qui a tenté c’est la Russie. Résultat elle est juste soutenue par l’Iran et la Corée du Nord, la Chine ayant vendu plus d’armes à l’Ukraine qu’à la Russie, et en ce moment ça tourne moyen pour elle en conséquence]
Ce n’est pas tout à fait exact. La Russie peut compter dans cette affaire avec la sympathie d’une bonne partie du tiers monde – notamment le Brésil ou l’Afrique du Sud – et encore plus depuis Gaza, qui a mis en évidence les « double standards »de l’OTAN en matière de défense du droit international. Quant à la Chine, même si elle garde une certaine ambigüité, son engagement aux côtés de la Russie est ferme. Ce n’est pas tant les armes vendues que le pétrole acheté qui compte…
[Il reste un pays qui devrait poser des limites à l’Occident, a les moyens de le faire mais ne le fait pas. et pour moi ce pays est aussi responsable voire plus que nous de ce génocide. C’est la Chine…
Comme vous le dites l’Histoire est tragique et dans notre cadre l’acteur géopolitique qui la rend encore plus tragique en ne faisant pas son rôle c’est la Chine.]
Je vois mal ce que la Chine pourrait faire. La Chine et certes un géant économique, mais c’est un nain militaire et n’a pas de relais effectifs dans la région qui lui permettraient d’intervenir. Elle n’a pas avec Israël des relations commerciales suffisamment importantes pour rendre la menace de sanction efficace. Le moyen orient est hors de sa « zone d’influence », et on voit mal les américains lui permettre d’y mettre un pied.
[Pour défendre l’ONU tout en l’attaquant, l”ONU est à l’image du bloc dont elle dépend le plus: (nous) ultra hypocrite mais elle ne peut pas faire autrement]
Je ne crois pas que l’ONU « dépende de nous ». Il faut ici rappeler le triste destin de la Société des nations (SDN). Fondée après la première guerre mondiale par des idéalistes, son fonctionnement reposait sur le principe de « un état, un vote », qui mettait à égalité les grandes puissances de l’époque et les petits états. Conséquence : les puissances ont vite compris que le mécanisme limitait sérieusement leur liberté d’action sans pour autant leur apporter aucun avantage, et se sont vite fait affranchi de ce mécanisme. Les fondateurs de l’ONU, beaucoup plus pragmatiques, ont compris que le principe « un état, un vote » ne pouvait pas fonctionner, qu’il fallait tenir compte des rapports de puissance, et donc donner aux puissances un « plus » qui permette de les garder à bord. C’est pour cela que les puissances sont « membres permanents » du conseil de sécurité avec droit de véto : c’était la reconnaissance que rien ne pouvait être fait au niveau supranational sans leur accord. Et si l’action internationale reste limitée par ce principe, son bilan n’est en rien négligeable : les agences de l’ONU comme l’UNESCO, l’OMS, l’AIEA font un travail remarquable, surtout perceptible par les pays du tiers-monde, qui souvent n’ont pas l’expertise pour traiter ce type de questions tous seuls.
[L’Iran soutient sans ambigüité le Hamas – qui, nolens volens, est aujourd’hui le seul mouvement organisé qui, sur le terrain, fait quelque chose pour les palestiniens – et a même envoyé des missiles sur Israël. ]
Vous êtes sérieux ? Vous pensez vraiment que le Hamas fait quelque chose pour les Palestiniens ? Et que la preuve est qu’ils ont «même» envoyé des missiles sur Israel ? Moi qui vous croyez adepte de la rationalité et ancré dans le réel… Ou alors c’est de l’ironie ?
@Frank
[« L’Iran soutient sans ambigüité le Hamas – qui, nolens volens, est aujourd’hui le seul mouvement organisé qui, sur le terrain, fait quelque chose pour les palestiniens – et a même envoyé des missiles sur Israël. » Vous êtes sérieux ? Vous pensez vraiment que le Hamas fait quelque chose pour les Palestiniens ? Et que la preuve est qu’ils ont «même» envoyé des missiles sur Israel ?]
Si vous relisez ma phrase, vous verrez que celui qui envoie les missiles sur Israël est l’Iran, et non le Hamas…
Maintenant, sur le fonds. Oui, je pense que le Hamas « fait quelque chose pour les palestiniens ». Et ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les principaux intéressés qui, malgré une situation inhumaine, lui conservent un large appui. Parce qu’il ne faut pas être naïf : aucun mouvement n’aurait réussi à survivre face à un adversaire de la taille d’Israël s’il n’avait pas large soutien populaire qui lui permet, pour utiliser les mots de Mao, d’être comme « un poisson dans l’eau » parmi son peuple. Le Hamas, nous sommes d’accord, est un mouvement terroriste, sa charte est un charabia qui mélange des références à l’actualité avec des citations de textes écrits il y a un millénaire et demi, et s’il avait les mains libres il établirait par la violence un régime théocratique. Tout cela est parfaitement vrai. Mais quelles sont les alternatives ? Quel autre mouvement est de taille pour établir un rapport de force avec Israël – et là encore, ne soyons pas naïfs, Israël n’écoute que la force ? Le Fatah, son principal concurrent, est totalement dévalorisé. Déjà dans les dernières années d’Arafat les israéliens ont tout fait pour l’émasculer, et maintenant il n’est qu’une bureaucratie installée et qui a peur de perdre le peu de pouvoir qu’il a en Cisjordanie, au point qu’il laisse faire sans réagir une colonisation qui ne s’arrête pas.
Cela m’amuse beaucoup d’entendre les bienpensants comme Filiu – qui publie ces jours-ci un livre pleurnichard dont il fait la promotion régulièrement dans l’ensemble des médias – expliquer sa conviction que si demain des élections étaient organisées à Gaza, le Hamas perdrait très largement. Admettons un instant que ce soit le cas. Le problème est que si le Hamas perd, il faut bien que quelqu’un d’autre gagne. Or, à quel mouvement les gazaouis pourraient aujourd’hui faire confiance pour créer un rapport de forces avec Israël ? L’OLP dirigée par le Fatah ? La situation en Cisjordanie ne parle pas hautement de ses capacités. Alors qui ?
Le débat que nous avons rappelle celui qui, en France, accompagnait les actions de la Résistance. Est-ce que l’action des maquis « faisait quelque chose pour les Français » ? Beaucoup répondaient par la négative, considérant que leur seul effet était de déclencher des représailles dont la population civile était la principale victime (et il ne s’agit pas seulement du fusillement d’otages, pensez à Tulle ou à Oradour-sur-Glane). Même parmi ceux qui souhaitaient la victoire des alliés, beaucoup pensaient qu’il fallait arrêter tout ça, et attendre sagement la libération par les troupes anglo-américaines. Le cas des Palestiniens est encore plus difficile, puisqu’il n’y a aucune victoire alliée en vue…
Oui, le Hamas « fait quelque chose pour les Palestiniens » : il montre par son existence que toute possibilité de résistance n’est pas éteinte, que le peuple palestinien a une dignité. Sans eux, la question palestinienne serait aujourd’hui sous le tapis, grâce à eux elle est sur le devant de la scène. C’est beaucoup, vous ne trouvez pas ? Le Hamas a beau avoir tous les défauts, tous les vices de la terre, et j’en conviens volontiers. Mais il a une qualité, celle d’exister. Quand on fait tout pour tuer le directeur du cirque, on est obligé ensuite de négocier avec les lions.
[Parce qu’il ne faut pas être naïf : aucun mouvement n’aurait réussi à survivre face à un adversaire de la taille d’Israël s’il n’avait pas large soutien populaire qui lui permet, pour utiliser les mots de Mao, d’être comme « un poisson dans l’eau » parmi son peuple.]
Je ne suis pas totalement convaincu par cet argument. Les minorités actives et violentes savent s’imposer sans avoir à bénéficier d’un large soutien populaire. Pensez-vous que les nazis étaient soutenus par une large fraction de la population Allemande ? Je ne sais pas. Je préfère penser le contraire (pour les Allemands comme pour les Palestiniens), mais je n’ai pas d’argument convaincant dans un sens ou dans l’autre.
[Mais quelles sont les alternatives ? Quel autre mouvement est de taille pour établir un rapport de force avec Israël – et là encore, ne soyons pas naïfs, Israël n’écoute que la force ? Le Fatah, son principal concurrent, est totalement dévalorisé. Déjà dans les dernières années d’Arafat les israéliens ont tout fait pour l’émasculer, et maintenant il n’est qu’une bureaucratie installée et qui a peur de perdre le peu de pouvoir qu’il a en Cisjordanie, au point qu’il laisse faire sans réagir une colonisation qui ne s’arrête pas.]
Oui en effet, c’est bien le malheur absolu de la situation actuelle.
[Le débat que nous avons rappelle celui qui, en France, accompagnait les actions de la Résistance. Est-ce que l’action des maquis « faisait quelque chose pour les Français » ? […] Le Hamas a beau avoir tous les défauts, tous les vices de la terre, et j’en conviens volontiers. Mais il a une qualité, celle d’exister. Quand on fait tout pour tuer le directeur du cirque, on est obligé ensuite de négocier avec les lions.]
Je comprends votre manière de penser. Que l’on puisse penser cela relève d’une attitude compasionnelle honorable mais désespérée et je n’y adhère pas.
Imaginons que la Résistance française ait été menée par une clique d’intégristes chrétiens ayant comme objectif final de rétablir la grande Inquisition après avoir oblitéré l’Allemagne de la carte. Imaginons que les actions de ce mouvement de résistance aient ciblé les civils de manière indifférenciée, sans aucun objectif militaire utile. Imaginons que ces actions aient eu pour conséquence des représailles tuant des centaines de milliers, voire plus d’un million, de civils (pour garder les mêmes proportions qu’à Gaza). Pourrait-on dire que ce mouvement eût fait quelque chose pour la France et les Français ? Certainement pas. Qu’il eût le mérite d’exister ? Non plus.
Ce qui a fait la grandeur de la Résistance, c’est qu’elle était fondée sur des valeurs universelles sur lesquelles la France put par la suite se reconstruire; qu’elle ne ciblait pas les civils; qu’elle était constituée d’hommes et de femmes extraordinaires, courageux, une race noble qui est montée dans des circonstances tragiques et périlleuses et qui a pu par la suite aider le pays à se relever de belle manière. Vous croyez qu’il y a une once de cela dans le Hamas ? Vous voyez vraiment un Sinwar comme un Moulins ou un Brossolette ? Sérieusement ?
Malheureusement, je ne crois pas comme vous le dites que le Hamas ait le mérite d’exister ou puisse redonner une quelconque dignité au peuple palestinien, en massacrant de la manière la plus bestiale et en se rattachant aux idéologies obscurantistes les plus dégradantes. J’ai du mal à penser que dans 50 ans ou 100 ans ou 200 ans ou 1000 ans, les Palestiniens pourront regarder le Hamas avec fierté et s’identifier à lui. Enfin, ce n’est pas l’idée que je me fais du peuple Palestinien, en tout cas.
@ Frank
[« Parce qu’il ne faut pas être naïf : aucun mouvement n’aurait réussi à survivre face à un adversaire de la taille d’Israël s’il n’avait pas large soutien populaire qui lui permet, pour utiliser les mots de Mao, d’être comme « un poisson dans l’eau » parmi son peuple. » Je ne suis pas totalement convaincu par cet argument. Les minorités actives et violentes savent s’imposer sans avoir à bénéficier d’un large soutien populaire.
Je veux bien qu’une minorité active et violente puisse conquérir par son propre poids le pouvoir dans une situation particulière. Mais pour s’y établir et le garder, surtout face à un ennemi puissant et organisé, il faut le soutien plus ou moins actif de son peuple.
[Pensez-vous que les nazis étaient soutenus par une large fraction de la population Allemande ? Je ne sais pas.]
Cela ne fait pour moi pas le moindre doute. Et les Allemands mêmes le reconnaissent.
[« Le débat que nous avons rappelle celui qui, en France, accompagnait les actions de la Résistance. Est-ce que l’action des maquis « faisait quelque chose pour les Français » ? […] Le Hamas a beau avoir tous les défauts, tous les vices de la terre, et j’en conviens volontiers. Mais il a une qualité, celle d’exister. Quand on fait tout pour tuer le directeur du cirque, on est obligé ensuite de négocier avec les lions. » Je comprends votre manière de penser. Que l’on puisse penser cela relève d’une attitude compassionnelle honorable mais désespérée et je n’y adhère pas.]
Nullement. Elle relève au contraire du pur réalisme. Le Hamas est moralement indéfendable, mais la réalité est que les Palestiniens n’ont personne d’autre vers qui se tourner pour faire respecter leurs droits et avancer leurs revendications, et cet état de fait doit beaucoup à l’inaction des occidentaux et à l’action des israéliens, qui ont fait en sorte d’éliminer tous les interlocuteurs « raisonnables ».
[Imaginons que la Résistance française ait été menée par une clique d’intégristes chrétiens ayant comme objectif final de rétablir la grande Inquisition après avoir oblitéré l’Allemagne de la carte.]
Des intégristes chrétiens – dont certains passablement antisémites – il y en avait quelques-uns parmi les premiers partisans de la France Libre (Thierry d’Argenlieu, en religion père Louis de la Trinité, pour ne donner qu’un exemple). Sans compter avec quelques « intégristes staliniens » dans la résistance intérieure, que certains suspectaient de vouloir établir une « grande inquisition » rouge après avoir oblitéré l’Allemagne…
[Imaginons que les actions de ce mouvement de résistance aient ciblé les civils de manière indifférenciée, sans aucun objectif militaire utile. Imaginons que ces actions aient eu pour conséquence des représailles tuant des centaines de milliers, voire plus d’un million, de civils (pour garder les mêmes proportions qu’à Gaza). Pourrait-on dire que ce mouvement eût fait quelque chose
pour la France et les Français ? Certainement pas.]
Mais si ce mouvement avait été le SEUL acteur capable de créer un rapport de forces avec l’occupant, si l’alternative était de le soutenir ou de ne rien faire, quel aurait été votre choix ? Votre remarque me fait penser aux débats de la France Libre vis-à-vis de la résistance communiste. Non seulement on les considérait comme des fanatiques voulant instaurer après la révolution un régime copié de celui de l’URSS, mais dont les actions armées inutiles attiraient sur les populations civiles des représailles. Une image qu’on peut facilement transposer sur celle du Hamas…
[Ce qui a fait la grandeur de la Résistance, c’est qu’elle était fondée sur des valeurs universelles sur lesquelles la France put par la suite se reconstruire ; qu’elle ne ciblait pas les civils; qu’elle était constituée d’hommes et de femmes extraordinaires, courageux, une race noble qui est montée dans des circonstances tragiques et périlleuses et qui a pu par la suite aider le pays à se relever de belle manière. Vous croyez qu’il y a une once de cela dans le Hamas ? Vous voyez vraiment un Sinwar comme un Moulins ou un Brossolette ?]
Bien sûr que non. Mais il faut regarder les faits en face. La Résistance française est issue d’une longue histoire institutionnelle et politique, conduite par des hommes et des femmes formés en temps de paix et qui aspiraient à la rétablir. Si l’occupation nazi, avec toute sa brutalité, avait duré 80 ans, si deux générations de français avaient été formés dans ce climat d’arbitraire et de violence, les combattants de la Résistance auraient-ils pu garder cette « noblesse » dont vous parlez ? Aurait-elle renoncé à porter ses coups sur les civils allemands ? Il est très difficile de répondre.
[Malheureusement, je ne crois pas comme vous le dites que le Hamas ait le mérite d’exister ou puisse redonner une quelconque dignité au peuple palestinien,]
Je ne crois pas avoir parlé de dignité. Je n’ai fait qu’évoquer le rapport de forces.
[en massacrant de la manière la plus bestiale et en se rattachant aux idéologies obscurantistes les plus dégradantes. J’ai du mal à penser que dans 50 ans ou 100 ans ou 200 ans ou 1000 ans, les Palestiniens pourront regarder le Hamas avec fierté et s’identifier à lui.]
Probablement pas. Mais il y a des maux dont on n’est pas fier, et qui sont pourtant nécessaires.
@ kaiser hans
[Israël c’est notre camp]
Pourquoi ?
@bob
[[Israël c’est notre camp] Pourquoi ?]
Nos gouvernants ont décidé d’en faire notre garde chiourme dans le coin…(de mon côté 0 côté guerre de civilisation, état d’esprit d’autant plus désastreux que ce serait occident contre islam avec 20% de musulmans sur notre sol…si vous avez kiffé les guerres de religion avec 5 à 10% de protestants, je vous laisse deviner contre 20%
@DescartesQu’on « veuille qu’il gagne », c’est peut-être normal. Qu’on tolère un génocide au motif qu’il est commis par quelqu’un de « notre camp » me pose un problème bien plus sérieux.
moi aussi d’où mon expression “c’est normal qu’on veuille qu’il gagne (intellectuellement parlant, moralement je suis aussi écœuré que vous)”
“Ce n’est pas tant les armes vendues que le pétrole acheté qui compte…”
pétrole acheté avec un GRRROOOSSSS rabais
“Je vois mal ce que la Chine pourrait faire. ” là dessus je suis très sévère, c’est sont taff…il y a toujours une complexité pour intervenir, aider réellement la Russie, intervenir à Taiwan, ou au Moyen Orient mais s’ils ne font rien je crains pour les Chinois que les USA eux trouvent très vite la solution pour leur faire mal quand la Chine sera bien circonscrite…
pour le reste plutôt d’accord avec vous…
@ kaiser hans
[« « Israël c’est notre camp » » « Pourquoi ? » Nos gouvernants ont décidé d’en faire notre garde chiourme dans le coin…]
Alors, peut-être que Israël est du camp de nos gouvernants. Mais certainement pas du mien !
[“Ce n’est pas tant les armes vendues que le pétrole acheté qui compte…” pétrole acheté avec un GRRROOOSSSS rabais ]
Les affaires sont les affaires, même si le rabais en question est moins important qu’on ne veut le dire. Mais le fait, c’est que la Chine l’achète, ce que peu de puissances accepteraient de faire, même avec un GRRROOOSSSS rabais. Et cela est vital pour les Russes.
[“Je vois mal ce que la Chine pourrait faire. ” là-dessus je suis très sévère, c’est sont taff… il y a toujours une complexité pour intervenir, aider réellement la Russie, intervenir à Taiwan, ou au Moyen Orient]
Aider la Russie, ce n’est pas si difficile – et ils le font assez largement. Intervenir à Taiwan, c’est devoir ensuite assurer l’occupation et la mise au pas d’un pays insulaire de 25 millions d’habitants, sans compter avec les sanctions internationales. Mais Gaza, c’est encore plus complexe, puisqu’il n’y a pas un gouvernement à soutenir ou un territoire à occuper. Il n’est pas possible pour la Chine d’intervenir dans le conflit palestinien autrement qu’à travers des relais, et pour des raisons historiques elle n’en a pas. D’ailleurs, quel serait son intérêt à le faire ?
“Alors, peut-être que Israël est du camp de nos gouvernants. Mais certainement pas du mien !”pour moi c’est pareil, quand je dis notre camp je parle du camp choisi par notre Etat dont je suis nolens volens solidaire malheureusement mais je ne soutiens pas l’action d’Israël à Gaza que je trouve d’autant plus infecte que les Israéliens descendent de gens ayant subi un truc de ce genre.
“D’ailleurs, quel serait son intérêt à le faire ?”je ne sais pas si on peut parler d’intérêt mais je préférerais que le conflit USA Chine qui va selon moi survenir se passe sur un territoire neutre plutôt que sur un territoire vital. (rapport au risque de pétage de câble)
J’avoue mon hypothèse cachée c’est que les USA sont lancés dans une trajectoire de guerre avec la Chine et que la Chine ne l’évitera donc pas, et qu’il ne lui reste qu’à choisir le lieu et la date…sachant quand même que quand il s’agit de détruire, l’armée américaine reste forte..
@ kaiser hans
[“Alors, peut-être que Israël est du camp de nos gouvernants. Mais certainement pas du mien !”pour moi c’est pareil, quand je dis notre camp je parle du camp choisi par notre Etat dont je suis nolens volens solidaire]
C’est une question terminologique. Personnellement, quand je dis que quelqu’un est « dans notre camp », cela veut dire que ce quelqu’un est susceptible de contribuer à faire avancer les intérêts de la France, de soutenir nos positions et nos combats. Je ne pense pas que ce soit le cas d’Israël.
[J’avoue mon hypothèse cachée c’est que les USA sont lancés dans une trajectoire de guerre avec la Chine et que la Chine ne l’évitera donc pas, et qu’il ne lui reste qu’à choisir le lieu et la date…sachant quand même que quand il s’agit de détruire, l’armée américaine reste forte…]
Je suis beaucoup moins pessimiste que vous. Il y aura certainement une compétition acharnée entre la Chine et les Etats-Unis, les uns voulant une part dans le partage du monde conforme à leur puissance, les autres voulant sauvegarder leur prééminence. Mais ce combat restera, je le pense, économique. Si l’on vient à des actions militaires, elles se feront « par proxy » comme ce fut le cas entre les Etats-Unis et l’URSS pendant la guerre froide. Les deux pays ont trop à perdre à une confrontation frontale.
Vous dites :
<<
La seule chose qu’Orwell n’ait pas anticipée – et elle n’était pas facile à voir dans le monde de 1949, quand il écrit son roman – c’est que pour imposer cette société, point besoin d’un dictateur.
>>
Il était un agent des services anglo-saxons, si je ne me trompe, et cette césité vis-à-vis du capitalisme n’est nullement un hasard, mais partie intégrante de sa prose visant à tracer un signe égal entre hitlérisme et stalinisme.
@ Luc Laforets
[Il était un agent des services anglo-saxons, si je ne me trompe, (….)]
Je crains que vous ne vous trompiez. Nulle part dans la biographie de Orwell on ne voit apparaître un tel emploi. Même pendant la deuxième guerre mondiale, alors que beaucoup d’intellectuels ont été recrutés pour des travaux d’intelligence, il n’a pas eu ce type de fonctions : il a d’abord été employé dans ministère de l’information, dans le département chargé de la censure, puis à la BBC où il était en charge des émissions vers l’Inde.
[(…) et cette césité vis-à-vis du capitalisme n’est nullement un hasard, mais partie intégrante de sa prose visant à tracer un signe égal entre hitlérisme et stalinisme.]
Que ses travaux aient été largement utilisés comme textes de propagande anticommuniste, c’est un fait. Mais il est injuste à mon avis d’attribuer à Orwell l’intention « de tracer un signe égal entre hitlérisme et stalinisme ». Aucun de ses ouvrages ne va dans cette direction. En fait, ce qui rend Orwell universel c’est sa réflexion sur le processus révolutionnaire et le totalitarisme. « La ferme des animaux » parle autant de la Revolution bolchévique que de la Révolution française, et le slogan « tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres » peut se référer autant au stalinisme qu’au premier empire. « 1984 » est plus une réflexion sur le totalitarisme en général que sur le nazisme ou le stalinisme en particulier, et si le monde de « Big Brother » emprunte des éléments aux deux, il n’est identifiable avec aucun.
Sincèrement, je ne suis pas sûr de me tromper.
Je livre à votre regard critique ces quelques liens qui relativisent l’icône Orwell :
– https://histoireetsociete.com/2020/09/15/george-orwell-la-lutte-contre-le-totalitarisme-de-la-cia/
– https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Orwell#Pol%C3%A9mique_posthume (membre de l’IRD https://fr.wikipedia.org/wiki/Information_Research_Department)
– https://youtu.be/Da5X9YogdeA
@ Luc Laforêts
[Je livre à votre regard critique ces quelques liens qui relativisent l’icône Orwell : (…)]
Et bien, mon regard critique ne peut que rigoler devant cette collection. Commençons par le premier lien proposé. Franchement, si vous prenez comme référence les productions de Danielle Bleitrach, je ne suis pas étonné que vous voyiez des agents de la CIA partout. Comme souvent, elle s’imagine que parce qu’elle exprime une affirmation, elle a prouvé quelque chose. Ainsi, elle affirme que Orwell « fut lui-même par anticommunisme forcené un agent de ladite CIA » mais ne donne aucun élément qui justifie pareille accusation. Plus loin, elle affirme que « Il ne se contenta d’ailleurs pas d’établir des fiches sur les communistes mais également sur les homosexuels, sur des noirs, des juifs soupçonnés d’être sensibles à l’URSS et à son rôle dans la décolonisation comme dans la lutte contre le nazisme ». Sauf qu’aucun élément sur les « fiches » en question n’est proposé. Le seul lien qu’on ait pu établir entre Orwell et un service de renseignement concerne les rapports entre l’écrivain et l’IRD (« Information research departement ») qui était un service de documentation du ministère des affaires extérieures britanniques. Une amie personnelle d’Orwell qui travaillait pour ce département, lui demanda en mars 1949, lors d’une visite au sanatorium où il était soigné, son avis sur une liste de personnalités qui pourraient être approchés pour produire de la propagande anticommuniste. Orwell produisit une « liste » excluant certaines personnalités, soit parce qu’elles étaient trop proches des communistes, soit parce qu’elles étaient « malhonnêtes » ou « trop stupides ». Orwell était déjà très malade quand il produisit cette liste, et meurt quelques mois plus tard. Franchement, pour en faire un « agent de la CIA », c’est un peu faiblard.
La deuxième référence que vous proposez, la biographie d’Orwell sur Wikipédia, est totalement muette sur les liens entre Orwell et la CIA. Il remet à sa juste place l’affaire de la « liste », et se permet même de donner un exemple où Orwell se serait levé contre le maccarthysme : « en mars 1948, Orwell écrit à George Woodcock pour que le Freedom Defence Committee prenne position contre la tentative du gouvernement travailliste de purger la fonction publique de ses éléments communistes » (Newsinger, La politique selon Orwell, p. 255). »
Quant à la vidéo, elle n’accrédite à aucun moment l’affirmation de Bleitrach selon laquelle Orwell aurait été « un agent de la CIA », ou que la fameuse « liste » aurait été « communiquée à la CIA ». Je regrette par ailleurs que Annie Lacroix-Riz, que j’ai connu plus inspirée, se laisse aller à un discours complotiste et plein d’amalgames (celle entre Kastler et Orwell est particulièrement effarante). Le fait qu’il soit devenu « l’idole de la droite » ne fait pas d’Orwell un homme de droite.
Il est regrettable qu’une partie de la gauche communiste soit incapable de voir plus loin que l’utilisation qui a été faite des œuvres d’Orwell par les anticommunistes il y a un écrivain qui a posé avec une grande acuité un certain nombre de problèmes que tous ceux qui veulent faire une révolution. La question posée dans « la ferme des animaux », celle de la dérive d’une révolution en principe égalitaire mais qui est confisquée par une minorité pour ses propres intérêts est une logique présente depuis le début de la modernité, et qui n’est pas propre à la révolution bolchévique. « 1984 » met en lumière les mécanismes par lesquels un régime peut contrôler les foules par la falsification de l’histoire (« qui contrôle le présent contrôle le passé, qui contrôle le passé contrôle le futur »), par l’appauvrissement du langage, par la logique de guerre permanente. Et cela rappelle plus ce que nous avons aujourd’hui que le stalinisme ou le nazisme. Je pense qu’il est très dommage qu’au lieu de se saisir de ces deux ouvrages et d’en tirer tout le jus, certains communistes cherchent au contraire à les effacer en salissant leur auteur.
Il est d’ailleurs très amusant de constater que la gauche bienpensante, qui encensait Orwell du temps où son œuvre paraissait viser essentiellement les communistes, a subitement découvert qu’il s’agissait d’un affreux agent de la CIA à l’aube des années 2000, alors que son œuvre paraît de plus en plus universelle au fur et à mesure que le capitalisme avancé ressemble de plus en plus à la dystopie qu’est « 1984 »… sûrement une coïncidence.
Je vois plutôt dans l’article de Wikipédia une confirmation, dans son style, des dires de D. Bleitrach. Pour ce qui concerne l’IRD, comme tout service “d’information”, il est rattaché aux services spéciaux comme l’accrédite simplement la page Wikipédia à son endroit (rappel du lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Information_Research_Department).
Je vous accorde que A. Lacroix-Riz dit parfois ici des choses peu pertinentes, toutefois on apprend tout de même pas mal de choses sur la personne Orwell.
Attention, cela n’enlève rien à l’intérêt de ses oeuvres et sur sa dénonciation du totalitarisme.Cela relativise juste les raisons de sa promotion, jamais dépourvue d’arrière-pensées, et dans le cas présent, je réitère, sur le signe égal à tracer entre stalinisme et hitlerisme.
@ Luc Laforets
[Je vois plutôt dans l’article de Wikipédia une confirmation, dans son style, des dires de D. Bleitrach.]
Ah bon ? Où voyez-vous dans cet article une confirmation de l’affirmation de Bleitrach selon laquelle Orwell était “un agent forcéné de la CIA” et qu’il établissait “des fiches sur les communistes mais également sur les homosexuels, sur des noirs, des juifs soupçonnés d’être sensibles à l’URSS et à son rôle dans la décolonisation comme dans la lutte contre le nazisme” ? Rien de tel ne figure dans ce lien. D’une part, l’article ne mentionne même pas les liens qui ont pu exister entre l’IRD et la CIA, de telle façon qu’à supposer même que Orwell ait été un agent de l’IRD (ce qui n’est nullement établi, et en fait peu probable) cela ne fait pas de lui un “agent forcené de la CIA”. D’autre part, l’IRD ne semble pas, du moins si l’on croit l’article de Wikipédia, avoir compilé des “fiches”. Sa mission était de faire de la propagande anticommuniste clandestine. Bleitrach, comme souvent, laisse son imagination divaguer et voit des “agents forcenés de la CIA” partout.
[Je vous accorde que A. Lacroix-Riz dit parfois ici des choses peu pertinentes, toutefois on apprend tout de même pas mal de choses sur la personne Orwell.]
La question est de savoir pourquoi une partie de la gauche – je pense aux “orthodoxes” comme Bleitrach en France, mais aussi à la gauche bienpensante britannique dont “The Guardian”, qui a été le premier à ressortir l’affaire de la “liste” en 2003, est le porte parole – tient tant à salir l’image d’Orwell, et pourquoi le fait-elle justement après la chute de l’URSS. Alors qu’un écrivain comme Arthur Koestler, dont l’engagement dans la campagne en question est bien plus fort et bien documenté, ne fait guère l’objet de critiques…
La raison, à mon avis, est simple: contrairement à Koestler, qui n’est qu’un propagandiste de seconde zone, Orwell a donné dans le mille. Quiconque – et je me compte parmi ceux-là – a adhéré à un moment de sa vie à un projet généreux de changement de société pour aller vers une vision égalitaire ne peut lire “la ferme des animaux” sans un sentiment de malaise, parce qu’il pose la question lancinante de la manière dont la petitesse humaine et les intérêts personnels peuvent pervertir les idéaux les plus purs. Et c’est là un avertissement que tous ceux qui ont en tête un projet révolutionnaire devraient méditer.
[Attention, cela n’enlève rien à l’intérêt de ses oeuvres et sur sa dénonciation du totalitarisme.]
Ce n’est pas la “dénonciation” qui fait l’intérêt de l’oeuvre d’Orwell. Des gens qui ont dénoncé le totalitarisme, vous en trouves treize à la douzaine. Ce qui fait l’intérêt de l’oeuvre d’Orwell, c’est qu’il démonte les mécanismes de ce totalitarisme. Pour moi, “1984” est un texte qu’il faudrait faire lire dans les écoles de tout parti politique qui se prétend révolutionnaire, parce qu’il montre très bien que la domination totalitaire ne passe que marginalement par les matraques et les pistolets, que le contrôle du récit historique, la logique de la “guerre permanente”, la dégradation du langage et du savoir auquel les citoyens ont accès jouent un rôle bien plus important. Et ces éléments sont présents – je dirais même qu’ils deviennent dominants – dans notre société d’aujourd’hui. La “guerre des civilisations”, c’est la guerre entre Océania et ses voisins. La réécriture du “roman national” en “roman européen” ou en “roman diversitaire”, c’est “celui qui contrôle le présent contrôle le passé, celui qui contrôle le passé contrôle le futur”. La dégradation de l’enseignement du français et l’imposition progressive d’une forme de “globish”, c’est la garantie que demain on n’aura plus d’idées dangereuses parce que nous n’aurons même plus les mots pour le faire. Ce qu’Orwell dépeint, ce n’est ni le stalinisme, ni le nazisme, c’est la société que nous avons aujourd’hui. Et je trouve triste que la gauche ne soit pas assez intelligente pour le voir.
[Cela relativise juste les raisons de sa promotion, jamais dépourvue d’arrière-pensées, et dans le cas présent, je réitère, sur le signe égal à tracer entre stalinisme et hitlerisme.]
Je suis personnellement persuadé que la lecture des grandes œuvres émancipe les individus. Et que quelque soient les “raisons de la promotion” des œuvres d’Orwell, ceux qui les ont lu en sont sortis plus intelligents. J’ai du mal à voir en quoi la lecture de “1984” pousserait quiconque à tracer un signe égal entre stalinisme et hitlerisme.
Archives montrant qu’Orwell s’est même proposé pour travailler pour l’IRD : https://blog.nationalarchives.gov.uk/george-orwell-surveillance-and-the-state/
Organe créé en 1948 pour lutter contre le communisme. Fournir une liste de noms est tout sauf anodin.
Pour ce qui concerne la mise en lumière du caractère de coquin dans l’humanité, rien de bien nouveau sous le soleil. Machiavel ou Léopardi, entre nombreux autres, nous ont révélé cela depuis des lustres.
Je dis juste : Ne soyons pas naïfs sur les raisons de la promotion de cet auteur. La fin de la vidéo de Lacroix-Riz est éclairante à ce propos.
Voyez-vous, ce qui m’apparaît important, c’est à la fois de dégager les éléments de réalité dans les propos, sans être dupe des intentions de leurs auteurs et autres promoteurs (ce qui aide à décrypter les dits propos d’ailleurs).
@ Luc Laforets
[Archives montrant qu’Orwell s’est même proposé pour travailler pour l’IRD : (…)]
Je vous rappelle que l’affirmation de Bleitrach, que vous aviez soutenue, était que Orwell « était un agent forcené de la CIA » et qu’il « avait fait des fiches ». Le document que vous citez en référence n’accrédite nullement ces accusations. Admettez-vous qu’elles sont fausses ?
Maintenant, examinons le texte que vous proposez. Son auteur n’affirme nullement qu’Orwell ait « proposé de travailler pour l’IRD ». Je crains que vous ayez fait une erreur de traduction. L’article dit que « George had proposed to Celia a few years previously ». Celia étant Celia Kirwan, qui travaillait pour l’IRD. Seulement « to propose » dans ce contexte se traduit par « demandé sa main ». En fait, l’article ne fait que confirmer ce qui a déjà été écrit dans d’autres commentaires : ce qu’Orwell a fait, c’est de « suggérer des écrivains qui pouvaient être recrutés par l’IRD » pour faire de la propagande, ainsi que de lister ceux qui, pour être « crypto-communistes, compagnons de route ou tout simplement inclinés dans cette direction n’étaient pas idoines pour être recrutés comme propagandistes ». L’auteur de votre référence note que « Personne n’a été molesté ou persécuté comme conséquence de cette liste – ce n’était qu’un échange d’information ».
[Organe créé en 1948 pour lutter contre le communisme. Fournir une liste de noms est tout sauf anodin.]
L’IRD n’a pas été créé pour « lutter contre le communisme », mais pour monter des opérations de propagande anticommuniste. Ce qui est bien plus restrictif. Le fait d’indiquer que tel ou tel écrivain n’aurait pas fait un bon propagandiste contre le communisme ne fait pas de quelqu’un un « agent forcené de la CIA », pas plus qu’un agent de l’IRD. D’ailleurs je doute que la « liste » en question ait appris quelque chose à l’IRD : les sympathies des personnes qui y figurent étaient en général bien connues.
[Je dis juste : Ne soyons pas naïfs sur les raisons de la promotion de cet auteur. La fin de la vidéo de Lacroix-Riz est éclairante à ce propos.]
Il y a une différence entre les raisons pour lesquelles un auteur écrit ses œuvres, et les raisons pour lesquelles il est promu par d’autres. Quoi qu’il en soit, rien n’autorise à faire d’Orwell un « agent forcené de la CIA » comme le fait Bleitrach.
[Voyez-vous, ce qui m’apparaît important, c’est à la fois de dégager les éléments de réalité dans les propos, sans être dupe des intentions de leurs auteurs et autres promoteurs (ce qui aide à décrypter les dits propos d’ailleurs).]
Sage principe. Peut-être faudrait-il l’appliquer aux dires de Bleitrach, par exemple ?
Je ne fais aucune erreur de traduction, car je fais référence à ce passage :
«`Further on he writes: ‘I could also, if it is of value, give you a list of crypto-communists, fellow-travellers or inclined that way and should not be trusted as propagandists’»
Et un peu avant, où il propose une liste de personnes de confiance pour la propagande anti-communiste. Lisez, mieux ! (un conseil : enlevez vos lunettes en forme de cœur ;-).
Il a travaillé et été proactif avec l’IRD, qui est bien entendu une émanation, une succursale des services spéciaux (pensez à l’USAID).
Vous minimisez la fourniture de listes de noms aux agents de l’impérialisme capitaliste ! À la sortie de la 2eme guerre mondiale, alors que la guerre froide commence et que le maccarthysme va se développer, de la part de quelqu’un censé être un opposant : Wouahouh !
Par rapport à Bleitrach (que j’apprécie d’ailleurs modérément), je l’ai simplement citée pour illustrer le fait que la “référence” Orwell n’en est pas une pour tout le monde.
@ Luc Laforets
[Je ne fais aucune erreur de traduction, car je fais référence à ce passage : «`Further on he writes: ‘I could also, if it is of value, give you a list of crypto-communists, fellow-travellers or inclined that way and should not be trusted as propagandists’»]
Autrement dit, il se propose d’aider une amie – qui travaille pour l’IRD – et non de « travailler pour l’IRD ». J’ai proposé, il n’y a pas si longtemps, d’aider un ami à préparer un cours à l’Université. Diriez-vous que j’ai « proposé de travailler pour l’université » ?
[Et un peu avant, où il propose une liste de personnes de confiance pour la propagande anti-communiste. Lisez, mieux ! (un conseil : enlevez vos lunettes en forme de cœur ;-). Il a travaillé et été proactif avec l’IRD, qui est bien entendu une émanation, une succursale des services spéciaux (pensez à l’USAID).]
Non. Il a rendu service à une amie personnelle, qui accessoirement travaillait pour l’IRD. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Et l’IRD n’est pas « une émanation, une succursale des services spéciaux », mais un service du ministère des affaires étrangères britannique.
[Vous minimisez la fourniture de listes de noms aux agents de l’impérialisme capitaliste ! À la sortie de la 2eme guerre mondiale, alors que la guerre froide commence et que le maccarthysme va se développer, de la part de quelqu’un censé être un opposant : Wouahouh !]
Quelqu’un qui est « censé être un opposant » à quoi ? Orwell a fourni une « liste » de gens qui étaient de possibles collaborateurs dans une campagne de propagande anticommuniste, ou qui à contrario il était inutile de solliciter. Il ne mérite certainement pas de félicitations pour cela, mais de là à en faire « un agent forcené de la CIA », il y a quand même une marge.
Mais la question intéressante ici n’est pas tant si Orwell a ou non collaboré avec l’IRD, mais pourquoi Bleitrach trouve nécessaire de salir sa réputation en exagérant jusqu’à l’absurde son rôle.
[Par rapport à Bleitrach (que j’apprécie d’ailleurs modérément), je l’ai simplement citée pour illustrer le fait que la “référence” Orwell n’en est pas une pour tout le monde.]
Mais l’exemple est mal choisi. Ce qui fait d’Orwell une référence, ce n’est pas ses activités en tant qu’individu, mais son œuvre en tant qu’écrivain. Or, vous le noterez, Bleitrach ne parle pas de cette question. Elle cherche à salir l’auteur comme moyen de dévaloriser l’oeuvre. C’est ce que les anglais appellent au football « play de men, and not the ball » (« frapper le joueur, et non le ballon »).
A supposer même que Orwell ait été un “agent forcené de la CIA”, qu’il ait fait un enfant à la servante ou sodomisé le chien, cela n’enlève rien à l’acuité de l’analyse de “la ferme des animaux” ou de “1984”.
@Descartes et tous:
[….le slogan « tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres » peut se référer autant au stalinisme qu’au premier empire. « 1984 » est plus une réflexion sur le totalitarisme en général que sur le nazisme ou le stalinisme en particulier, et si le monde de « Big Brother » emprunte des éléments aux deux, il n’est identifiable avec aucun.]
Tout de même: dans 1984 l’angsoc revendique comme ancêtres le nazisme allemand et le communisme russe avec une belle égalité. Orwel n’était certainement pas un agent du MI6 ou de la CIA, mais il y a peu de doutes sur la distance prise avec ses ancien engagements et pas seulement avec Staline: la révolution conduit fatalement au totalitarisme est la morale du livre.
(Alain Besançon a pu affirmer qu’il était devenu pour ce livre une sorte de théologien du mal malgré lui. Je recommande à tous son “La falsification du bien”, sur Orwel et Soloviev, si du moins vous pouvez mettre la main dessus en bibliothèque ou en solde.)
Salutations et merci à Descartes pour le papier.
@ Geo
[Tout de même: dans 1984 l’angsoc revendique comme ancêtres le nazisme allemand et le communisme russe avec une belle égalité.]
Ca fait un certain temps que je n’ai pas relu « 1984 », mais je ne me souviens pas que le livre contienne la moindre référence explicite au nazisme ou au communisme russe. Et si on trouve dans « l’angsoc » des éléments piochés dans l’un et dans l’autre, on y trouve aussi des éléments qui y étaient absents – je pense notamment à la réflexion sur l’appauvrissement du langage, et à l’idée que cet appauvrissement rendrait le « crime de la pensée » impossible, qui me paraît un élément particulièrement intéressant du livre.
[Orwel n’était certainement pas un agent du MI6 ou de la CIA, mais il y a peu de doutes sur la distance prise avec ses ancien engagements et pas seulement avec Staline: la révolution conduit fatalement au totalitarisme est la morale du livre.]
Je ne crois pas qu’Orwell ait « pris de la distance avec ses anciens engagements ». Orwell a toujours été plus proche de la vision anarchiste – ou d’un trotskysme d’opposition – que de la vision léniniste. Son idée que « Vous ne pouvez pas avoir une révolution si vous ne la faites pas pour votre propre compte ; une dictature bienveillante, ça n’existe pas. » était déjà exprimée dans « la ferme des animaux ».
“En 2003, les troupes américaines envahissent un pays souverain, renversent son gouvernement et établissent un régime proconsulaire, là encore sans se cacher. Aurait-on pu faire pareil dans les années 1960 ?”
Mais bien sur !
1968 les troupes du pacte de Varsovie envahissent la tchecoslovaquie
Dans les annees 50 je peux vous citer la Hongrie (1956) . ou en 1979 l URSS en Afghanistan donc rien de nouveau sur le soleil
@ cdg
[« En 2003, les troupes américaines envahissent un pays souverain, renversent son gouvernement et établissent un régime proconsulaire, là encore sans se cacher. Aurait-on pu faire pareil dans les années 1960 ? » Mais bien sur ! 1968 les troupes du pacte de Varsovie envahissent la tchecoslovaquie
Dans les annees 50 je peux vous citer la Hongrie (1956) ou en 1979 l URSS en Afghanistan donc rien de nouveau sur le soleil]
Oh que si ! Pour prendre les deux derniers cas, vous faites erreur : en 1956, les troupes du Pacte de Varsovie n’envahissent pas un pays souverain pas plus qu’ils ne renversent son gouvernement. Elles interviennent au contraire à la demande du gouvernement hongrois, pour l’aider à mater un mouvement séditieux. En 1979, c’est là aussi à la demande du gouvernement afghan que les soviétiques entrent dans le pays. Le cas de la Tchecoslovaquie en 1968, par contre, est bien un cas d’invasion d’un état souverain et le renversement de son gouvernement – mais pas de l’établissement d’un régime proconsulaire…
Mais au-delà de ces détails de l’histoire, admettons que ce soit le cas, que l’action des Soviétiques en Tchécoslovaquie en 1968, en Hongrie en 1956 ou en Afghanistan en 1979 soient en tout point comparables à celle des Etats-Unis en Irak. On peut remarquer alors une différence radicale entre les deux : en 1968, en 1956 et en 1979, l’ensemble des nations démocratiques a condamné avec la plus grande fermeté l’agresseur présumé, et a pris contre lui des sanctions, au nom des valeurs et principes sacrés. Lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Irak… ce fut le grand silence. Quelques timides condamnations, et aucune sanction… Ne trouvez-vous pas que c’est là une grande nouveauté sous le soleil ? Et ne pensez-vous pas que cette différence jette une certaine lumière sur la sincérité des engagements envers ces valeurs et principes sacrés ?
Les exemples que vous donnez illustrent à la perfection le changement de paradigme. Hier, on faisait peut-être les mêmes choses, mais on les faisait avec mauvaise conscience, et on se sentait obligé à garder certaines formes, à maintenir certains principes. On ne pouvait pas se permettre de bombarder une population civile sans autre forme de procès… aujourd’hui, on peut.
Je me permets de vous retranscrire un échange que j’ai eu sur internet, avec un défenseur d’Israël (par ailleurs quelqu’un de brillant et cultivé). J’aimerais avoir vos avis dessus. Mes arguments sont ils réellement pertinents ?
MON ARGUMENTAITON INITIALE :
(*) Israël a gagné la guerre contre les palestiniens depuis 1967. Celui qui a gagné la guerre peut imposer la paix qui lui convient. Il appartient donc à Israël d’imposer sa solution de paix viable. C’est le refus d’une telle solution de paix qui génère ces désordres.
Israël porte donc une lourde responsabilité, avant tout pour n’avoir jamais proposé de solution de paix depuis presque 60 ans. Peu importe que ce soit une solution à 1, 2, 3 États, etc. Mais il faut une solution.
C’est là que réside la faute originelle d’Israël.
2 questions :
– Israël est-elle prête à accepter une solution de paix définitive décidée par d’autres ? (En gros s’en remettre à la communauté internationale : ONU ou autres)
– Si non, quelle est la solution de paix proposée par Israël ?
Si non à la première question, et “aucune” à la seconde, c’est qu’Israël ne veut pas la paix, et ne peut donc pas trop se plaindre de ne pas l’avoir…
REPONSES :
(*) [ironique] C’est la faute d’Israël d’exister, d’avoir été attaqué par les armée arabes en 1948, en 1967 et en 1973. Israël est aussi responsable des différentes intifadas, des envois de missiles sur son territoire durant des années depuis Gaza.
(*) La “communauté internationale”, cela n’existe pas. L’ONU est dominée par des pays foncièrement antisémites qui n’ont qu’un souhait : la disparition d’Israël. On ne peut donc pas faire confiance à l’ONU pour proposer une solution de paix.
(*) Pour faire la paix, il faut être deux. Daladier et Chamberlain en ont fait l’amère expérience.
Israël a fait plusieurs fois des propositions de paix, dont :
– 2000 gouvernement Ehud Barak, refus au dernier moment d’Arafat.
– 2008 gouvernement Olmert, refus de Abbas.
(*) Vous pensez que les pays occidentaux ont négocié une paix avec l’Etat islamique (Daesh) ? Non, ils les ont bombardés, pour les détruire. Exactement ce que fait aujourd’hui Israël avec le Hamas.
MES REPONSES :
(*) Israël n’a pas à faire des “propositions” de paix. Mais à décréter la paix, à en définir les conditions, et a les moyens de faire respecter ces conditions.
L’URSS et les USA ont-ils fait la paix avec l’Allemagne ou le Japon en 1945 ? Non, ils ont dicté les conditions.
Israël pourrait très bien décider : “voilà ce que sera la paix”, et doit annoncer publiquement ce que sera la paix qu’ils proposent le jour où les palestiniens l’accepteront. Et mener dès maintenant une politique compatible avec cette paix.
Cela donnerait tort à ceux qui disent qu’Israël n’a pas d’autre projet à proposer que l’expulsion des populations palestiniennes. Ce qui affaiblirait considérablement le HAMAS et compagnie, puisqu’une meilleure vie serait possible en lachant ce mouvement.
Dans le cas contrainre, s’ils n’ont aucune perspective pacifique, on ne peut pas leur donner tort de choisir la solution militaire.
En effet, le HAMAS et les extrémistes palestiniens jouent sur l’absence de perspective de paix pour dire que la seule perspective viable pour eux est la destruction d’Israël. Israël joue donc leur jeu en n’offrant aucune perspective de paix.
Si Israël proposait et s’engageait aux yeux de tous dans une paix crédible permettant aux Palestiniens de vivre dignement, nul doute que, rapidement, beaucoup de palestiniens choisiraient de renverser des gouvernements qui leur pourrissent la vie en refusant cette paix.
(*) Daladier à Munich, c’est exactement l’inverse : ils ont fait la paix car ils avaient peur d’un adversaire trop fort pour eux. Ici, il s’agit d’imposer la paix à un adversaire qui n’a de toute les manières pas les moyens de s’y opposer.
(*) Sur le bombardement de Daesh par les occidentaux :
Primo : c’était une énorme connerie, dont on paye les conséquences,
Deuxio : il y avait une perspective politique, qui était de laisser gouverner un autre parti que Daesch. Perspective qui était largement acceptable par une majorité de la population locale.
(*) Peu importe qu’il s’agisse d’une solution à 1, 2 , 3 États ou je ne sais pas quoi.
Mais il n’est pas possible de maintenir des millions de civils dans une situation transitoire de réfugiés de guerre, alors que la guerre dans sa phase active est finie depuis plus de 50 ans !
@ Vincent
[Je me permets de vous retranscrire un échange que j’ai eu sur internet, avec un défenseur d’Israël (par ailleurs quelqu’un de brillant et cultivé). J’aimerais avoir vos avis dessus. Mes arguments sont ils réellement pertinents ?]
Je pense que dans votre argumentation initiale vous oubliez un paramètre : Israël a bien défini ce que serait pour lui la paix. Ce serait l’émigration des Palestiniens vers d’autres pays, laissant les territoires libres pour la colonisation israélienne. La vulgate israélienne est très claire à cet égard. L’argument que vous pouvez entendre chez l’Israélien de la rue, c’est « les Palestiniens ont déjà plusieurs Etats (la Jordanie, le Liban) alors que les juifs nous n’avons qu’Israël ». Et lorsque l’extrême droite parle de « vider la bande de Gaza de ses habitants », ou de rogner lentement le territoire de la Cisjordanie en installant des colonies pour rendre la vie des Palestiniens impossible, c’est cela qu’ils ont en tête, et une large part de l’opinion israélienne les suit.
Il ne faut jamais oublier que la fondation de l’Etat d’Israël est inséparable de l’expulsion des Palestiniens de leurs foyers en 1948. Et que cet acte fondateur n’a jamais été renié ni par la gauche, ni par la droite israélienne. Pourquoi ne pas recommencer ?
La question n’est pas de savoir si Israël veut ou non la paix. Bien sûr, Israël veut la paix – comme tout le monde d’ailleurs. Mais Israël veut la paix A SES TERMES. Et ces termes sont incompatibles avec les aspirations des Palestiniens. C’est pour cette raison que les « propositions de paix » d’Olmert ou de Barak, qui impliquaient pour les Palestiniens de renoncer à l’ensemble de leurs revendications avec en échange de vagues promesses, ne pouvaient qu’être rejetées. Ni Olmert, ni Barak ne s’attendaient d’ailleurs à ce qu’elles soient acceptées, et voyaient cela comme un pur exercice de propagande destiné à l’opinion internationale.
Le problème est que ce projet politique demeure, au niveau international, un “non dit”.
Israël sait parfaitement que les déportations massives sont un crime contre l’humanité qui ne sera jamais toléré par la communauté internationale.
D’ailleurs, mon interlocuteur, quand je lui ai dit qu’Israël n’avait aucun projet de paix, ne m’a jamais répondu : “si, le projet de paix est la déportation des palestiniens”.
S’ils ont un projet de paix, mais qu’ils ont tellement honte de leur projet qu’ils n’osent même pas l’évoquer, c’est bien qu’en réalité, ils n’ont aucun projet “sérieux” de paix…
@ Vincent
[Le problème est que ce projet politique demeure, au niveau international, un “non dit”. Israël sait parfaitement que les déportations massives sont un crime contre l’humanité qui ne sera jamais toléré par la communauté internationale.]
En tout cas, pas si c’est assumé publiquement. Par contre, si vous rendez les contexte invivable, en détruisant logements et infrastructures et en affamant la population jusqu’à ce qu’elle parte, la communauté internationale regardera ailleurs. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui.
Mais vous avez raison, ce projet est un grand “non dit” – ou du moins l’était jusqu’à il y a pas si longtemps – de la politique israélienne. Lorsque vous discutez avec des Israéliens et que vous leur demandez comment ils voient la paix, ils vous décrivent une sorte de monde irréel ou les Palestiniens auraient disparu par art de magie, sans qu’on vous explique jamais par quel moyen on les aurait fait disparaître. Mais depuis quelques mois, ce “non dit” est devenu de plus en plus un “dit”. Lorsqu’on entend les politiciens israéliens aujourd’hui – et malheureusement les médias occidentaux ne citent guère déclarations les plus extrémistes – il ne peut y avoir de doutes quant au “projet de paix” qui les sous-tend. Ehoud Olmert, dans la tribune cité dans mon article, le dit clairement: “Quand le chef du conseil régional de Judée-Samarie, Yossi Dagan, déclare que les villages palestiniens doivent être détruits, il lance un appel au génocide.”
Israel est un vecteur d’espoir et un exemple à suivre pour ceux qui ne s’identifient pas au sein des états-nations actuels. Il est la preuve qu’il est possible au XXIe siècle de former un État et de vaincre les acteurs qui contesteraient l’existence de l’état, qu’importe les moyens, la fin les justifiant.
Vous parlez de génocide quand il faudrait parler de la naissance d’une nation.
Quels sont les autres états qui sont légitimes à priver Israel des outils qu’ils ont tous utiliser pour se constituer et rendre irréfutable la légitimité de l’état à l’intérieur de ses frontières ? La France qui a expulsé de nombreux alsaciens après 1918, mis des musulmans dans des camps pour traiter les evenements qui ont eu lieu au sein du département d’Algérie ? Les États-unis qui ont considéré nuls et non avenus les traités noués les britanniques avec les tribus indiennes pour empecher la colonisation au dela des Appalaches, ainsi que les accords qu’ils ont eux meme signé par la suite, sans parler des annexations de territoires de l’empire mexicain par la force et l’expropriation des anciens mexicains. Le Bresil avec une histoire similaire doublée d’une mise en esclavage des indigènes ? L’Algerie du FLN qui a expulsé les descendants de colons et maté un mouvement révolutionnaire dans les années 90 ? La Turquie qui n’a pu naitre qu’en detruisant irreversiblement le systeme multiculturel du millet en expulsant ou exterminant Grecs et Arméniens, et qui nie l’identité kurde ? Le Japon qui a tenté de japoniser Formosa et la peninsule coréenne ainsi que la Manchurie ? L’Indonésie qui occupe une partie de la Papouasie ? L’Inde qui maintient le Cachemire sous état d’urgence, déplace et discriminent les populations ? Le Pakistan qui a tenté de guarder le Bangladesh ? La Chine qui apres la victoire des communistes a etendue son territoire en integrant le Turkmenistan oriental, surveille actuellement les Ouyghurs, les rééduquent, les déplacent dans d’autres provinces pour les faire travailler en usines ? Le Mali qui tente de guarder la main sur l’Azawad ? Le Nigéria qui a empeché une de ses provinces de prendre son indépendance en provoquant l’une des premieres crises humanitaires hautement télémédiatisé ?
Qui parmi les pays qui aujourd’hui ont une base industrielle conséquente ou une population importante aurait la légimité de critiquer un état qui se forme sans pour autant renier le procédé qui leur a eux-même permis d’émerger et de se maintenir. Qu’est-ce qui est différent dans le cas d’Israel ?
Israel ne fait que suivre l’exemple des autres états et en particulier les autres états-nations. Rien de plus.
@ Israel est un état comme les autres
[« Israel est un vecteur d’espoir et un exemple à suivre pour ceux qui ne s’identifient pas au sein des états-nations actuels. Il est la preuve qu’il est possible au XXIe siècle de former un État et de vaincre les acteurs qui contesteraient l’existence de l’état, qu’importe les moyens, la fin les justifiant. » Vous parlez de génocide quand il faudrait parler de la naissance d’une nation. Quels sont les autres états qui sont légitimes à priver Israel des outils qu’ils ont tous utiliser pour se constituer et rendre irréfutable la légitimité de l’état à l’intérieur de ses frontières ? La France qui a expulsé de nombreux alsaciens après 1918, (…)]
Je constate que parmi les exemples que vous citez, il manque celui de l’Allemagne, et pour être précis, du IIIème Reich. Est-ce que nous avons le droit de refuser à Israël les moyens que l’Allemagne a utilisé après 1933 pour « rendre irréfutable la légitimité de l’Etat à l’intérieur de ses frontières » ? Je vous laisse répondre…
Israel sera le modèle de ceux qui demain ne reconnaiteront plus la légitimité de gouverner aux élites qui les dirigeront et souhaiteront reprendre le controle de leurs destinées et s’organiser par eux-mêmes. Tous les moyens qu’Israel utilise seront utilisés par ces derniers.
Je ne peux m’exprimer sur le cas sus-cité car c’est un cas où les agents de l’état sont particulièrement zélés.
@ Israel est un état comme les autres
[Israel sera le modèle de ceux qui demain ne reconnaiteront plus la légitimité de gouverner aux élites qui les dirigeront et souhaiteront reprendre le controle de leurs destinées et s’organiser par eux-mêmes.]
Prenons le cas des “gilets jaunes”, ou celui des “insoumis”, deux mouvements qui aujourd’hui “ne reconnaissent plus la légitimité de gouverner aux élites qui les dirigent et souhaitent reprendre le contrôle de leur destinées et s’organiser par eux-mêmes. Et je n’ai pas l’impression qu’ils prennent Israël pour modèle, au contraire…
L’usage indiscriminé de la force ne peut être un “modèle” en politique, précisément parce que la politique est l’art de se passer de la force – ou du moins de l’utiliser au minimum. N’importe quel imbécile peut vous forcer, arme à la main, a vous donner sa bourse. Mais cela demande beaucoup plus de talent de réussir à faire que les citoyens vous donnent leur bourse sans avoir à sortir le pistolet. Ceux qui “veulent s’organiser eux-mêmes” ont besoin de construire une légitimité qui ne repose pas sur la force…
[Tous les moyens qu’Israel utilise seront utilisés par ces derniers.]
J’en doute.
Cher Descartes,
Peut être que votre pessimisme (que je partage en partie) vient du fait que vous attendriez que les solutions aux problèmes du monde viennent de l'”Occident”, des “dirigeants de l’UE”, du camp des droits de l’Homme et du bien autoproclamé.
En réalité le monde n’a t-il pas déjà basculé ? Son centre de gravité ne penche t-il pas déjà du côté de la Chine, des BRICS+, du “Sud”. Il ne vous aura par exemple pas échappé que seule une minorité d’Etats dans le monde ont condamné les attaques du 7 octobre 2023 comme étant du “terrorisme” et que la Chine en particulier ne l’a pas fait (comme pour l’opération spéciale russe).
Je m’explique d’ailleurs la cruauté explicite et sans phare d’Israël à Gaza par la conscience qu’ont les dirigeants israéliens de ce basculement. Ils savent que c’est maintenant ou jamais, leur brutalité est une fuite en avant. Autrement, à moins qu’ils aient eux aussi basculé mais dans la folie pure et simple, la barbarie dont ils font preuve au vu et au su du monde entier est incompréhensible même de leur point de vue, mettant y compris leurs soutiens mal à l’aise.
Alors certes nous sommes, nous autres français, du mauvais côté du manche et la propagande de plus en plus caricaturale et ostensible à laquelle nous sommes exposés rend parfois difficile de bien prendre la mesure de ce nouvel état du monde.
Pourtant, et je dis ça sans cynisme aucun et avec tout l’effroi et l’horreur que provoquent chaque jour chez moi les atrocités mondiales dont on peut se rendre aujourd’hui spectateur via la technologie, lorsque l’on prend un peu de recul sur l’état du monde, il y a de fortes raisons d’espérer.
Salutations respectueuses,
@ Denis W.
[Peut être que votre pessimisme (que je partage en partie) vient du fait que vous attendriez que les solutions aux problèmes du monde viennent de l’”Occident”, des “dirigeants de l’UE”, du camp des droits de l’Homme et du bien autoproclamé.]
Certainement pas. Je n’ai jamais cru que les « solutions aux problèmes du monde » viendront de tel ou tel pays, de tel ou tel dirigeant. Mes sources intellectuelles se trouvent du côté des Lumières et du matérialisme marxiste. Pour moi, « la solution aux problèmes du monde » ne peut venir que de la connaissance du réel et de son analyse rationnelle.
[En réalité le monde n’a t-il pas déjà basculé ? Son centre de gravité ne penche t-il pas déjà du côté de la Chine, des BRICS+, du “Sud”.]
Cela dépend de ce que vous appelez « le centre de gravité du monde ». Dans les universités chinoises, on enseigne la vision du monde d’Einstein et Planck plutôt que celle de Confucius. Les Brics+ et le « Sud » n’a pas encore produit un philosophe de la taille de Descartes ou de Marx. On trouve plus de Chinois pour prendre comme référence la Révolution française que de Français qui font de même pour la révolution chinoise, et il y a plus de fous qui se prennent pour Napoléon que pour Deng Xiaoping…
La Chine est devenue une puissance, mais elle est devenue une puissance en copiant les modèles occidentaux, et non en suivant ses propres modèles. Le capitalisme d’Etat à la chinoise n’est pas une invention chinoise, pas plus que ne l’est la logique de planification centralisée. Les chinois même l’admettent, qui appellent le parti gouvernant “parti communiste”, et continuent à se référer à Marx, à Lénine, à Staline. Si l’on veut faire une analogie historique – qui vaut ce qu’elle vaut – l’évolution de “l’empire occidental” rappelle celle de l’empire Romain, qui a survécu à sa chute grâce à la romanisation de ceux qui étaient censés être ses fossoyeurs.
[Il ne vous aura par exemple pas échappé que seule une minorité d’Etats dans le monde ont condamné les attaques du 7 octobre 2023 comme étant du “terrorisme” et que la Chine en particulier ne l’a pas fait (comme pour l’opération spéciale russe).]
C’était déjà le cas je crois lors de l’opération d’Entebbe, par exemple… Qu’est ce que cela prouve ?
[Je m’explique d’ailleurs la cruauté explicite et sans phare d’Israël à Gaza par la conscience qu’ont les dirigeants israéliens de ce basculement. Ils savent que c’est maintenant ou jamais, leur brutalité est une fuite en avant. Autrement, à moins qu’ils aient eux aussi basculé mais dans la folie pure et simple, la barbarie dont ils font preuve au vu et au su du monde entier est incompréhensible même de leur point de vue, mettant y compris leurs soutiens mal à l’aise.]
Franchement, je ne vous comprends pas. Si « le basculement a déjà eu lieu », l’intérêt d’Israël est de se mettre en bons termes avec le « nouveau centre de gravité du monde », pas de lui cracher à la face. Si votre théorie était exacte, on devrait au contraire voir les Israéliens chercher à gagner les bonnes grâces de Beijing, des Brics+ ou du « sud »…
[Dans les universités chinoises, on enseigne la vision du monde d’Einstein et Planck plutôt que celle de Confucius. Les Brics+ et le « Sud » n’a pas encore produit un philosophe de la taille de Descartes ou de Marx. On trouve plus de Chinois pour prendre comme référence la Révolution française que de Français qui font de même pour la révolution chinoise, et il y a plus de fous qui se prennent pour Napoléon que pour Deng Xiaoping…
La Chine est devenue une puissance, mais elle est devenue une puissance en copiant les modèles occidentaux, et non en suivant ses propres modèles.]
J’ai ressenti cela très fortement lors de mon récent séjour en Chine. Mais il est réconfortant que les bonnes idées, les bonnes choses qui viennent de l’Occident puissent continuer à vivre ailleurs, tout en se transformant et en s’enrichissant. C’est d’ailleurs la preuve que l’Occident a su produite des valeurs universelles. Mais ici, ces belles choses sont en voie rapide de disparition.
@ Frank
[J’ai ressenti cela très fortement lors de mon récent séjour en Chine. Mais il est réconfortant que les bonnes idées, les bonnes choses qui viennent de l’Occident puissent continuer à vivre ailleurs, tout en se transformant et en s’enrichissant.]
Je ferai le parallèle avec l’empire romain. La chute de l’empire romain d’occident n’équivaut pas à la mort de la « civilisation occidentale »… et la Chine d’aujourd’hui doit à la « civilisation occidentale » qu’à sa propre histoire.
[Mais ici, ces belles choses sont en voie rapide de disparition.]
Je ne sais pas. Je me méfie de la théorie du déclin. Je me demande si on n’assiste pas à un retour de balancier. Depuis la Révolution française, un curieux consensus porte une idée de l’émancipation de l’homme par le savoir et la culture. La bourgeoisie adhère à cette idéologie parce qu’après avoir coupé la tête à l’aristocratie, il lui fallait constituer de nouvelles élites techniques et administratives et former une main d’œuvre qualifiée. Le mouvement ouvrier y adhère parce qu’il voit dans la compréhension du monde un instrument pour le changer.
Mais aujourd’hui, les choses ont changé : les classes intermédiaires sont constitués et n’ont pas envie d’être concurrencées. Et du coup, elles veulent garder pour elles-mêmes les instruments de l’émancipation, autrement dit, le savoir et la culture. Il n’y a donc plus de place pour l’idéologie selon laquelle l’école, les institutions, les organisations collectives doivent chercher à élever vers ce qu’il y a de plus savant, de plus beau. Au contraire, chacun doit être “fier” de ce qu’il est… et le rester. Les Chinois n’en sont pas là. Enfin, pas encore : attendons un peu la constitution d’une classe intermédiaire nombreuse et puissante, et on verra ce qui arrive…
“Dans les universités chinoises, on enseigne la vision du monde d’Einstein et Planck plutôt que celle de Confucius.”
Vous me concédez donc que ce que vous nommez “la connaissance du réel et son analyse rationnel” bat désormais son plein…en Chine plutôt qu’en Occident où Einstein et Planck sont devenus de “vieux mâles blancs oppréssifs”(en forçant le trait).
“La Chine est devenue une puissance, mais elle est devenue une puissance en copiant les modèles occidentaux, et non en suivant ses propres modèles.”
Je vous laisse méditer cette phrase d’une immense profondeur dialectique du général Giap : “Les américains nous font la guerre avec la science, nous leur faisons la guerre scientifiquement”.
“Si « le basculement a déjà eu lieu », l’intérêt d’Israël est de se mettre en bons termes avec le « nouveau centre de gravité du monde », pas de lui cracher à la face. Si votre théorie était exacte, on devrait au contraire voir les Israéliens chercher à gagner les bonnes grâces de Beijing, des Brics+ ou du « sud »…”
Non, car l’impunité de l’Etat d’Israel est entièrement adossée à l’impérialisme US et à son soutien indefectible. Israel est la créature de l’impérialisme britannique d’abord, US ensuite, et le dernier avatar des colonialismes européens. Le déclin de l’empire américain signifie donc à terme la disparition d’Israel (en tout cas sous sa forme d’Etat racialiste conquérant).Quelles chances de survie donneriez vous à l’entité sionniste dans un futur dominé par les BRICS+ intégrant l’Iran, avec pour tête de pont la Chine qui considère l’opération du 7 octobre comme une opération de résistance légitime (crimes de guerre ayant pu être commis à cette occasion mis à part)?Aussi extrêmistes que puissent être les dirigeants messianiques de Tel Aviv, ils ne sont pas pour autant des imbéciles.
@ Denis W.
[Vous me concédez donc que ce que vous nommez “la connaissance du réel et son analyse rationnel” bat désormais son plein…en Chine plutôt qu’en Occident où Einstein et Planck sont devenus de “vieux mâles blancs oppréssifs”(en forçant le trait).]
N’exagérons rien. Dans les cours de physique chez nous on enseigne encore Einstein ou Planck. Ce n’est que dans certaines universités américaines particulièrement frappadingues ou l’on trouve des gens pour proposer qu’on enseigne des « physiques alternatives » féministes…
[Je vous laisse méditer cette phrase d’une immense profondeur dialectique du général Giap : “Les américains nous font la guerre avec la science, nous leur faisons la guerre scientifiquement”.]
Mais Giap était parfaitement conscient que l’idée de faire la guerre « scientifiquement » était une approche éminemment occidentale. Lorsqu’il voulut s’instruire, il n’est pas allé étudier les luttes des paysans chinois ou indochinois, mais les campagnes de Bonaparte – pour qui il avait une grande admiration – et les ouvrages de Clausewitz.
[“Si « le basculement a déjà eu lieu », l’intérêt d’Israël est de se mettre en bons termes avec le « nouveau centre de gravité du monde », pas de lui cracher à la face. Si votre théorie était exacte, on devrait au contraire voir les Israéliens chercher à gagner les bonnes grâces de Beijing, des Brics+ ou du « sud »…” Non, car l’impunité de l’Etat d’Israël est entièrement adossée à l’impérialisme US et à son soutien indéfectible. Israel est la créature de l’impérialisme britannique d’abord, US ensuite, et le dernier avatar des colonialismes européens.]
Mais rien ne l’empêche de devenir demain le meilleur allié des chinois au moyen-orient. Si comme vous le dites « le basculement a déjà eu lieu », l’intérêt d’Israël serait de se rapprocher des nouveaux maîtres du monde, et non de rester collé aux anciens. Comme vous le dites, les dirigeants israéliens ne sont pas des imbéciles.
“Mais Giap était parfaitement conscient que l’idée de faire la guerre « scientifiquement » était une approche éminemment occidentale. Lorsqu’il voulut s’instruire, il n’est pas allé étudier les luttes des paysans chinois ou indochinois, mais les campagnes de Bonaparte – pour qui il avait une grande admiration – et les ouvrages de Clausewitz.”
Qu’entendez vous exactement par “occidental” ? Un lieu géographique ? Une époque historique ? Un certain stade de développement des forces productives ? Le Japon, la Corée du Sud sont-ils des pays occidentaux ? Si la réponse est non, pourquoi ?Le marxisme est certes né en Allemagne au XIXeme siècle, mais il s’est politiquement concrétisé en Russie et aujourd’hui ce sont des pays comme la Chine, Cuba, le Laos, le Vietnam, la Corée du Nord qui le font vivre et le développent (quoiqu’on puisse en penser par ailleurs). Or, si comme le dit Hegel : la vérité c’est le tout du devenir, et sauf à se perdre en recherche d'”origine” ou d'”identité”, en quoi peut on dire que le marxisme est particulièrement “occidental” ?
Bien à vous,
@ Denis W.
[Qu’entendez vous exactement par “occidental” ? Un lieu géographique ? Une époque historique ? Un certain stade de développement des forces productives ? Le Japon, la Corée du Sud sont-ils des pays occidentaux ? Si la réponse est non, pourquoi ?]
Votre question est très pertinente. Pour résumer, j’aurais tendance à dire que ce qu’on appelle « civilisation occidentale » est constitué par l’ensemble culturel héritier de la Grèce et la Rome antiques. Bien sûr, cela laisse quelques incertitudes sur les frontières exactes en termes géographiques, mais en termes culturels et sociaux, cela délimite assez bien la question. Ainsi, la vision cartésienne, qui fonde la science moderne, est clairement « occidentale ». Et lorsque le Japon ou la Corée du Sud l’adoptent, ils « s’occidentalisent » de la même manière que les barbares qui adoptaient le droit romain et le christianisme étaient « romanisés ».
[Le marxisme est certes né en Allemagne au XIXeme siècle, mais il s’est politiquement concrétisé (…)]
Pardon, mais il y là un abus de langage qu’il me semble important de signaler. Une théorie explicative du monde ne se « concrétise » pas. C’est un outil d’analyse et donc d’action sur le réel, rien de plus. La formule que vous utilisez suggère que le marxisme contient un projet politique, qui peut se « concrétiser » par une mise en application. Mais ce n’est pas le cas : le marxisme est une analyse du capitalisme – et plus largement, de la dynamique historique. Il ne contient, quoi qu’on ait cherché à lui faire dire, de projet politique.
[en Russie et aujourd’hui ce sont des pays comme la Chine, Cuba, le Laos, le Vietnam, la Corée du Nord qui le font vivre et le développent (quoiqu’on puisse en penser par ailleurs). Or, si comme le dit Hegel : la vérité c’est le tout du devenir, et sauf à se perdre en recherche d’”origine” ou d’”identité”, en quoi peut on dire que le marxisme est particulièrement “occidental” ?]
En ce qu’il est rendu possible par un développement intellectuel qui a ses racines dans la pensée grecque et latine, et dont dérive le rationalisme moderne. Pourquoi, à votre avis, des pays aussi divers que la Chine, Cuba, le Laos, le Vietnam ou la Corée du Nord font référence à un barbu né à Trèves, mort à Londres, et qui n’a jamais voyagé en dehors du continent européen ? Pourquoi ne trouvent-ils pas dans leur propre passé, dans leur propre histoire intellectuelle, quelqu’un d’équivalent ? Pourquoi leurs stratèges étudient les campagnes de Napoléon plutôt que celles d’un général coréen ou chinois du XIXème siècle ?
Ce n’est pas une question de colonialisme. Certaines de ces civilisations ont été, en leur temps, de grandes civilisations. Elles ont produit des artistes, des penseurs, des ingénieurs, des géographes, fabriqué un corpus culturel, une vision du monde. Mais ce corpus ne semble pas pouvoir répondre aux besoins d’une économie moderne, alors que le corpus « occidental » le fait. Et on a tort d’imaginer que cela tient à la domination coloniale, que ces peuples adoptent une partie de notre civilisation parce que nous les avons dominés. C’est exactement l’inverse : c’est la puissance de cette civilisation qui a permis à une petite île située au nord de l’Europe de dominer la moitié du monde…
Ne vous êtes vous jamais demandé comment se fait-il que des pays aussi petits que la France ou la Grande Bretagne aient réussi à dominer des pays beaucoup plus grands et peuplés qu’eux ?
“Pour résumer, j’aurais tendance à dire que ce qu’on appelle « civilisation occidentale » est constitué par l’ensemble culturel héritier de la Grèce et la Rome antiques.”
Et bien nous voilà bien avancés ! On prend le Maghreb ? La Tripolitaine ? On inclut la Palestine ?
Et le chritianisme ? Augustin d’Hippone : occidental ou pas ?
“le marxisme est une analyse du capitalisme – et plus largement, de la dynamique historique. Il ne contient, quoi qu’on ait cherché à lui faire dire, de projet politique.”
Pardon mais c’est oublier un peu vite le Marx militant politique qui prend la main sur l’Association Internationale des Travailleurs.”Prolétaires de tous les pays unissez vous” cela n’a rien d’une “analyse du capitalisme ou de la dynamique historique”. C’est un mot d’ordre, visant à réaliser l’organisation politique concrête du prolétariat.
C’est encore plus explicite lorsque Marx dit que les penseurs n’ont fait jusque là que penser le monde et qu’il s’agit désormais de le transformer.
“Ne vous êtes vous jamais demandé comment se fait-il que des pays aussi petits que la France ou la Grande Bretagne aient réussi à dominer des pays beaucoup plus grands et peuplés qu’eux ?”
C’est parceque, historiquement c’est à cet endroit que le développement des forces productives et les rapports de production qui en découlent ont été le plus développé dans la période moderne. La civilisation qui a rendu cela possible est elle même l’héritière de civilisations précédentes, faites d’apports complexes et bien malin celui qui peut trouver l’endroit exact où commence un fleuve.
Je considère qu’il faut avoir une vision dialectique (et non géographique) des civilisations. L’idée est interessante que l’on puisse considérer l’héritage civilisationnel comme quelque chose de construit à postériori.
Il me semble en tout cas que Xi Jinping peut bien plus sûrement considérer le “barbu de Trèves” comme son digne ancêtre qu’ Emmanuel Macron.
Bien à vous,
@ Denis W.
[« Pour résumer, j’aurais tendance à dire que ce qu’on appelle « civilisation occidentale » est constitué par l’ensemble culturel héritier de la Grèce et la Rome antiques. » Et bien nous voilà bien avancés ! On prend le Maghreb ? La Tripolitaine ? On inclut la Palestine ? Et le chritianisme ? Augustin d’Hippone : occidental ou pas ?]
Vous voulez à tout prix associer la « civilisation occidentale » à un espace géographique. Mais cet espace a bien entendu évolué. La Constantinople byzantine appartenait à la « civilisation occidentale », Istanbul occupée par les Ottomans n’y appartient pas. Et pourtant, on est dans le même espace… mais pas dans le même temps.
Faut-il inclure le Maghreb ? Cela dépend de l’époque – et accessoirement, de la population considérée. Les européens d’Algérie appartenaient certainement à la « civilisation occidentale » : leur religion, leur science, leur droit, leurs préjugés étaient dans la filiation grécolatine. Les populations autochtones probablement pas.
[« le marxisme est une analyse du capitalisme – et plus largement, de la dynamique historique. Il ne contient, quoi qu’on ait cherché à lui faire dire, de projet politique. » Pardon mais c’est oublier un peu vite le Marx militant politique qui prend la main sur l’Association Internationale des Travailleurs.” (…)]
Si Marx s’était contenté de militer à l’association internationale des travailleurs et que ses écrits se réduisaient à « prolétaires de tous les pays unissez-vous », il n’aurait pas marqué l’histoire de la pensée. Ce qui fait le « marxisme », ce n’est pas le militantisme de Marx, mais ses travaux économiques, philosophiques, historiques. confondre le militantisme de Marx et le marxisme, c’est un peu comme confondre le militantisme communiste de Joliot-Curie et sa théorie de la radioactivité artificielle.
[C’est encore plus explicite lorsque Marx dit que les penseurs n’ont fait jusque là que penser le monde et qu’il s’agit désormais de le transformer.]
Mais si Marx marque l’histoire, ce n’est certainement pas par le fait qu’il ait « transformé le monde », mais par le fait qu’il l’a pensé. Le Marx qui a écrit « Le Capital » a eu infiniment plus d’influence sur l’histoire de l’humanité que le Marx qui militait dans l’Association internationale des travailleurs…
[Je considère qu’il faut avoir une vision dialectique (et non géographique) des civilisations. L’idée est intéressante que l’on puisse considérer l’héritage civilisationnel comme quelque chose de construit à postériori.]
Je suis d’accord. C’est pourquoi pour moi la « civilisation occidentale » est plus une question de filiation qu’une question géographique. Je ne dis pas, pour reprendre votre image, que ce fleuve-là « commence » dans l’antiquité gréco-latine. Il naît peut-être plus loin, mais il passe par là.
[Il me semble en tout cas que Xi Jinping peut bien plus sûrement considérer le “barbu de Trèves” comme son digne ancêtre qu’Emmanuel Macron.]
Oui, de la même manière que Sun Yat Sen, fondateur de la première république chinoise et père de la Chine moderne, se considérait héritier de la Révolution française – dont il disait même dans les années 1920 qu’il était trop tôt pour en évaluer les conséquences. C’est cela qui personnellement m’impressionne: nulle part on n’a modernisé en dehors de la matrice occidentale. C’est un peu comme si la modernité et la civilisation occidentale étaient dialectiquement liées.
Quant à Macron, il est l’héritier de Marx même s’il ne le sait pas. Parce que les monde dans lequel il vit, la pensée dans laquelle il plonge est marquée par sa pensée, que ce soit par l’adhésion ou par le rejet.
@ Descartes
[Mes chers lecteurs, je suis obligé de vous l’avouer, j’ai de plus en plus de mal à écrire mes papiers. Non que j’aie moins d’idées, rassurez-vous, j’en ai toujours autant. Mais ce sont de plus en plus des idées noires, et j’ai toujours quelque scrupule à transmettre mon vague à l’âme à mes lecteurs. Comme disent les anglais, il faut rire avec les autres, mais si on veut pleurer, mieux vaut pleurer tout seul.]
Notre civilisation est sur la pente descendante, c’est un fait. L’analyse du déclin peut-être déprimante dans ce qu’elle a de redondance, mais elle fait partie des clés pour espérer un jour renverser la vapeur. La seule chose dont il me semble que vous devriez vous préoccuper davantage, c’est d’élargir votre audience, car le drame de l’époque c’est l’immense aveuglement de nos concitoyens sur les causes de la situation actuelle. Comment ? Là est la question..
[On a pu voir un homme borné, un notable local sans envergure, un personnage incapable de la moindre introspection, de la moindre prise de distance, du moindre doute quant à ses propres choix]
Je ne retrouve pas la source, mais j’avais entendu à la radio un épisode significatif: se présentant face à une présidente de région, Bayrou s’était annoncé comme suit: “François Bayrou, Maire de Pau”. Quelle misère…
[Mais le profond traumatisme des deux guerres mondiales avait fait naître dans les opinions publiques une exigence d’une autre morale publique. Le « plus jamais ça » a fait de la guerre froide une confrontation éthique autant que militaire, ou chaque bloc, tout en ayant recours aux méthodes les plus brutales, se sentait obligé de maintenir la fiction publique de son adhésion à certaines valeurs. ]
Je pense surtout que la proximité historique, mais aussi la culture historique de manière plus générale, a permis aux opinions publiques non-seulement de penser “plus jamais ça”, mais surtout d’être consciente que ce “ça” était POSSIBLE. Globalement, la culture historique nous enseignant ce dont l’Homme est capable, pour le meilleur et pour le pire, les générations précédentes étaient à la fois conscientes que la volonté politique est capable de miracles, mais aussi d’abominations qui arrivent souvent par un chemin pavé de bonnes intentions. Le problème de nos responsables politiques et plus profondément de nos sociétés, ce n’est pas d’avoir oublié le “plus jamais ça”, c’est d’avoir oublié comment arrivent les catastrophes. Le “plus jamais ça” devient une simple incantation que l’on utilise pour justifier des mesures “morales”.
[Le but, on ne s’en cache pas, est le nettoyage ethnique de la bande de Gaza : « Si nous ne voulons pas que nos petits-enfants et les petits-enfants de nos petits-enfants se battent dans Gaza, nous devons suivre la vision de Trump (…). Nous devons être certains que Gaza est vide des Gazaouis. C’est la seule manière pour que nous ne versions pas notre sang pendant des dizaines d’années. ».]
Je souhaite m’attarder sur ce point. La tragédie de la situation, c’est que cette réflexion, aussi atroce et amorale soit-elle, n’est pas tout à fait fausse. Attention, elle ne justifie rien, elle n’enlève rien au fait que les gouvernements Israeliens successifs et à travers eux, les occidentaux qui ont cautionné ces politiques sont directement responsables de la situation actuelle. Ceci étant dit, la question est donc la suivante: aujourd’hui, l’état d’Israel a t’il d’autres alternatives pour sa sécurité que le nettoyage de la bande de Gaza, après avoir généré plusieurs générations de martyrs ?
La question se posait probablement même avant le 7 octobre. L’aspect sacrificiel des attaques du Hamas du 7 octobre me semble indubitable, pour une raison simple, celle de la prise d’otages de masse d’israéliens (et de la scénarisation de leur restitution au compte-goutte) ET de gazaouis comme bouclier humain. La gestion de la question des otages me semble incompatible avec un “coup d’éclat” militaire qui aurait dérapé.
[Et quelle est la réaction des « grandes démocraties » ? Que fait cette Union européenne, qu’on nous présente comme une « union des valeurs » ? Du bavardage.]
La moindre des choses serait en effet de ne pas se retrouver associé à cette entreprise de destruction menée par Israel, particulièrement en stoppant les livraisons d’armes. En revanche, je suis très sceptique sur l’idée qui serait de prétendre arriver à peser vers une médiation ou une résolution même partielle du conflit. J’ai peur que l’engrenage tragique ne soit trop avancé pour que le conflit ne se résolve autrement que par la destruction de l’un des deux protagonistes. Le problème de la posture occidentale et Française dans cette histoire, selon moi, n’est pas tant dans le fait de ne pas aider les gazaouis que dans celui d’être une force d’appui objective (commerciale en particulier) du régime Israélien. Quand on ne peut pas espérer régler un problème, essayons à minima de garder les mains propres. Authentiquement propres, pas juste en mots. Il faut dire à Israel: c’est VOTRE merdier, vous avez décidé que l’histoire irait en ce sens, maintenant assumez, et payez-en le prix en termes d’isolement. C’est un positionnement ferme mais qui n’a rien à voir avec le soutien au Hamas que l’on rencontre fréquemment à l’extrême gauche. Cette position me semblerait tenable avec un minimum de courage politique…
[La seule chose qu’Orwell n’ait pas anticipée – et elle n’était pas facile à voir dans le monde de 1949, quand il écrit son roman – c’est que pour imposer cette société, point besoin d’un dictateur. Que les matraques et les exécutions n’étaient nullement nécessaires, du moins pas massivement.]
Je n’ai pas souvenir qu’il soit question de dictateur, de matraques ou d’exécutions dans 1984. Seul le ministère de l’Amour s’occupe de rééduquer les récalcitrants avant leur élimination, chose que la sphère médiatique réalise de manière fort efficace: si une personnalité publique sort des clous, vous la verrez revenir faire son méa culpa écolo-responsable à la télévision dans les 24h qui suivent (rappelez-vous de l’affaire de l’entraineur du PSG qui raillait les critiques de déplacement de son équipe en avion). Ceci étant dit, depuis quelque temps, cette vague d’autoflagellation semble s’être un peu tassée. Je pense que l’apparition de médias de droite reac type Europe 1 / CNEWS, en apportant un soutien franc aux personnes qui vont contre la doxa dominante (voire en en faisant leur fond de commerce) fait que l’impénitant n’est plus contraint de passer en confession publique pour garder un temps d’antenne.
[Que l’éclatement de la société sous la pression d’une concurrence exacerbée ne peut conduire qu’à la recherche d’un ennemi extérieur, seul élément capable de rétablir une forme d’unité.]
Je ne suis pas d’accord. Selon moi, la recherche d’un ennemi extérieur est un élément qui permet de justifier la coercition, pas l’unité. Je ne crois pas ni le COVID ni la “menace Russe” ni l’entrisme islamiste ne contribuent à resouder la nation, au contraire…
[Que l’incertitude créée par ce type de société ne peut générer en réaction qu’une demande de surveillance, de contrôle. Que cette concurrence pousse à terme à l’abandon de tout ce qui ne contribue pas directement à la performance immédiate. Pourquoi chercher une expression soignée, une langue riche, alors que six-cents mots suffisent pour négocier un contrat ou répondre à un client ?]
Il y a une subtilité dans ce raisonnement qui m’interroge. Si l’on considère que la concurrence pousse à enlever tout le “gras” (au sens positif du terme !) dans les relations sociales et professionnelles, on devrait observer une augmentation des performances et de la productivité. Or il me semble que c’est loin d’être le cas. On arrive à un stade où la perte de maîtrise de la langue, des usages les plus élémentaires, sont plutôt à l’origine d’une nette dégradation des performances. Parce que contrairement à 1984 où la langue est soumise à une ingénierie, elle est au contraire, dans notre société, laissée en état de dégénérescence non contrôlée.
[En 1930, les populistes étaient l’instrument de la bourgeoisie pour contrer les partis ouvriers. Aujourd’hui, ils sont au contraire perçus comme l’instrument pour les couches populaires de contester le pouvoir du bloc dominant. On n’est donc pas sur un retour en arrière, mais sur une fuite en avant. ]
Certes. Mais on a quand même un retour de l’idée de Nation, qui était carrément tabou jusqu’à récemment. On sait que l’opinion des peuples peut se retourner très vite dès lors que la conscience de leurs intérêts se modifie (l’exemple du changement de mentalité concernant le nucléaire me semble un exemple parlant). Aujourd’hui il y a un déclassement tangible pour toute une partie des classes intermédiaires, qui par effet de vases communicants rejoint la classe populaire dans ses préoccupations. Ceci se matérialise fort bien par des phénomènes tout à fait nouveaux que sont l’augmentation très significative du vote RN chez les cadres ou au sein de la fonction publique. Et nous ne sommes qu’au tout début du processus, parce que les inévitables (dans le contexte actuel) mesures de restriction budgétaire, couplées aux impératifs de rentabilité croissants du secteur privé entraînent un formidable effet ciseau qui va laminer tous les bénéficiaires de la dépense publique. Même au niveau des entreprises: si vous êtes une entreprise française et que vous subsistez dans le contexte international de libre-échange grâce aux différentes subventions et exonérations fiscales, si celles-ci s’arrêtent ou ne suffisent plus à compenser l’écart des coûts de produciton, votre seule planche de salut, c’est le protectionnisme.
[Difficile de ne pas évoquer à ce propos le naufrage de la « génération morale », celle qui domine la scène intellectuelle dans les années 1980 et 90. Celle qui, par idéalisme quelquefois, par anticommunisme souvent, a accompagné la révolution néolibérale sans se poser des questions.]
La question de savoir comment cette génération en est arrivée à un tel point d’inconscience et d’irresponsabilité est assez complexe. Selon moi, à partir de la fin des années 60, il y a une sur-représentation des jeunes dans la société, idéalistes et arrogants comme sont les jeunes, mais ils sont très nombreux, et leurs ainés, hantés par les deux guerres qu’ils n’ont sû éviter, se sentent illégitimes à leur donner des leçons sur la conduite du monde.. Ainsi s’enkyste, dans les habitudes d’une génération aux mains forcément propres (au sens où l’entends Péguy) cet état d’adulescence permanent que nul adulte dans la pièce n’est venu contrarier. Résultat, le “jouir sans entrave” est devenu l’alpha et l’omega d’une génération qui n’a pas été confrontée au tragiqueet à l’interdit. Le principe de plaisir a gagné, la vision à long terme et la rationnalité ont perdu, et le résultat est sous nos yeux.
[Difficile aussi de ne pas évoquer ceux qui, à l’inverse, cherchent à exploiter les réflexes communautaristes. Les politiciens qui s’engagent dans cette voie – souvent à droite pour capter le « vote juif », plutôt à gauche pour capter le « vote musulman » – nous préparent des lendemains qui pleurent. Ils prennent le risque de faire apparaître un « vote communautaire » qui à terme les asservira eux-mêmes à la dynamique du conflit entre communautés.]
Je pense que l’objectif à droite ne se limite pas à “capter le vote juif”, mais plus généralement à capter le vote anti-islam d’où qu’il vienne (qui est un sentiment qui dépasse de beaucoup la communauté juive). J’hésiterais peut-être un peu plus à en faire un réflexe communautariste, alors que les manoeuvres de LFI sont quant à elles sans ambiguités: le racolage antisémite s’adresse exclusivement à la communauté islamique, et pas aux antisémites “canal historique” d’extrême droite.
[Finalement, cher lecteur, j’aurais mieux fait d’écrire un article sur l’audition de Bayrou. Parce que Bayrou, aussi désastreux soit-il, est mortel. Dans quelques années, il aura disparu du paysage et ce sera tant mieux pour nous tous. On peut donc, à ce propos, rester optimiste. Tandis que le génocide qui a lieu aujourd’hui à Gaza sera, lui, une tache indélébile sur notre front à tous.]
Je ne partage pas. Le droit le plus élémentaire d’un citoyen dans une démocratie est d’avoir la liberté de ne pas se montrer solidaire de la politique menée par le gouvernement dont il dépend. Je suis résolument contre cette tendance actuelle qui revient à considérer qu’une personne, parce qu’elle est de nationalité Russe, Israélienne ou autre, serait de facto responsable des actes de son gouvernement, et à la punir pour cette seule cause, comme on l’a fait pour les Russes aux JO, comme LFI l’a réclamé pour les Israéliens. Je ne ressent aucunement de tache indélébile sur mon front suite au régime de Vichy ou à la guerre d’Algérie. Ce discours est exactement celui qui nous mène vers une logique de repentance dont il est extrêmement compliqué de se dégager par la suite.
[PS: depuis la publication de ce papier, j’ai pu lire une excellente tribune de Ehoud Olmert, ancien premier ministre d’Israel (…) Tout est dit.]
Effectivement.
@ P2R
[Notre civilisation est sur la pente descendante, c’est un fait.]
Je ne sais pas ce que vous appelez « notre civilisation ». Franchement, ce discours décliniste commence à m’énerver. La Chine a beau devenir une puissance, elle ne le devient qu’en adoptant les idées, les sciences, les techniques, les méthodes que nous avons inventées. Connaissez-vous un Einstein, un Freud, un Marx chinois ? Non ? Alors, où est notre « pente descendante » ?
Oui, bien sur, je souffre du fait qu’il n’y a plus de poètes. Oui, bien sûr, je souffre du fait que le cinéma aujourd’hui montre des personnages qui se regardent le nombril – quand ce ne sont pas des navets infects, de ne plus voir à l’horizon un Chaplin, un Renoir, un Woody Allen, un Polanski. Oui, je souffre de voir nos jeunes perdre le temps dans une école devenue garderie, avec l’espoir d’intégrer une université devenue garderie. Mais tout cela n’a rien à voir avec « notre civilisation ». Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, « notre civilisation » était composée d’une toute petite élite et d’une énorme masse paysanne ignorante.
[Je pense surtout que la proximité historique, mais aussi la culture historique de manière plus générale, a permis aux opinions publiques non-seulement de penser “plus jamais ça”, mais surtout d’être consciente que ce “ça” était POSSIBLE.]
Je ne pense pas que les « opinions publiques » fusent aient eu plus de culture historique en 1945 qu’aujourd’hui. Ce n’était pas la culture historique qui leur permettait de penser que « ça » était possible, c’était l’expérience.
[Le problème de nos responsables politiques et plus profondément de nos sociétés, ce n’est pas d’avoir oublié le “plus jamais ça”, c’est d’avoir oublié comment arrivent les catastrophes. Le “plus jamais ça” devient une simple incantation que l’on utilise pour justifier des mesures “morales”.]
Je pense que vous idéalisez le passé. La génération qui était adulte en 1914 était-elle consciente du « comment arrivent les catastrophes » alors qu’elle allait comme un somnambule vers la première guerre mondiale ? J’en doute…
[« Le but, on ne s’en cache pas, est le nettoyage ethnique de la bande de Gaza : « Si nous ne voulons pas que nos petits-enfants et les petits-enfants de nos petits-enfants se battent dans Gaza, nous devons suivre la vision de Trump (…). Nous devons être certains que Gaza est vide des Gazaouis. C’est la seule manière pour que nous ne versions pas notre sang pendant des dizaines d’années. ». » Je souhaite m’attarder sur ce point. La tragédie de la situation, c’est que cette réflexion, aussi atroce et amorale soit-elle, n’est pas tout à fait fausse.]
Vous croyez ? Dans ce cas, la réflexion d’un Palestinien qui dirait « Nous devons nous assurer qu’Israël est vidé d’Israéliens, c’est la seule manière pour que nous ne versions pas notre sang pendant des dizaines d’années » serait tout aussi vraie. Et que dire du Français qui, en 1945, aurait dit que la seule manière d’éviter « de verser notre sang pendant des dizaines d’années » aurait été de vider l’Allemagne d’Allemands ? Cette affirmation était-elle « pas tout à fait fausse » ?
[Ceci étant dit, la question est donc la suivante: aujourd’hui, l’état d’Israel a t’il d’autres alternatives pour sa sécurité que le nettoyage de la bande de Gaza, après avoir généré plusieurs générations de martyrs ?]
Posez-vous la question symétrique : les Palestiniens ont-ils d’autres alternatives pour leur sécurité que le nettoyage d’Israël après avoir généré plusieurs générations de martyrs ? Votre raisonnement aboutit finalement à dire que chaque peuple a raison de vouloir exterminer l’autre. Cela ne nous avance pas beaucoup…
[La moindre des choses serait en effet de ne pas se retrouver associé à cette entreprise de destruction menée par Israël, particulièrement en stoppant les livraisons d’armes. En revanche, je suis très sceptique sur l’idée qui serait de prétendre arriver à peser vers une médiation ou une résolution même partielle du conflit. J’ai peur que l’engrenage tragique ne soit trop avancé pour que le conflit ne se résolve autrement que par la destruction de l’un des deux protagonistes.]
Ce n’est pas une raison pour ne pas utiliser tous les instruments à notre portée pour rechercher une autre issue. Je suis comme vous pessimiste quant aux possibilités d’aboutir à une « bonne solution », mais cela ne nous dispense pas d’essayer
[Le problème de la posture occidentale et Française dans cette histoire, selon moi, n’est pas tant dans le fait de ne pas aider les gazaouis que dans celui d’être une force d’appui objective (commerciale en particulier) du régime Israélien. Quand on ne peut pas espérer régler un problème, essayons à minima de garder les mains propres. Authentiquement propres, pas juste en mots.]
Tout à fait d’accord
[Il faut dire à Israel: c’est VOTRE merdier, vous avez décidé que l’histoire irait en ce sens, maintenant assumez, et payez-en le prix en termes d’isolement. C’est un positionnement ferme mais qui n’a rien à voir avec le soutien au Hamas que l’on rencontre fréquemment à l’extrême gauche. Cette position me semblerait tenable avec un minimum de courage politique…]
Une denrée rare, par les temps qui courent…
[Je ne suis pas d’accord. Selon moi, la recherche d’un ennemi extérieur est un élément qui permet de justifier la coercition, pas l’unité. Je ne crois pas ni le COVID ni la “menace Russe” ni l’entrisme islamiste ne contribuent à resouder la nation, au contraire…]
Je n’ai pas écrit « resouder la nation », j’ai écrit « rétablir une forme d’unité ». Nuance. Je pense que le COVID, la « menace russe » ou la dénonciation de l’entrisme islamiste permettent de créer une forme de consensus sur des politiques, de gestes ou des mesures qui autrement provoqueraient une profonde fracture dans l’opinion.
[Il y a une subtilité dans ce raisonnement qui m’interroge. Si l’on considère que la concurrence pousse à enlever tout le “gras” (au sens positif du terme !) dans les relations sociales et professionnelles, on devrait observer une augmentation des performances et de la productivité. Or il me semble que c’est loin d’être le cas.]
Pas nécessairement. D’abord, ce que le capital recherche en mettant en concurrence les individus ce n’est pas d’augmenter la productivité, mais d’augmenter le PROFIT. Et de ce point de vue, les faits sont assez éloquents : depuis quarante ans, les revenus du capital ont explosé. Ensuite, il ne faut pas oublier que le marché est myope. Il peut parfaitement compromettre le long terme en recherchant la performance à court terme.
[On arrive à un stade où la perte de maîtrise de la langue, des usages les plus élémentaires, sont plutôt à l’origine d’une nette dégradation des performances.]
Franchement, je ne vois pas d’exemple. Du moins si l’on regarde la « performance » du point de vue du capital.
[Certes. Mais on a quand même un retour de l’idée de Nation, qui était carrément tabou jusqu’à récemment. On sait que l’opinion des peuples peut se retourner très vite dès lors que la conscience de leurs intérêts se modifie (l’exemple du changement de mentalité concernant le nucléaire me semble un exemple parlant). Aujourd’hui il y a un déclassement tangible pour toute une partie des classes intermédiaires, qui par effet de vases communicants rejoint la classe populaire dans ses préoccupations.]
Pourriez-vous développer ce point ? Quelle est cette partie des « classes intermédiaires » dont les préoccupations rejoindraient celles des classes populaires ? Ce ne sont certainement pas les classes intermédiaires qu’on pourrait appeler « supérieures ». Et pour ce qui concerne les classes moyennes qu’on pourrait appeler « inférieures », celles dont le revenu est plus faible et qui sont le plus menacées de déclassement, leur préoccupation dominante est précisément de se distinguer des classes populaires.
[Ceci se matérialise fort bien par des phénomènes tout à fait nouveaux que sont l’augmentation très significative du vote RN chez les cadres ou au sein de la fonction publique.]
Je crains malheureusement que cela traduise surtout un virage du RN vers les classes intermédiaires plus qu’un virage des classes intermédiaires vers les couches populaires…
[Et nous ne sommes qu’au tout début du processus, parce que les inévitables (dans le contexte actuel) mesures de restriction budgétaire, couplées aux impératifs de rentabilité croissants du secteur privé entraînent un formidable effet ciseau qui va laminer tous les bénéficiaires de la dépense publique. Même au niveau des entreprises : si vous êtes une entreprise française et que vous subsistez dans le contexte international de libre-échange grâce aux différentes subventions et exonérations fiscales, si celles-ci s’arrêtent ou ne suffisent plus à compenser l’écart des coûts de production, votre seule planche de salut, c’est le protectionnisme.]
Pas du tout : votre autre planche de salut, c’est la délocalisation… Mais si je suis votre raisonnement, la baisse de la dépense publique devrait laminer bourgeois comme prolétaires, en passant par les classes intermédiaires. Dans ces conditions, pourquoi les classes intermédiaires se rapprocheraient des couches populaires ? Qu’ont-elles à gagner ?
[La question de savoir comment cette génération en est arrivée à un tel point d’inconscience et d’irresponsabilité est assez complexe. Selon moi, à partir de la fin des années 60, il y a une sur-représentation des jeunes dans la société, idéalistes et arrogants comme sont les jeunes, mais ils sont très nombreux, et leurs ainés, hantés par les deux guerres qu’ils n’ont sû éviter, se sentent illégitimes à leur donner des leçons sur la conduite du monde…]
Je ne pense pas que ce soit une question idéologique. Je pense surtout que la génération issue de la guerre était par force une génération de bâtisseurs, parce qu’il avait fallu reconstruire le pays. La génération suivante est une génération d’héritiers, qui a reçu le fruit du travail de ses aînés comme un dû, sans avoir à se battre pour le conquérir. C’est d’ailleurs un schéma classique : celui d’une génération qui arrive à bâtir une fortune, que ses enfants dilapident.
[Je ne partage pas. Le droit le plus élémentaire d’un citoyen dans une démocratie est d’avoir la liberté de ne pas se montrer solidaire de la politique menée par le gouvernement dont il dépend. Je suis résolument contre cette tendance actuelle qui revient à considérer qu’une personne, parce qu’elle est de nationalité Russe, Israélienne ou autre, serait de facto responsable des actes de son gouvernement, et à la punir pour cette seule cause, comme on l’a fait pour les Russes aux JO, comme LFI l’a réclamé pour les Israéliens. Je ne ressent aucunement de tache indélébile sur mon front suite au régime de Vichy ou à la guerre d’Algérie. Ce discours est exactement celui qui nous mène vers une logique de repentance dont il est extrêmement compliqué de se dégager par la suite.]
J’ai bien entendu exagéré le trait pour marquer le point. La politique faite par le gouvernement français n’engage que ceux qui le soutiennent et ceux qui sont restés silencieux. Ceux qui l’ont dénoncée ou qui s’y sont opposés avec les moyens à leur disposition n’ont pas à assumer la « marque indélébile » en question. Cela étant dit, je n’irait pas aussi loin que vous. Si en tant que Français je partage la gloire de Napoléon ou de De Gaulle alors que je n’ai rien fait pour les soutenir, je suis obligé aussi d’assumer une partie de la honte de Pétain ou de Mollet même si je n’ai rien fait pour les aider…
@ Descartes
[Je ne sais pas ce que vous appelez « notre civilisation »]
Vous avez raison, j’ai eu tendance à confondre l’Europe géographique avec la civilisation issue de son histoire. Il n’est pas exclu que la civilisation héritière de l’histoire Européenne, de l’empire Romain aux Lumières, ne se perpétue ailleurs, mais je n’ai pas assez voyagé pour en attester. en tout cas, chez nous, elle se casse sévèrement la gueule.
[ Franchement, ce discours décliniste commence à m’énerver. La Chine a beau devenir une puissance, elle ne le devient qu’en adoptant les idées, les sciences, les techniques, les méthodes que nous avons inventées. Connaissez-vous un Einstein, un Freud, un Marx chinois ? Non ? Alors, où est notre « pente descendante » ?]
“Il faut se rendre à l’évidence, ô ma reine, ton peuple est décadent ! (…)
– Mon peuple a construit les pyramides ! La tour de Pharos ! Les temples ! Les obélisques !
– C’est vieux tout ça. Maintenant il est tout juste bon à attendre la crue du Nil.”
(Echange fictif entre César et Cléopatre, Astérix chez Cléopatre.)
Quel est le rapport entre le fait que la Chine construise son avenir sur les réussites de l’occident, et le fait que l’occident décline ? Vous faites une analyse statique alors que la question du déclin est dynamique. Où sont aujourd’hui les meilleures écoles, les meilleurs chercheurs, l’audace, la créativité ? En Europe ?
[ Mais tout cela n’a rien à voir avec « notre civilisation ». Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, « notre civilisation » était composée d’une toute petite élite et d’une énorme masse paysanne ignorante.]
Une civilisation, c’est avant tout, et avant d’être un peuple et sa composition sociale, des principes qui régissent une société. Et elle ne tient que par la valeur qu’on accorde à ces principes. Peut-être qu’hier il y avait une énorme masse paysanne ignorante, mais la supériorité des principes qui régissent la civilisation occidentale était écrasante. Aujourd’hui non.
[Je pense que vous idéalisez le passé. La génération qui était adulte en 1914 était-elle consciente du « comment arrivent les catastrophes » alors qu’elle allait comme un somnambule vers la première guerre mondiale ? J’en doute…]
La génération de 1914 aurait eu grand mal à être consciente de ce qui l’attendait, en ce que la première guerre mondiale (tout comme la deuxième) ont été des “premières historiques”, l’une par l’industrialisation de la guerre, l’autre par l’industrialisation de l’extermination d’un peuple.
[Vous croyez ? Dans ce cas, la réflexion d’un Palestinien qui dirait « Nous devons nous assurer qu’Israël est vidé d’Israéliens, c’est la seule manière pour que nous ne versions pas notre sang pendant des dizaines d’années » serait tout aussi vraie.]
Tout à fait. Je crois qu’on doit être assez proche de ce que pense un palestinien lambda.
[Et que dire du Français qui, en 1945, aurait dit que la seule manière d’éviter « de verser notre sang pendant des dizaines d’années » aurait été de vider l’Allemagne d’Allemands ? Cette affirmation était-elle « pas tout à fait fausse » ?]
Le terme “vider” est certainement inadapté. En revanche les alliés étaient tout à fait persuadés qu’il fallait des massacres de masse et rendre très concret le projet de réduire l’Allemagne et le Japon à un petit tas de cendres fumantes de manière à faire comprendre aux survivants qu’ils avaient de la chance d’être tombés sur des vainqueurs aussi cléments. La logique est la même, selon moi, que celle qui habite Israël aujourd’hui: passé un certain stade, il faut aller jusqu’au bout, broyer l’adversaire, provoquer un choc tel qu’il en reste pétrifié pendant des décennies.
[Posez-vous la question symétrique : les Palestiniens ont-ils d’autres alternatives pour leur sécurité que le nettoyage d’Israël après avoir généré plusieurs générations de martyrs ? Votre raisonnement aboutit finalement à dire que chaque peuple a raison de vouloir exterminer l’autre. Cela ne nous avance pas beaucoup…]
Je ne dis pas qu’ils ont raison, je dis qu’ils n’ont pas d’autre alternative, au point où nous en sommes, que d’espérer anéantir l’autre. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre la logique tragique. Israël/Gaza delenda est, biffez la mention inutile selon votre camp..
[Ce n’est pas une raison pour ne pas utiliser tous les instruments à notre portée pour rechercher une autre issue. Je suis comme vous pessimiste quant aux possibilités d’aboutir à une « bonne solution », mais cela ne nous dispense pas d’essayer]
Vous avez raison. Et la première des choses est de s’abstenir de tout soutien aux dynamiques de guerre d’une part, et d’assister les civils d’autre part.
La seule bonne “solution” qui permettrait de sortir du tragique serait un renversement brutal du pouvoir Israelien de l’intérieur, par les Israëliens eux-mêmes, et l’arrivée au manette d’un gouvernement qui juge et condamne Netanyaou pour ses crimes, OU symétriquement un mouvement de révolte des Palestiniens contre le Hamas qui mène à la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages restants. Autant dire qu’on a plus de chance de voir un chameau passer par le chas d’une aiguille.
J’aimerais si possible en parallèle connaître votre interprétation de la gestion de la question des otages par le Hamas ?
[Franchement, je ne vois pas d’exemple. Du moins si l’on regarde la « performance » du point de vue du capital.]
Certes, mais partout ailleurs, c’est criant. Ce n’est pas le capital qui soigne les gens, éduque les enfants et juge les criminels. Et au bout d’un moment, quand le capital n’a plus comme ressources humaines que des crapules stupides et malades, ses performances baissent, selon le raisonnement que vous avez souvent produit dans ces pages.
[Aujourd’hui il y a un déclassement tangible pour toute une partie des classes intermédiaires, qui par effet de vases communicants rejoint la classe populaire dans ses préoccupations. // Pourriez-vous développer ce point ? Quelle est cette partie des « classes intermédiaires » dont les préoccupations rejoindraient celles des classes populaires ? Ce ne sont certainement pas les classes intermédiaires qu’on pourrait appeler « supérieures ». Et pour ce qui concerne les classes moyennes qu’on pourrait appeler « inférieures », celles dont le revenu est plus faible et qui sont le plus menacées de déclassement, leur préoccupation dominante est précisément de se distinguer des classes populaires.]
Je vous avais déjà je crois exposé mon point dans un autre sujet: le déclassement des classes intermédiaires inférieures se produit non pas à l’échelle des individus (classe intermédiaire un jour, classe intermédiaire toujours !), mais au niveau du changement de génération. Les enfants des classes intermédiaires inférieures, dont le capital immatériel est fragile, sont exposés de plein fouet au problème de la surproduction de diplômés du supérieur. Et leurs diplômés ayant moins de valeur que ceux des classes supérieures, ils se retrouvent massivement à occuper des emplois pour lesquels ils sont théoriquement surqualifiés. Le sentiment de déclassement est très réel. Le monde de ces classes intermédiaires inférieures se divise ensuite entre ceux dont les parents ont un capital MATERIEL suffisant pour permettre à leur rejetons professionnellement déclassés de se maintenir un temps dans une zone de confort en terme de pouvoir d’achat et surtout d’habitat en métropole (souvent en logeant leurs enfants chez eux ou dans un appartement leur appartenant) et ceux qui ne le peuvent pas. Ceux-ci sont très nombreux dans les professions de type infirmière, professeur, éducs spé etc, et petits entrepreneurs. Pour ces derniers, les rejetons ont un avantage sur les autres, c’est qu’ils sont restés en contact avec le monde du travail et des classes populaires. La réintégration dans le monde du prolétariat est certes un déclassement, mais pas un choc culturel.
[Je crains malheureusement que cela traduise surtout un virage du RN vers les classes intermédiaires plus qu’un virage des classes intermédiaires vers les couches populaires…]
Je ne crois pas. Le déclassement des cadres est une réalité objectivée (je dois pouvoir vous retrouver ma source). Une partie croissante des cadres ne peut plus vivre dans la ville où ils travaillent, par exemple.
[Pas du tout : votre autre planche de salut, c’est la délocalisation… ]
Pour les entreprises délocalisables uniquement. Toutes les autres par contre (le tourisme, l’hôtellerie restauration, le bâtiment, la logistique, etc), ça fait du monde.
[Mais si je suis votre raisonnement, la baisse de la dépense publique devrait laminer bourgeois comme prolétaires, en passant par les classes intermédiaires.]
Quand je parlais de “laminer les bénéficiaires de la dépense publique”, je ne pensais pas au bourgeois (je ne m’en fais pas pour eux) mais à ce qu’il reste du tissus industriel national qui ne subsiste que grâce aux subventions et exonérations fiscales face à la concurrence des pays à bas coûts de production.
[ Dans ces conditions, pourquoi les classes intermédiaires se rapprocheraient des couches populaires ? Qu’ont-elles à gagner ?]
Pour les classes intermédiaires déclassées, faire payer la trahison des classes supérieures, tout simplement.
@ P2R
[Il n’est pas exclu que la civilisation héritière de l’histoire Européenne, de l’empire Romain aux Lumières, ne se perpétue ailleurs, mais je n’ai pas assez voyagé pour en attester. en tout cas, chez nous, elle se casse sévèrement la gueule.]
Je ne dirais pas ça. J’aurais tendance à penser qu’on revient à ce que pouvait être la situation de la fin du XIXème siècle, c’est-à-dire, avant que les idées généreuses d’extension du savoir et la culture à l’ensemble de la population deviennent dominantes. Ce n’est pas qu’on ait arrêté de lire les grand classiques, ou d’aimer les belles choses, mais le savoir et la culture sont réservés à une petite élite. Le reste du peuple est encouragé à se gaver d’Hanouna ou de films de superhéros.
[Quel est le rapport entre le fait que la Chine construise son avenir sur les réussites de l’occident, et le fait que l’occident décline ? Vous faites une analyse statique alors que la question du déclin est dynamique. Où sont aujourd’hui les meilleures écoles, les meilleurs chercheurs, l’audace, la créativité ? En Europe ?]
Non, bien sûr. Mais il ne faut pas faire du déclin économique et social une question de déclin culturel. Si les meilleures écoles, les meilleurs chercheurs, l’audace et la créativité sont en Chine, ce n’est pas parce que la culture européenne décline, mais parce que l’économie et l’organisation sociale européenne décline.
[Une civilisation, c’est avant tout, et avant d’être un peuple et sa composition sociale, des principes qui régissent une société. Et elle ne tient que par la valeur qu’on accorde à ces principes. Peut-être qu’hier il y avait une énorme masse paysanne ignorante, mais la supériorité des principes qui régissent la civilisation occidentale était écrasante. Aujourd’hui non.]
Mais si, justement. Si la Chine nous dépasse, c’est parce qu’elle applique « les principes qui régissent la civilisation occidentale » mieux que nous-mêmes. Nous sommes ceux qui, à travers de la révolutino néolibérale, avons rompu avec les principes qui ont fait la grandeur de notre civilisation. Les Chinois, eux, les ont conservé…
[« Je pense que vous idéalisez le passé. La génération qui était adulte en 1914 était-elle consciente du « comment arrivent les catastrophes » alors qu’elle allait comme un somnambule vers la première guerre mondiale ? J’en doute… » La génération de 1914 aurait eu grand mal à être consciente de ce qui l’attendait, en ce que la première guerre mondiale (tout comme la deuxième) ont été des “premières historiques”, l’une par l’industrialisation de la guerre, l’autre par l’industrialisation de l’extermination d’un peuple.]
C’était bien mon point !
[« Et que dire du Français qui, en 1945, aurait dit que la seule manière d’éviter « de verser notre sang pendant des dizaines d’années » aurait été de vider l’Allemagne d’Allemands ? Cette affirmation était-elle « pas tout à fait fausse » ? » Le terme “vider” est certainement inadapté. En revanche les alliés étaient tout à fait persuadés qu’il fallait des massacres de masse et rendre très concret le projet de réduire l’Allemagne et le Japon à un petit tas de cendres fumantes de manière à faire comprendre aux survivants qu’ils avaient de la chance d’être tombés sur des vainqueurs aussi cléments.]
Certes. Mais on n’avait pas franchi le pas de se dire qu’il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de survivants. Or, la logique d’Israël est celle-là. Il ne s’agit pas de réduire la bande de Gaza à « un tas de cendres fumantes de manière à faire comprendre aux survivants » quelque chose pour ensuite, les ayant rendus plus sage et pacifiques, les aider à reconstruire un état. Il s’agit de créer des conditions invivables pour les faire partir. A aucun moment les Alliés n’ont pas fait le projet d’en finir avec l’Allemagne en tant qu’Etat, alors qu’Israël ne conçoit pas, au contraire, que les Palestiniens puissent en avoir un…
[Je ne dis pas qu’ils ont raison, je dis qu’ils n’ont pas d’autre alternative, au point où nous en sommes, que d’espérer anéantir l’autre. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre la logique tragique. Israël/Gaza delenda est, biffez la mention inutile selon votre camp…]
Nous sommes d’accord. Et on ne peut sortir de cette « logique tragique » qu’à travers de l’intervention d’une tierce partie.
[Ce n’est pas une raison pour ne pas utiliser tous les instruments à notre portée pour rechercher une autre issue. Je suis comme vous pessimiste quant aux possibilités d’aboutir à une « bonne solution », mais cela ne nous dispense pas d’essayer]
[La seule bonne “solution” qui permettrait de sortir du tragique serait un renversement brutal du pouvoir Israélien de l’intérieur, par les Israéliens eux-mêmes, et l’arrivée au manette d’un gouvernement qui juge et condamne Netanyaou pour ses crimes, OU symétriquement un mouvement de révolte des Palestiniens contre le Hamas qui mène à la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages restants.]
Je peux voir ce que pourrait apporter la chute du gouvernement israélien et son remplacement par un autre prêt à faire la paix – situation par ailleurs très théorique, parce que le pouvoir israélien aujourd’hui représente très bien l’état de l’opinion israélienne. Mais je ne vois pas en quoi une révolte des Palestiniens contre le Hamas et la libération des otages changerait la donne. Au mieux, ce serait un retour au statu quo ante en pire. Non, la seule « bonne » solution serait une pression extrême appliquée par les Etats-Unis et l’UE sur Israël pour faire cesser le massacre et proposer une solution de paix équilibrée. Mais comme vous dites, un chameau aurait moins de difficulté pour passer par le chas d’une aiguille…
[J’aimerais si possible en parallèle connaître votre interprétation de la gestion de la question des otages par le Hamas ?]
Franchement, je n’ai pas d’interprétation à vous proposer. Je suis toujours surpris que la valeur qu’on donne à la vie humaine puisse à ce point varier en fonction des circonstances. Alors que des dizaines de milliers de civils palestiniens sont morts, tout comme quelques centaines de soldats israéliens, on se polarise sur la vie de quelques dizaines de personnes… Ce rapport à la vie humaine reste un mystère pour moi.
[« Franchement, je ne vois pas d’exemple. Du moins si l’on regarde la « performance » du point de vue du capital. » Certes, mais partout ailleurs, c’est criant. Ce n’est pas le capital qui soigne les gens, éduque les enfants et juge les criminels. Et au bout d’un moment, quand le capital n’a plus comme ressources humaines que des crapules stupides et malades, ses performances baissent, selon le raisonnement que vous avez souvent produit dans ces pages.]
Tout à fait. Mais le capital n’a pas un horizon très lointain, et ne voit que le court et à la rigueur le moyen terme. Pour le moment, le capital arrive à trouver suffisamment de ressources humaines ailleurs lorsqu’il ne les trouve plus chez nous. Peut-être qu’à terme la dégradation de la situation chez nous aura un effet sur les « performances » vues du point de vue du capital, et à ce moment-là la bourgeoisie sera prête à des concessions pour changer les choses…
[Je vous avais déjà je crois exposé mon point dans un autre sujet: le déclassement des classes intermédiaires inférieures se produit non pas à l’échelle des individus (classe intermédiaire un jour, classe intermédiaire toujours !), mais au niveau du changement de génération. Les enfants des classes intermédiaires inférieures, dont le capital immatériel est fragile, sont exposés de plein fouet au problème de la surproduction de diplômés du supérieur. Et leurs diplômés ayant moins de valeur que ceux des classes supérieures, ils se retrouvent massivement à occuper des emplois pour lesquels ils sont théoriquement surqualifiés. Le sentiment de déclassement est très réel.]
Je suis d’accord. Mais la question que vous aviez posé n’était pas celle du « déclassement », mais celle des « préoccupations » des différentes couches sociales, que vous voyez converger. Mon point est que cette convergence est illusoire. La « préoccupation » des classes intermédiaires, c’est bien le risque de déclassement. Ce n’est pas là une préoccupation des couches populaires… et cette différence de préoccupation explique en particulier qu’il soit très difficile pour un parti politique de tenir un discours qui réponde à la fois aux deux.
[Je ne crois pas. Le déclassement des cadres est une réalité objectivée (je dois pouvoir vous retrouver ma source). Une partie croissante des cadres ne peut plus vivre dans la ville où ils travaillent, par exemple.]
Je suis d’accord. Mais cela ne fait pas – du moins à court terme – converger leurs « préoccupations » avec celles des couches populaires…
[« Pas du tout : votre autre planche de salut, c’est la délocalisation… » Pour les entreprises délocalisables uniquement. Toutes les autres par contre (le tourisme, l’hôtellerie restauration, le bâtiment, la logistique, etc), ça fait du monde.]
Mais on a trouvé un moyen de rendre tous ces métiers « délocalisables ». Cela s’appelle la libre circulation de la main d’œuvre, qui vous permet de faire travailler des gens en France en leur payant des salaires polonais ou roumains… sans compter bien entendu avec la main d’œuvre immigré clandestine. Et là aussi, ça fait du monde…
[Quand je parlais de “laminer les bénéficiaires de la dépense publique”, je ne pensais pas au bourgeois (je ne m’en fais pas pour eux) mais à ce qu’il reste du tissus industriel national qui ne subsiste que grâce aux subventions et exonérations fiscales face à la concurrence des pays à bas coûts de production.]
Désolé, j’avais mal compris.
[« Dans ces conditions, pourquoi les classes intermédiaires se rapprocheraient des couches populaires ? Qu’ont-elles à gagner ? » Pour les classes intermédiaires déclassées, faire payer la trahison des classes supérieures, tout simplement.]
La vengeance peut être une motivation individuelle, mais je n’y crois pas comme force politique.
@ Descartes
[Ce n’est pas qu’on ait arrêté de lire les grand classiques, ou d’aimer les belles choses, mais le savoir et la culture sont réservés à une petite élite. Le reste du peuple est encouragé à se gaver d’Hanouna ou de films de superhéros.]
Pardon, mais je suis en désaccord avec vous. Vous semblez penser qu’il y a certe un déclincivilisationnel en Europe mais que celui se limite aux “masses”, et qu’une sorte d’aristocratie reste “éclairée” et cultivée. Je n’en crois rien. Je constate au contraire tous les jours que le déclin de la culture, de la civilité, de la rationnalité touche toutes les strates de la société, seulement, certains partent “de plus haut”. Ce déclin est criant d’abord au sein de la classe politique dans son ensemble, mais elle touche tout aussi largement les élites. Pensez-vous que les ingénieurs de 30 ans aujourd’hui aient une culture, un sens des usages, et même une maitrise de leur sujet toute chose égale par ailleurs qui puisse en quelque point que ce soit rivaliser avec celle de leurs prédécesseurs ?
[Où sont aujourd’hui les meilleures écoles, les meilleurs chercheurs, l’audace, la créativité ? En Europe ? // Non, bien sûr. Mais il ne faut pas faire du déclin économique et social une question de déclin culturel. Si les meilleures écoles, les meilleurs chercheurs, l’audace et la créativité sont en Chine, ce n’est pas parce que la culture européenne décline, mais parce que l’économie et l’organisation sociale européenne décline.]
J’ai grand mal à dissocier le déclin social, que vous admettez, d’un déclin civilisationnel, puisque c’est le point dont nous discutons. La civilisation ne se limite pas à la culture.
[Peut-être qu’hier il y avait une énorme masse paysanne ignorante, mais la supériorité des principes qui régissent la civilisation occidentale était écrasante. Aujourd’hui non. // Mais si, justement. Si la Chine nous dépasse, c’est parce qu’elle applique « les principes qui régissent la civilisation occidentale » mieux que nous-mêmes.]
Je sous-entendais “aujourd’hui non -> dans le monde occidental”. Je pense comprendre que nous sommes d’accord: le déclin civilisationnel est réel chez nous, mais ses fondements continuent de faire leurs preuves chez ceux qui les adoptent. Ca nous fait une belle jambe, soit dit en passant, surtout quand on va commencer à s’apercevoir que pour ne pas perdre le leadership mondial, on va commencer à s’attaquer aux pays qui ont repris les grands principes de la civilisation occidentale par d’autres moyens (ainsi peut-on en partie lire le conflit entre la Russie et l’occident d’ailleurs). En fait, les nouveaux barbares, c’est l’occident..
[La génération de 1914 aurait eu grand mal à être consciente de ce qui l’attendait, en ce que la première guerre mondiale (tout comme la deuxième) ont été des “premières historiques”, l’une par l’industrialisation de la guerre, l’autre par l’industrialisation de l’extermination d’un peuple. // C’était bien mon point !]
Votre point était de dire que l’Histoire ne peut pas nous permettre d’éviter des écueils futurs, que seul le traumatisme vécu, ou dont on a une mémoire proche peut influer sur la conduite du monde par les Hommes. Peut-être avez vous raison. Mais il me semblait, et je crois que beaucoup pensaient cela, que la période 1914-1945 avait ancré dans la conscience collective quelques principes:
– que la diplomatie “du chien crevé au fil de l’eau” peut mener à l’anéantissement de millions de vies sans que l’on sache précisément pour quel motif,
– qu’une civilisation éclairée peut perdre son humanité en l’espace de quelques années au point d’institutionnaliser, de rationnaliser et de mettre en oeuvre l’extermination de son prochain
– que l’Homme est entrée en possession d’une technologie qui permet d’anéantir toute vie humaine sur la planète en quelques heures
Sans parler d’avoir une culture historique d’une profondeur exceptionnelle, il me semble que l’on peut attendre des dirigeants de ce monde de garder ces trois items en mémoire, d’imaginer les conséquences des combinaisons possibles entre les trois, et de faire ce qu’il faut pour éviter d’arriver au moment tragique.
[Certes. Mais on n’avait pas franchi le pas de se dire qu’il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de survivants. (..) Il s’agit de créer des conditions invivables pour les faire partir. ]
Si l’Allemagne avait fait 360km2, je pense que la question aurait été réglée autrement. Mais la logique de “la valise ou le cercueil” n’est pas une première dans l’Histoire non plus..
[Je ne dis pas qu’ils ont raison, je dis qu’ils n’ont pas d’autre alternative, au point où nous en sommes, que d’espérer anéantir l’autre. // Nous sommes d’accord. Et on ne peut sortir de cette « logique tragique » qu’à travers de l’intervention d’une tierce partie.]
Je ne le crois pas. Les choses sont allées trop loin. Quand bien même par miracle les USA feraient tomber le gouvernement Netanyaou, installeraient un modéré par la force, reconnaitraient un état palestinien aux frontières de 1948 et que l’ONU enverrais des troupes en force d’interposition aux frontières, pensez-vous que le fanatisme quittera les deux parties ? Que les Palestiniens pardonneront ? que les Israeliens déposeront les armes ?
[J’aimerais si possible en parallèle connaître votre interprétation de la gestion de la question des otages par le Hamas ? // Franchement, je n’ai pas d’interprétation à vous proposer. Je suis toujours surpris que la valeur qu’on donne à la vie humaine puisse à ce point varier en fonction des circonstances. ]
Vous faites une grossière erreur d’analyse. Il n’est nullement question de vies humaines, mais de symbole. Preuve en est des efforts qu’on fait par le passé les services Israeliens pour récupérer des dépouilles de soldats. L’engagement premier de l’Etat d’Israel auprès de ses citoyens est “vivant ou mort, on ne vous abandonnera jamais”. Renoncer à récupérer les otages, ce n’est pas qu’une question de comptabilité morbide, c’est rompre le contrat social entre l’Etat et les citoyens.
Deuxio, ma question portait surtout sur la gestion de la question des otages PAR LE HAMAS. Quelle lecture en faites vous ?
[Je suis d’accord. Mais la question que vous aviez posé n’était pas celle du « déclassement », mais celle des « préoccupations » des différentes couches sociales, que vous voyez converger. Mon point est que cette convergence est illusoire. La « préoccupation » des classes intermédiaires, c’est bien le risque de déclassement.]
Sauf que ce déclassement, pour les enfants des classes intermédiaires inférieures, n’est pas un RISQUE. C’est un réalité. Il est déjà effectif. Partant de là, les classes intermédiaires déclassées, dont les rangs grossissent et ne cesseront de grossir, ont des préoccupations qui rejoingnent celles des classes populaires. Et ce mouvement progressera jusqu’à atteindre le point de bascule où le rapport de force s’inversera. C’est là mon point.
[Je suis d’accord. Mais cela ne fait pas – du moins à court terme – converger leurs « préoccupations » avec celles des couches populaires…]
Pourquoi la partie des classes intermédiaires qui est déclassée (et qui par définition rejoint la classe populaire et trouve des intérêts de classe communs avec elle) ne partagerait pas leurs préoccupations ? Votre raisonnement m”intrigue.
[Mais on a trouvé un moyen de rendre tous ces métiers « délocalisables ». Cela s’appelle la libre circulation de la main d’œuvre, qui vous permet de faire travailler des gens en France en leur payant des salaires polonais ou roumains… sans compter bien entendu avec la main d’œuvre immigré clandestine. Et là aussi, ça fait du monde…]
Mais cette donnée est déjà très largement effective, et depuis longtemps. Et le fait que l’Etat soit toujours obligé de dépenser 7 points de PIB (de mémoire) par an en subventions et exonérations fiscales aux entreprises montre que ce phénomène n’est pas suffisant pour permettre à notre pays d’être concurrentiel dans un monde de libre échange.
@ P2R
[Pardon, mais je suis en désaccord avec vous. Vous semblez penser qu’il y a certe un déclincivilisationnel en Europe mais que celui se limite aux “masses”, et qu’une sorte d’aristocratie reste “éclairée” et cultivée. Je n’en crois rien. Je constate au contraire tous les jours que le déclin de la culture, de la civilité, de la rationnalité touche toutes les strates de la société, seulement, certains partent “de plus haut”. Ce déclin est criant d’abord au sein de la classe politique dans son ensemble, mais elle touche tout aussi largement les élites. Pensez-vous que les ingénieurs de 30 ans aujourd’hui aient une culture, un sens des usages, et même une maitrise de leur sujet toute chose égale par ailleurs qui puisse en quelque point que ce soit rivaliser avec celle de leurs prédécesseurs ?]
Je fais un peu le raisonnement qu’on peut faire sur le bac. Si l’on prend le niveau moyen des bacheliers, la baisse du niveau par rapport aux années 1970 est abismale. Mais si vous prenez parmi les bacheliers les meilleurs 5% (ce qui correspond grosso modo au nombre de bacheliers ayant le bac « C » en 1970), la baisse est beaucoup moins forte. Je note un peu le même phénomène sur les ingénieurs. Si vous prenez l’ingénieur moyen, son niveau – que ce soit en matière technique ou en culture générale – est bien plus faible que celui des ingénieurs formés dans les années 1970. Mais ils sont beaucoup plus nombreux. Par contre, si vous prenez les meilleurs X% pour les ramener au même nombre, l’effet est beaucoup moins évident. Ce qui serait peut-être intéressant, ce serait de mesurer à niveau équivalent de combien les élites se sont « contractées ».
J’ajoute que la dégradation des « élites » politiques n’est pas un bon indicateur. Tout simplement parce que vous comparez des choses incomparables. Dans les années 1960, la politique était un métier honorable, et des gens talentueux ayant fait les meilleures études s’y consacraient. Aujourd’hui, c’est devenu un métier qui recrute ceux qui ont raté leurs études mais ont une grande gueule et savent se mettre en valeur. Parmi les politiciens de moins de quarante ans, combien de polytechniciens ?
[J’ai grand mal à dissocier le déclin social, que vous admettez, d’un déclin civilisationnel, puisque c’est le point dont nous discutons. La civilisation ne se limite pas à la culture.]
Bien entendu, il y a une dialectique entre les deux.
[Je sous-entendais “aujourd’hui non -> dans le monde occidental”. Je pense comprendre que nous sommes d’accord: le déclin civilisationnel est réel chez nous, mais ses fondements continuent de faire leurs preuves chez ceux qui les adoptent. Ca nous fait une belle jambe, soit dit en passant, surtout quand on va commencer à s’apercevoir que pour ne pas perdre le leadership mondial, on va commencer à s’attaquer aux pays qui ont repris les grands principes de la civilisation occidentale par d’autres moyens (ainsi peut-on en partie lire le conflit entre la Russie et l’occident d’ailleurs). En fait, les nouveaux barbares, c’est l’occident…]
Pour moi, ce point est important parce qu’il répond à ceux qui pensent que la solution se trouve dans la rupture avec la « civilisation occidentale », que la régénération viendra d’ailleurs, par le biais de la créolisation. Je pense au contraire que si solution il y a, elle se trouve au contraire dans une continuité avec notre héritage.
[Mais il me semblait, et je crois que beaucoup pensaient cela, que la période 1914-1945 avait ancré dans la conscience collective quelques principes:
– que la diplomatie “du chien crevé au fil de l’eau” peut mener à l’anéantissement de millions de vies sans que l’on sache précisément pour quel motif,
– qu’une civilisation éclairée peut perdre son humanité en l’espace de quelques années au point d’institutionnaliser, de rationnaliser et de mettre en oeuvre l’extermination de son prochain
– que l’Homme est entré en possession d’une technologie qui permet d’anéantir toute vie humaine sur la planète en quelques heures
Sans parler d’avoir une culture historique d’une profondeur exceptionnelle, il me semble que l’on peut attendre des dirigeants de ce monde de garder ces trois items en mémoire, d’imaginer les conséquences des combinaisons possibles entre les trois, et de faire ce qu’il faut pour éviter d’arriver au moment tragique.]
Le problème, c’est que ces bons principes sont restés vivants tant que vivaient ceux qui en avaient fait l’expérience qui les avait fondés. Mais l’homme est ainsi fait qu’il lui est difficile d’internaliser une expérience vécue par d’autres. L’insistance obsessionnelle sur le « devoir de mémoire » traduit pour moi la peur de ce phénomène : une fois les témoins directes de la Shoah – ou à la rigueur, de ceux qui ont entendu vécu avec eux – partis, le récit devient légende, et sa valeur performative s’estompe. Est-ce que les jeunes aujourd’hui croient « réellement » qu’on a tué des gens à Auschwitz ou qu’on a rasé une ville à Hiroshima ? Je pense qu’il y a là une question intéressante.
[Je ne le crois pas. Les choses sont allées trop loin. Quand bien même par miracle les USA feraient tomber le gouvernement Netanyaou, installeraient un modéré par la force, reconnaitraient un état palestinien aux frontières de 1948 et que l’ONU enverrais des troupes en force d’interposition aux frontières, pensez-vous que le fanatisme quittera les deux parties ? Que les Palestiniens pardonneront ? que les Israeliens déposeront les armes ?]
Le temps guérit tout. Pensez au conflit irlandais : malgré les « rivières de sang » qui coulent depuis le XVIIème siècle, vingt ans après l’indépendance en 1922 la République d’Irlande et le Royaume Uni ont réussi à établir des relations civilisées.
[« Franchement, je n’ai pas d’interprétation à vous proposer. Je suis toujours surpris que la valeur qu’on donne à la vie humaine puisse à ce point varier en fonction des circonstances. » Vous faites une grossière erreur d’analyse.]
Je vois mal comment je pourrais faire une erreur d’analyse, grossière ou pas, alors que je vous ai dit par avance que je n’avais pas d’analyse à vous proposer… mon commentaire ne contenait aucune analyse, juste la constatation d’un fait : on accorde plus de valeur à certaines vies humaines qu’à d’autres, en fonction des circonstances.
[Il n’est nullement question de vies humaines, mais de symbole. Preuve en est des efforts qu’on fait par le passé les services Israeliens pour récupérer des dépouilles de soldats. L’engagement premier de l’Etat d’Israel auprès de ses citoyens est “vivant ou mort, on ne vous abandonnera jamais”. Renoncer à récupérer les otages, ce n’est pas qu’une question de comptabilité morbide, c’est rompre le contrat social entre l’Etat et les citoyens.]
Il ne faut pas confondre deux choses. Que l’Etat d’Israël fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens, cela peut parfaitement se comprendre et c’est d’une certaine manière l’essence de tout état. Mais que cet engagement soit illimité, j’ai du mal à le comprendre.
[Deuxio, ma question portait surtout sur la gestion de la question des otages PAR LE HAMAS. Quelle lecture en faites-vous ?]
Je ne comprends pas très bien la portée de votre question. De quoi parlez-vous ? De la manière dont les otages sont traités ? De la négociation pour leur libération ? De la propagande montée autour de leur libération ?
[Sauf que ce déclassement, pour les enfants des classes intermédiaires inférieures, n’est pas un RISQUE. C’est une réalité. Il est déjà effectif.]
Pas encore. L’appauvrissement est peut-être effectif, mais le déclassement, c’est déjà moins évident. Je connais beaucoup d’enseignants, je ne connais aucun dont les enfants sont manœuvres à l’usine. Je pense qu’il faut faire la différence entre le phénomène d’appauvrissement et le phénomène de déclassement. Prenez l’exemple des petits commerçants : leur appauvrissement est continu, et cela n’a pas fait converger leurs préoccupations avec celles des classes populaires… On peut penser qu’à terme l’appauvrissement aboutira à un déclassement, mais cela prendra un certain temps.
@ Descartes
[Si vous prenez l’ingénieur moyen, son niveau – que ce soit en matière technique ou en culture générale – est bien plus faible que celui des ingénieurs formés dans les années 1970. Mais ils sont beaucoup plus nombreux. Par contre, si vous prenez les meilleurs X% pour les ramener au même nombre, l’effet est beaucoup moins évident. Ce qui serait peut-être intéressant, ce serait de mesurer à niveau équivalent de combien les élites se sont « contractées ».]
Je ne saurais estimer la valeur de cette théorie, mais il est un élément qui me la rends suspecte: dans les études sur la maîtrise du français et des mathématiques de nos étudiants, il est systématiquement relevé, en plus d’un effondrement de la moyenne, un déclin continu du pourcentage d’élèves qui excellent dans la matière. La logique veut que cette “érosion du sommet” de la pyramide de l’excellence se retrouve au supérieur, ce qui semble confirmé par l’échange que vous aviez récemment avec un autre contributeur de ce blog.
[Pour moi, ce point est important parce qu’il répond à ceux qui pensent que la solution se trouve dans la rupture avec la « civilisation occidentale », que la régénération viendra d’ailleurs, par le biais de la créolisation. Je pense au contraire que si solution il y a, elle se trouve au contraire dans une continuité avec notre héritage. ]
Nous sommes d’accord à 100%
[mon commentaire ne contenait aucune analyse, juste la constatation d’un fait : on accorde plus de valeur à certaines vies humaines qu’à d’autres, en fonction des circonstances.]
Oui, mais ce commentaire montre que pour vous il est question d’une comptabilité de vies humaines. Ce qui est déjà une erreur, selon moi.
[Que l’Etat d’Israël fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens, cela peut parfaitement se comprendre et c’est d’une certaine manière l’essence de tout état. Mais que cet engagement soit illimité, j’ai du mal à le comprendre.]
Ca veut dire quoi “Que l’Etat d’Israel fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir” ? Soit Israel fait tout ce qui est dans son pouvoir, et à ce moment là, par définition, la guerre menée à Gaza est bel est bien du domaine du pouvoir de l’Etat d’Israel. Soit Israel ne fait pas tout ce qui est dans son pouvoir. J’ajoute que l’engagement d’Israel est loin d’être “illimité”… Le rapport de force est écrasant, mais je ne crois pas qu’Israel soit actuellement en train de mettre sa survie en jeu pour récupérer des otages.
[Deuxio, ma question portait surtout sur la gestion de la question des otages PAR LE HAMAS. Quelle lecture en faites-vous ? // Je ne comprends pas très bien la portée de votre question. De quoi parlez-vous ? De la manière dont les otages sont traités ? De la négociation pour leur libération ? De la propagande montée autour de leur libération ?]
Je vous demande comment vous interprétez le fait que le HAMAS ait choisi et choisisse encore de conserver des otages dont il ne tire manifestement aucun bénéfice, et d’offrir à Israel un alibi en or pour infliger un torrent de représailles à la population de Gaza plutôt que de les libérer et d’ôter à Israel le seul argument qui peut leur permettre de justifier la poursuite du massacre.
[Sauf que ce déclassement, pour les enfants des classes intermédiaires inférieures, n’est pas un RISQUE. C’est une réalité. Il est déjà effectif.// Pas encore. L’appauvrissement est peut-être effectif, mais le déclassement, c’est déjà moins évident. Je connais beaucoup d’enseignants, je ne connais aucun dont les enfants sont manœuvres à l’usine. ]
Je pense que vous occultez une partie de la réalité. Dans mon milieu j’observe l’inverse, à savoir un déclassement sans appauvrissement: des enfants de classes intermédiaires (plutôt issues du monde de l’entreprise d’une part et du social d’autre part) qui se retrouvent à faire des boulots smicardisés dans le tertiaire mais dont le niveau de vie est maintenu par les parents “classes intermédiaires”, qui peuvent pourvoir au logement, aux vacances, à l’achat d’un véhicule, aux frais liés aux enfants..
@ P2R
[« Par contre, si vous prenez les meilleurs X% pour les ramener au même nombre, l’effet est beaucoup moins évident. Ce qui serait peut-être intéressant, ce serait de mesurer à niveau équivalent de combien les élites se sont « contractées ». » Je ne saurais estimer la valeur de cette théorie, mais il est un élément qui me la rends suspecte : dans les études sur la maîtrise du français et des mathématiques de nos étudiants, il est systématiquement relevé, en plus d’un effondrement de la moyenne, un déclin continu du pourcentage d’élèves qui excellent dans la matière. La logique veut que cette “érosion du sommet” de la pyramide de l’excellence se retrouve au supérieur, ce qui semble confirmé par l’échange que vous aviez récemment avec un autre contributeur de ce blog.]
Le point que vous soulevez n’est en rien contradictoire avec ma théorie. Le projet généreux qui était celui « du savoir pour tous » (ou du moins pour le plus grand nombre) pendant les « trente glorieuses » avait permis d’étendre le pourcentage d’élèves « excellents », en permettant à des enfants doués des couches populaires, méritocratie aidant, de bénéficier de l’enseignement de qualité auquel seules les élites avaient accès avant guerre. Avec le retour en arrière à partir des années 1980, on revient au statu quo ante.
Cela étant dit, comme souvent ces débats me font réfléchir et retourner aux sources d’information. Et vous avez en partie raison : un certain nombre d’auteurs sont nettement moins optimistes que moi dans ma vision d’un « retour en arrière », et signalent comme vous le faites que le niveau d’exigence diminue même dans les formations d’élite, avec en conséquence un « aplatissement » du niveau. Il faut dire que dès lors que l’excellence intellectuelle n’est plus reconnue par la société, on voit mal comment le niveau pourrait se maintenir.
[« mon commentaire ne contenait aucune analyse, juste la constatation d’un fait : on accorde plus de valeur à certaines vies humaines qu’à d’autres, en fonction des circonstances. » Oui, mais ce commentaire montre que pour vous il est question d’une comptabilité de vies humaines. Ce qui est déjà une erreur, selon moi.]
Mais comment hiérarchiser les crimes, si ce n’est en passant par ce paramètre ?
[« Que l’Etat d’Israël fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens, cela peut parfaitement se comprendre et c’est d’une certaine manière l’essence de tout état. Mais que cet engagement soit illimité, j’ai du mal à le comprendre. » Ca veut dire quoi “Que l’Etat d’Israël fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir” ? Soit Israel fait tout ce qui est dans son pouvoir, et à ce moment-là, par définition, la guerre menée à Gaza est bel est bien du domaine du pouvoir de l’Etat d’Israël.]
Il ne s’agit pas ici du « pouvoir de l’Etat d’Israël ». Personne ne discute qu’Israël ait le « pouvoir » de rayer Gaza de la carte par l’utilisation de l’arme atomique, par exemple. Mais serait-il « raisonnable » de le faire ?
On peut difficilement m’accuser de naïveté en matière de politique. J’admets parfaitement la raison d’Etat, et donc la possibilité pour un Etat de faire des choses que le droit ou la morale réprouvent lorsqu’un objectif vital est en jeu. Mais cette possibilité n’est pas sans limites. Pour que le recours à ce type d’actes soit légitime, encore faut-il qu’il n’existe pas de voie légale pour atteindre le même but à un coût raisonnable, et encore dans ce cas il faut eue l’action entreprise soit le moyen le plus efficient pour atteindre ce but.
Quand je dis que je comprends que l’Etat d’Israël « fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens », je suis prêt à admettre qu’il n’y ait pas de moyen « légal » d’obtenir la libération des otages. Mais je remets en cause l’efficience de l’action. On peut difficilement soutenir que raser les écoles et les hôpitaux de Gaza, bloquer l’entrée de l’aide humanitaire ou envisager l’expulsion des gazaouis soit le moyen le plus efficient – c’est-à-dire, celui qui permet d’atteindre le but au moindre coût – d’obtenir la libération des otages.
[Soit Israel ne fait pas tout ce qui est dans son pouvoir. J’ajoute que l’engagement d’Israel est loin d’être “illimité”… Le rapport de force est écrasant, mais je ne crois pas qu’Israel soit actuellement en train de mettre sa survie en jeu pour récupérer des otages.]
Je ne vois pas le rapport. Je vois mal ce qui serait « dans le pouvoir » d’Israël aujourd’hui en termes d’intervention à Gaza et qu’Israël s’interdit de faire, à part peut-être l’usage de l’arme nucléaire…
[Je vous demande comment vous interprétez le fait que le HAMAS ait choisi et choisisse encore de conserver des otages dont il ne tire manifestement aucun bénéfice, et d’offrir à Israel un alibi en or pour infliger un torrent de représailles à la population de Gaza plutôt que de les libérer et d’ôter à Israel le seul argument qui peut leur permettre de justifier la poursuite du massacre.]
Je n’ai aucune information qui me permettrait de donner une réponse informée à cette question. Je ne connais pas assez le Hamas et ses buts de guerre dans ce conflit pour pouvoir vous offrir autre chose qu’une théorie personnelle. On pourrait imaginer que le but du Hamas dans l’affaire est de pousser Israël à la faute – et sur ce plan ils ont largement réussi, du moins vis-à-vis des opinions publiques du « sud global ». Libérer les otages inconditionnellement aujourd’hui, c’est justifier a posteriori le discours du gouvernement israélien, de lui permettre de soutenir que la destruction de Gaza était le seul moyen d’obtenir la libération des otages. Le danger pour le gouvernement israélien n’est pas tant qu’il y ait massacre, mais surtout que ce massacre apparaisse inutile. Il n’y a pas de pire crime de guerre que le crime de guerre inutile…
On est dans la plus pure logique de la tragédie. Israël est allé trop loin pour pouvoir reculer sans que cela apparaisse comme une défaite. Et c’est aussi vrai pour le Hamas. Israël doit démontrer au monde que si des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis à Gaza, ils peuvent être justifiés par des résultats. Le Hamas, symétriquement, ne peut offrir à Israël une apparente victoire qui rendrait la souffrance infligée au peuple Palestinien inutile.
[Je pense que vous occultez une partie de la réalité. Dans mon milieu j’observe l’inverse, à savoir un déclassement sans appauvrissement : des enfants de classes intermédiaires (plutôt issues du monde de l’entreprise d’une part et du social d’autre part) qui se retrouvent à faire des boulots smicardisés dans le tertiaire (…)]
Quel genre de « boulots smicardisés » ?
@ Descartes
[Un certain nombre d’auteurs sont nettement moins optimistes que moi dans ma vision d’un « retour en arrière », et signalent comme vous le faites que le niveau d’exigence diminue même dans les formations d’élite, avec en conséquence un « aplatissement » du niveau. Il faut dire que dès lors que l’excellence intellectuelle n’est plus reconnue par la société, on voit mal comment le niveau pourrait se maintenir.]
Vous parliez dans un autre échange de la baisse de l’engagement professionnel et de la force de travail même dans les hautes sphères. Pour moi ce sujet est indissociable de celui de la baisse de l’excellence. L’autre jour je discutais avec une équipe des urgences à l’hopital, et le sujet était la difficulté de joindre des chefs de services après 16h, le vendredi et à fortiori el week end. Je rapportais l’expérience qu’avait ma mère, infirmière, dans les années 80, où le chef de service arrivait à 7h00, partait à 21h en semaine, était joignable de jour comme de nuit et passait toujours une heure ou deux le samedi et le dimanche pour vérifier que tout allait bien. Toutes les anciennes infirmières opinaient sur le mode “ah oui, c’est vrai, le Dr Machin, il couchait quasiment sur place, c’était une autre époque”. Mais tous et toutes, à l’unanimité, concluaient “quand même, c’était pas une vie, il y a d’autres choses qui comptent, faut du temps pour soi, pour sa famille”. Curieux paradoxe où à la fois l’on regrette l’engagement professionnel intense, et où cet engagement est passé du statut de vertu à celui de vice quasi pathologique..
[Mais comment hiérarchiser les crimes, si ce n’est en passant par ce paramètre ?]
Par la porté symbolique du crime, pardi. Si demain une nation étrangère hostile enlevait 200 ressortissants français après en avoir massacré 1000 autres, pensez-vous que la portée de ce crime se résume à 1000 vies et 200 otages ? Non, bien sûr que non, ce serait une atteinte à la Nation toute entière. Et la Nation pourrait tout à fait envisager de sacrifier plusieurs milliers de ses enfants, non pas pour rétablir une équivalence comptable dans les vies prises de part et d’autres, mais pour laver l’affront et faire passer le goût d’y revenir à l’assaillant. Car il y a une dimension anticipatrice dans ce sacrifice. Au-delà de la vengeance, dans l’esprit d’Israel, les morts de Tsahal d’aujourd’hui épargnent des vie d’israeliens demain.
[Quand je dis que je comprends que l’Etat d’Israël « fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens », je suis prêt à admettre qu’il n’y ait pas de moyen « légal » d’obtenir la libération des otages. Mais je remets en cause l’efficience de l’action. On peut difficilement soutenir que raser les écoles et les hôpitaux de Gaza, bloquer l’entrée de l’aide humanitaire ou envisager l’expulsion des gazaouis soit le moyen le plus efficient – c’est-à-dire, celui qui permet d’atteindre le but au moindre coût – d’obtenir la libération des otages.]
Sauf que l’objectif d’Israel ne se limite pas à libérer les otages. Encore une fois je pense qu’il faut se détacher de cette vision “comptable” et comprendre que pour Israel, les massacres du 7 octobres vont au-delà d’un bilan macabre.. L’objectif d’Israel est de broyer toute menace organisée à leurs portes et au delà. Et on peut dire ce qu’on veut, mais pour l’instant, on ne peut pas dire que leur action soit inéfficiente, quand on voit à quoi sont réduit le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.
[J’ajoute que l’engagement d’Israel est loin d’être “illimité” // Je ne vois pas le rapport. Je vois mal ce qui serait « dans le pouvoir » d’Israël aujourd’hui en termes d’intervention à Gaza et qu’Israël s’interdit de faire, à part peut-être l’usage de l’arme nucléaire…]
Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas juger de l’engagement “illimité” d’Israel dans la mesure où Israel, pour mener cette guerre, n’a pas besoin d’aller piocher dans ses limites. On reste sur une guerre “classique” en terme de mobilisation et d’armement utilisé, par exemple.
[On pourrait imaginer que le but du Hamas dans l’affaire est de pousser Israël à la faute – et sur ce plan ils ont largement réussi ]
Cet objectif ne vous semble t’il pas trop “politique” pour une opération qui aurait “dérapé” selon votre propre analyse ?
[On est dans la plus pure logique de la tragédie. Israël est allé trop loin pour pouvoir reculer sans que cela apparaisse comme une défaite. Et c’est aussi vrai pour le Hamas. Israël doit démontrer au monde que si des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis à Gaza, ils peuvent être justifiés par des résultats. Le Hamas, symétriquement, ne peut offrir à Israël une apparente victoire qui rendrait la souffrance infligée au peuple Palestinien inutile.]
Je suis d’accord avec cette analyse en ce qui concerne le stade où nous sommes. En revanche je ne sais pas si elle était valable au début du conflit.
[Quel genre de « boulots smicardisés » ?]
Pour ceux que je connais: secrétaire dans un cabinet de comptabilité, technicien dans l’industrie (safran), prothésiste ongulaire, menuisier (employé), et un bon nombre de “bohême LFI décroissant RSA + chèque des parents”.
Je précise que cette dégradation par rapport au statut des parents est très inégalement assumée. pour faire court, une moitié est partie dans une voie “décroissantiste” par rapport aux parents, de manière volontaire mais non assumée économiquement (aides sociales + papa-maman). C’est la frange LFI. L’autre moitié a réellement subi un déclassement, mais a une culture du travail. Je parle de gens vivant dans et autour d’une commune de 20.000 habitants dans la diagonale du vide.
@ P2R
[Vous parliez dans un autre échange de la baisse de l’engagement professionnel et de la force de travail même dans les hautes sphères. Pour moi ce sujet est indissociable de celui de la baisse de l’excellence.]
Je partage très largement. Personne ne vise l’excellence par hasard. L’excellence procure une forme de plaisir, celui d’approcher la perfection dans son domaine et d’être reconnu en cette qualité. Et cela existe à tous les niveaux : combien de fois j’ai vu des jeunes soudeurs admirer le travail d’un collègue plus âgé, ou l’appeler pour faire une opération particulièrement complexe parce que « il est le seul à pouvoir le faire aussi bien ». Et je peux vous assurer que pour le soudeur ainsi reconnu, cela vaut de l’or. J’ai même vu des soudeurs expérimentés pleurer d’avoir raté une soudure – et dans un cas, la refaire hors du temps de travail – en pensant à leur réputation ternie…
Je vais vous raconter une autre expérience. Dans les centrales EDF, pour pouvoir toucher le moindre composant il faut une « habilitation », document qui atteste que vous avez été formé dans le domaine et avez donc les compétence pour pouvoir intervenir en toute sécurité. Parmi les habilitations, il y a celle du « chargé de consignation ». C’est la personne qui, après avoir fermé et cadenassé les vannes d’eau et de vapeur et les disjoncteurs des alimentations électriques, déclare qu’une partie de l’installation est en sécurité pour pouvoir faire telle ou telle intervention. C’est une habilitation prestigieuse, car il y va de la sécurité des intervenants : imaginez ce que cela peut faire de démonter un moteur qui est toujours alimenté en électricité, ou bien couper une tuyauterie avec de la vapeur sous pression dedans. Et bien, lorsqu’un « chargé de consignation » faisait une bêtise, vous savez quelle est la pire sanction du point de vue des intéressés ? Ce n’est pas la mise à pied, ce n’est pas la retenue sur salaire… c’est le retrait temporaire de l’habilitation. Cela ne vous empêche pas de recevoir votre salaire. Pour le salarié, il n’y a donc aucune conséquence pécuniaire… mais du point de vue symbolique, cela les terrifie parce que cela remet en cause publiquement leur compétence, leur capacité à « excellence ».
L’engagement professionnel traduit ce plaisir. L’exemple que vous donnez est très éclairant : le chef de service hospitalier qui passait sa vie à l’hôpital ne « souffrait » pas de cet engagement hors normes, au contraire, il tirait un énorme plaisir : celui d’exercer son métier « au top » d’abord, celui d’être reconnu par son personnel ensuite, parce que comme vous le notez si bien, les infirmières étaient sensibles à ce comportement, reconnaissaient son prix et l’admiraient. Ce n’est pas lui qui souffrait, c’est son personnel qui souffrait « par procuration » en pensant à sa famille !
[Curieux paradoxe où à la fois l’on regrette l’engagement professionnel intense, et où cet engagement est passé du statut de vertu à celui de vice quasi pathologique…]
Il y a là une contradiction intéressante. Le concept même de « l’excellence » appartient au registre aristocratique. Le capitalisme ne recherche pas l’excellence, mais la satisfaction du client. Et si le client est satisfait avec Hanouna, on lui donne Hanouna. Pourquoi chercher à faire mieux, alors que personne ne vous le demande – et surtout, n’est pas prêt à payer pour ? L’engagement intense est même perçu par le management moderne comme un vice, parce qu’une personne engagée est beaucoup moins malléable : elle a sa propre idée de la manière d’exercer son métier, et accepte beaucoup plus difficilement de s’en écarter – ou d’en changer – qu’une personne qui vient faire ses heures et dont la seule motivation est le chèque en fin de mois. D’où cette idéologie délétère du « désengagement ». Le problème, c’est que ce désengagement, qui ravit les managers, a des effets désastreux par ailleurs, et notamment sur la qualité des services publiques, qui fonctionnent depuis la nuit des temps dans une logique de l’honneur. Que l’employé de McDonalds arrête son travail au milieu d’un hamburger parce que la cloche a sonné est beaucoup moins grave que lorsqu’un chirurgien fait de même…
[« Mais comment hiérarchiser les crimes, si ce n’est en passant par ce paramètre ? » Par la portée symbolique du crime, pardi. Si demain une nation étrangère hostile enlevait 200 ressortissants français après en avoir massacré 1000 autres, pensez-vous que la portée de ce crime se résume à 1000 vies et 200 otages ?]
Oui, bien sûr. La preuve est qu’on ne traiterait pas de la même façon la chose si on enlevait 2 ressortissants après en avoir tué 10 (ce qui, au demeurant, nous est déjà arrivé sans qu’on y voie « une atteinte à la nation toute entière », et envisagé de sacrifier plusieurs milliers de soldats français pour les récupérer). La portée symbolique est, elle aussi, rattachée aux chiffres. Pourquoi croyez-vous que le débat sur les chiffres de la Shoah soit aussi chaud ?
[Car il y a une dimension anticipatrice dans ce sacrifice. Au-delà de la vengeance, dans l’esprit d’Israel, les morts de Tsahal d’aujourd’hui épargnent des vie d’israeliens demain.]
Mais là, on ne parle pas de la même chose. Cet échange tournait autour de ce que pouvait ou pas faire Israël pour récupérer les otages, pas pour atteindre d’autres objectifs de court, moyen ou long terme.
[« Quand je dis que je comprends que l’Etat d’Israël « fasse raisonnablement tout ce qui est dans son pouvoir pour faire libérer ses citoyens », je suis prêt à admettre qu’il n’y ait pas de moyen « légal » d’obtenir la libération des otages. Mais je remets en cause l’efficience de l’action. On peut difficilement soutenir que raser les écoles et les hôpitaux de Gaza, bloquer l’entrée de l’aide humanitaire ou envisager l’expulsion des gazaouis soit le moyen le plus efficient – c’est-à-dire, celui qui permet d’atteindre le but au moindre coût – d’obtenir la libération des otages. » Sauf que l’objectif d’Israel ne se limite pas à libérer les otages.]
Alors, on entame une autre discussion. Parce que cet échange portait, je le rappelle encore, sur ce qu’Israël fait pour ramener les otages, pas pour atteindre d’autres objectifs.
[Encore une fois je pense qu’il faut se détacher de cette vision “comptable” et comprendre que pour Israel, les massacres du 7 octobres vont au-delà d’un bilan macabre… L’objectif d’Israel est de broyer toute menace organisée à leurs portes et au-delà.]
Et cela même au prix d’un génocide. Si les Alliés avaient fait ce raisonnement, l’Allemagne n’existerait plus.
[Et on peut dire ce qu’on veut, mais pour l’instant, on ne peut pas dire que leur action soit inefficiente, quand on voit à quoi sont réduit le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.]
Comme disait je crois Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais on il est ensuite difficile de s’asseoir dessus. On verra à terme si les résultats obtenus par le gouvernement israélien valent le coût que le pays aura à payer dans tous les domaines.
[Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas juger de l’engagement “illimité” d’Israel dans la mesure où Israel, pour mener cette guerre, n’a pas besoin d’aller piocher dans ses limites. On reste sur une guerre “classique” en terme de mobilisation et d’armement utilisé, par exemple.]
Vous donnez au mot « illimité » un sens très particulier… Dans ce contexte, « engagement illimité » faisait référence au fait qu’il n’y a plus de limite légale, éthique ou morale aux actes de l’Etat.
[« On pourrait imaginer que le but du Hamas dans l’affaire est de pousser Israël à la faute – et sur ce plan ils ont largement réussi » Cet objectif ne vous semble t’il pas trop “politique” pour une opération qui aurait “dérapé” selon votre propre analyse ?]
Vous m’aviez interrogé sur la gestion des otages. On est donc sur une réflexion « ex post ». Nous ne savons même pas si le plan original comportait des prises d’otages civils.
[« Quel genre de « boulots smicardisés » ? » Pour ceux que je connais: secrétaire dans un cabinet de comptabilité, technicien dans l’industrie (safran), prothésiste ongulaire, menuisier (employé), et un bon nombre de “bohême LFI décroissant RSA + chèque des parents”.]
Je ne sais pas si ce sont là des métiers « smicardisés ». Je serais quand même très étonné qu’un technicien dans l’industrie aéronautique (Safran) touche le SMIC. Je connais des prothésistes ongulaires qui se font des paquets de fric… en fait, j’ai l’impression que le « déclassement » est moins salarial que statutaire.
[L’autre moitié a réellement subi un déclassement, mais a une culture du travail. Je parle de gens vivant dans et autour d’une commune de 20.000 habitants dans la diagonale du vide.]
Il est clair que les classes intermédiaires de la « France périphérique » sont nettement plus menacées de déclassement que celles des grandes agglomérations.
@ Descartes
[Il y a là une contradiction intéressante. Le concept même de « l’excellence » appartient au registre aristocratique. Le capitalisme ne recherche pas l’excellence, mais la satisfaction du client.]
C’est la raison même pour laquelle je conteste votre point selon lequel le pourcentage de personnes qui “excellent” dans un domaine donné reste équivalent à l’époque pré-néolibérale. Vous démontrez ici que l’excellence fait partie des principes pré-existants au capitalisme que ce dernier érode sans avoir les moyens de leur fournir une raison de se régénérer. L’excellence est donc sinon vouée à disparaitre, en tout cas à devenir un phénomène incongru. Pour revenir à la notion de déclin qui vous irrite tant, c’est là, de mon point de vue, qu’il se matérialise avant tout. Et c’est là, surtout, que je le vois comme pouvant franchir un point de non-retour, dès lors qu’il deviendra impossible de trouver une masse suffisante de professeurs dévoués et “excellant” dans leur art d’enseigner pour remonter la pente.
[La portée symbolique est, elle aussi, rattachée aux chiffres. Pourquoi croyez-vous que le débat sur les chiffres de la Shoah soit aussi chaud ? ]
Je ne suis pas d’accord. La portée de la Shoah a surtout trait au modus operandi d’une part, et d’autre part au fait que ce génocide concernait une population cible mondialisée et influente. Que 2, 6 ou 10 millions de juifs y soient morts ne change rien à l’impact. Quand 75% des arméniens de l’Empire Ottoman sont zigouillés “à l’ancienne”, tout le monde s’en fiche. Pourquoi selon vous ?
[Et cela même au prix d’un génocide. Si les Alliés avaient fait ce raisonnement, l’Allemagne n’existerait plus.]
Si l’Allemagne avait fait la taille de Gaza…
[Comme disait je crois Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais on il est ensuite difficile de s’asseoir dessus. On verra à terme si les résultats obtenus par le gouvernement israélien valent le coût que le pays aura à payer dans tous les domaines.]
Je ne vois personne sérieusement s’émouvoir, y compris dans le monde arabe.. Et à fortiori avec l’attaque de l’Iran. Tout le monde semble ravi qu’Israel fasse “le sale boulot”, proteste vaguement devant les caméra, mais se satisfasse de la situation en coulisse.
[Je ne sais pas si ce sont là des métiers « smicardisés ». Je serais quand même très étonné qu’un technicien dans l’industrie aéronautique (Safran) touche le SMIC. Je connais des prothésistes ongulaires qui se font des paquets de fric… en fait, j’ai l’impression que le « déclassement » est moins salarial que statutaire.]
En effet. Mais n’est-ce pas là l’essence du déclassement ? C’est à dire la perte d’une situation de rente liée à la disparition du capital immatériel ?
@ P2R
[C’est la raison même pour laquelle je conteste votre point selon lequel le pourcentage de personnes qui “excellent” dans un domaine donné reste équivalent à l’époque pré-néolibérale. Vous démontrez ici que l’excellence fait partie des principes pré-existants au capitalisme que ce dernier érode sans avoir les moyens de leur fournir une raison de se régénérer. L’excellence est donc sinon vouée à disparaitre, en tout cas à devenir un phénomène incongru. Pour revenir à la notion de déclin qui vous irrite tant, c’est là, de mon point de vue, qu’il se matérialise avant tout. Et c’est là, surtout, que je le vois comme pouvant franchir un point de non-retour, dès lors qu’il deviendra impossible de trouver une masse suffisante de professeurs dévoués et “excellant” dans leur art d’enseigner pour remonter la pente.]
Je vous accorde le point. Même si je pense que les valeurs « aristocratiques » restent relativement présentes dans la bourgeoisie et les classes intermédiaires supérieures, c’est là une présence résiduelle et avec le renouvellement des générations il est probable qu’elles s’éroderont fortement jusqu’à disparaître. On peut discuter sur le fait de savoir si la disparition est déjà sensible ou bien si ce n’est qu’une question de temps, mais le processus tel que vous le décrivez me paraît raisonnable.
[« La portée symbolique est, elle aussi, rattachée aux chiffres. Pourquoi croyez-vous que le débat sur les chiffres de la Shoah soit aussi chaud ? » Je ne suis pas d’accord. La portée de la Shoah a surtout trait au modus operandi d’une part, et d’autre part au fait que ce génocide concernait une population cible mondialisée et influente. Que 2, 6 ou 10 millions de juifs y soient morts ne change rien à l’impact.]
Mais alors, pourquoi à votre avis la contestation de ces chiffres provoque une telle polarisation ? Pourquoi certains tiennent tellement à prouver qu’il n’y a eu que 2 millions, et d’autres à défendre le chiffre de 6 millions, si selon vous cela ne change rien à l’impact de la chose ?
[Quand 75% des arméniens de l’Empire Ottoman sont zigouillés “à l’ancienne”, tout le monde s’en fiche. Pourquoi selon vous ?]
« Tout le monde » non. En Turquie ou en Arménie, les plaies sont toujours à vif. Il est clair qu’il y a un effet de distance, et que les génocides nous touchent d’autant plus qu’ils se déroulent chez nous. La Shoah a touché nos voisins, nos amis, ils ont changé notre environnement. Le génocide arménien n’a touché que très peu de monde en France.
[« Et cela même au prix d’un génocide. Si les Alliés avaient fait ce raisonnement, l’Allemagne n’existerait plus. » Si l’Allemagne avait fait la taille de Gaza…]
En proportion à la taille des lliés et à leur population, l’Allemagne était plus petite que Gaza…
[Je ne vois personne sérieusement s’émouvoir, y compris dans le monde arabe.. Et à fortiori avec l’attaque de l’Iran. Tout le monde semble ravi qu’Israel fasse “le sale boulot”, proteste vaguement devant les caméra, mais se satisfasse de la situation en coulisse.]
Certes. Mais en matière de guerres, il y a des conséquences politiques et sociales qui sont rarement visibles sur le court terme. L’engagement militaire des américains au Vietnam pouvait paraître relativement peu coûteux au début, il s’est avéré en fait très négatif pour les Etats-Unis. Israël arrivera peut-être à affaiblir très fortement le Hamas ou l’Iran. Mais pour cela, il a commis des crimes qui ont rendu caducs une bonne partie des principes sur lequel l’Etat d’Israël lui-même a été bâti. J’ai du mal à voir ce que cela pourrait avoir comme conséquence sur la société israélienne, mais comme me le dit un cousin éloigné établi en Israël, « il y a dans le monde de plus en plus de juifs qui veulent se faire enterrer en Israël, mais de moins en moins qui veulent y vivre ».
[« Je ne sais pas si ce sont là des métiers « smicardisés ». Je serais quand même très étonné qu’un technicien dans l’industrie aéronautique (Safran) touche le SMIC. Je connais des prothésistes ongulaires qui se font des paquets de fric… en fait, j’ai l’impression que le « déclassement » est moins salarial que statutaire. » En effet. Mais n’est-ce pas là l’essence du déclassement ? C’est à dire la perte d’une situation de rente liée à la disparition du capital immatériel ?]
Pour le cas de votre technicien aéronautique, il est clair que le « capital immatériel » est toujours là, même s’il est moins important que s’il avait fait des études d’ingénieur. On ne peut donc pas parler de « déclassement ». Pour le deuxième exemple, c’est un peu plus difficile à dire. Pour faire de l’argent comme prothésiste ongulaire, que faut-il comme « capital immatériel » ?
Quand je parlais de « déclassement statutaire », je parlais plutôt de prestige et de reconnaissance sociale. Pour le dire autrement, les fils des « classes intermédiaires » font des métiers moins reconnus socialement que leurs parents, mais toujours aussi bien rémunérés et reposant sur un « capital immatériel ».
[Je ne sais pas ce que vous appelez « notre civilisation ». Franchement, ce discours décliniste commence à m’énerver. La Chine a beau devenir une puissance, elle ne le devient qu’en adoptant les idées, les sciences, les techniques, les méthodes que nous avons inventées. Connaissez-vous un Einstein, un Freud, un Marx chinois ? Non ? Alors, où est notre « pente descendante » ?]
On peut parler de l’effondrement total de notre système scolaire et d’enseignement supérieur, ce qui se voit aujourd’hui très nettement tant au niveau de nos élites que du commun des mortels; la disparition de l’innovation et de la créativité en Europe; et de l’effondrement de multiples autres pans de nos sociétés, dont on pourrait débattre pendant des heures avec des arguments et des contre-arguments. Mais si vous voulez deux marqueurs objectifs irréfutables, les voici :
– la chute catastrophique de la natalité, le fait que l’on a 1 avortement pour 3 naissances, le fait qu’environ 1/3 des jeunes femmes annoncent ne pas vouloir d’enfant, etc. Cet effondrement démographique et la disparition du désir de transmettre, y compris de transmettre la vie, est un marqueur de sénilité civilisationnel irréversible.
– la disparition quasi-totale de la dimension spirituelle dans notre société. Je précise que je me suis définis comme religiophobe acharné presque toute ma vie, mais je dois admettre que sans support spirituel puissant, aucune civilisation ne peut rester vivante.
@ Frank
[« Alors, où est notre « pente descendante » ? » On peut parler de l’effondrement total de notre système scolaire et d’enseignement supérieur, ce qui se voit aujourd’hui très nettement tant au niveau de nos élites que du commun des mortels; (…)]
Je pense que c’est là une erreur d’analyse. Oui, notre système scolaire, du primaire à l’université, s’effondre. Mais il ne s’effondre pas uniformément. J’ai eu l’opportunité de faire des interventions à Polytechnique ou à CentraleSupélec, deux écoles d’ingénieurs du haut du panier, et je peux vous dire que « l’effondrement » n’est en rien visible. Au niveau des élites, le niveau ne chute pas. Le problème serait plutôt que ces élites sont de moins en moins nombreuses, qu’on a abandonné tu projet d’étendre le savoir et la culture à l’ensemble de la société.
[la disparition de l’innovation et de la créativité en Europe; (…)]
Mais est-ce là une question de « civilisation », ou plutôt une réorganisation de l’économie ? Nos classes dominantes ont choisi de sous-traiter « l’innovation et la créativité » à d’autres. C’est un fait. Mais ces « autres », en s’intégrant au système globalisé, deviennent une partie de notre « civilisation ». En fait, le problème est qu’avec la globalisation, on peut se demander s’il existe encore une « civilisation européenne ».
[et de l’effondrement de multiples autres pans de nos sociétés, dont on pourrait débattre pendant des heures avec des arguments et des contre-arguments. Mais si vous voulez deux marqueurs objectifs irréfutables, les voici :]
Rien dans ce bas monde n’est « irréfutable »… voyons les indicateurs :
[– la chute catastrophique de la natalité, le fait que l’on a 1 avortement pour 3 naissances, le fait qu’environ 1/3 des jeunes femmes annoncent ne pas vouloir d’enfant, etc. Cet effondrement démographique et la disparition du désir de transmettre, y compris de transmettre la vie, est un marqueur de sénilité civilisationnel irréversible.]
D’où tirez-vous cette idée ? La natalité diminue de façon continue depuis deux siècles, et est en fait corrélée au niveau de développement économique et sanitaire d’une société. Plus, ce niveau est élevé, et plus la natalité chute. Et c’est parfaitement logique : le « désir de transmettre » et autres discours du genre sont en fait l’idéologisation d’une structure économique : on a besoin d’enfants pour nous soutenir dans nos vieux jours et pour défendre le village. Et plus la productivité est élevée, plus la défense est assurée par des moyens technologiques, et moins nous avons besoin de jeunes. Vous noterez par ailleurs que la Chine, elle aussi, voit sa natalité chuter alors que sa croissance économique reste forte.
[– la disparition quasi-totale de la dimension spirituelle dans notre société. Je précise que je me suis définis comme religiophobe acharné presque toute ma vie, mais je dois admettre que sans support spirituel puissant, aucune civilisation ne peut rester vivante.]
Là encore, vous présentez comme « irréfutable » ce qui relève de votre sentiment personnel. Je ne sais pas ce que vous appelez « dimension spirituelle », mais notez que la spiritualité au sens chrétien du terme n’existait pas, par exemple, dans la civilisation grecque ou romaine, où les dieux faisaient leur vie indépendamment des hommes, et que le seul rapport que l’homme avait avec eux était de leur demander aide et protection – ou à minima, de ne pas leur envoyer des calamités. La spiritualité « morale » est une invention chrétienne. Et ce manque de « spiritualité » n’a pas empêché Rome ou Athènes d’être des grandes civilisations…
En matière de “civilisation”, il faut faire attention à ne pas se laisser prendre au mythe de l’âge d’or. Toutes les civilisations ont eu l’impression de “décliner”, et on peut relever à toute époque des discours du genre. Cela tient au fait que nous voyons le monde changer, et donc disparaître un monde qui nous était familier et auquel on est attachés. Cette disparition est un deuil, et le reste quand bien même ce qui le remplace serait meilleur. On peut regretter les belles voitures des années 1920 faites main et dont chacune était une œuvre d’art, mais le passage à la fabrication en série, qui en a fait un objet utilitaire, doit-il être regardé comme une forme de déchéance ? Je ne le pense pas
Bien entendu, je ne nie pas qu’il y ait des situations où décadence ou d’effondrement dont réels, et peut-être sommes nous dans une telle situation. Mais j’attire votre attention sur le fait qu’une telle conclusion nécessite une analyse approfondie, et qu’il est dangereux de se laisser emporter par ses sentiments, qui nous conduisent toujours à regretter ce qu’on a connu et qui nous est familier.
[Je pense que c’est là une erreur d’analyse. Oui, notre système scolaire, du primaire à l’université, s’effondre. Mais il ne s’effondre pas uniformément. J’ai eu l’opportunité de faire des interventions à Polytechnique ou à CentraleSupélec, deux écoles d’ingénieurs du haut du panier, et je peux vous dire que « l’effondrement » n’est en rien visible. Au niveau des élites, le niveau ne chute pas.]
C’est totalement faux. Mes informations ne viennent pas d’un sentiment que je pourrais avoir après avoir donné quelques séminaires devant une audience, mais de l’intérieur et de collaborations directes sur plusieurs années. Il y a bien une baisse généralisée et depuis quelques années elle se sent aussi au plus haut niveau (y compris à l’ÉNS Ulm), c’est extrêmement net. (Je parle de ce que je connais : les maths et la physique, mais je ne vois pas pourquoi ce serait différent ailleurs). La baisse concerne tout autant les connaissances, la capacité à raisonner et, de manière considérable, les capacités de travail et la volonté de travailler très dur.
Les raisons sont connues : le vivier pour faire monter les gens exceptionnels s’est énormément rétréci. Les gens comme moi, venant d’une classe sociale très inférieure et ayant fait des études primaires et secondaires dans de petits établissements de province, ne sont quasiment plus représentés. Pour citer un physicien, examinateur de l’X pendant de nombreuses années : «avant, chaque année, on avait 25 ou 30 étudiants vraiment exceptionnels au concours, des gens qui savaient répondre parfaitement à tout; aujourd’hui, on n’en n’a plus que 5 ou 6.»
Il reste donc, oui, une pointe de gens vraiment excellents. Grâce principalement à l’existence de grands lycées dans le 5ème ou à Versailles. Et noter bien que les fondations sur lesquelles ces grands lycées fonctionnaient ont été minées récemment par notre grand ami Macron. Ils ne peuvent plus fonctionner sur de purs critères de mérite. Leur chute a commencé et elle sera irréversible si un virage à 180 degrés n’est pas rapidement pris au sein de l’ÉN. C’est une question de (peu) de temps. La haine absolue de l’excellence et du mérite est telle dans le microcosme qui décide que j’ai perdu espoir, même pour ces endroits-là.
Une dernière remarque : les quelques personnes encore vraiment excellentes que notre système produit ne se tournent presque plus vers la transmission (enseignement) ou la recherche. C’est aussi un autre gros problème pour l’avenir.
[D’où tirez-vous cette idée ? La natalité diminue de façon continue depuis deux siècles, et est en fait corrélée au niveau de développement économique et sanitaire d’une société.]
Je ne parle pas d’une diminution de la natalité qui permettrait le renouvellement des générations. Je parle d’un effondrement irréversible et catastrophique qui fait que nous n’existerons tout simplement plus si nous continuons dans cette voie. Pensez-vous que notre civilisation peut perdurer de cette manière ?
[ le « désir de transmettre » et autres discours du genre sont en fait l’idéologisation d’une structure économique : on a besoin d’enfants pour nous soutenir dans nos vieux jours et pour défendre le village. Et plus la productivité est élevée, plus la défense est assurée par des moyens technologiques, et moins nous avons besoin de jeunes.]
Cet argument est important, évidemment, et joue un rôle. Mais je pense que vous avez une génération de retard.
La baisse de natalité, accompagnée d’un très net non-désir d’enfant chez les jeunes femmes, que l’on vit aujourd’hui en France a à mon avis d’autres bases beaucoup plus graves et profondes (perte totale de confiance en l’avenir, croyance que faire des enfants est fondamentalement «mal», pour plusieurs raisons, individualisme et égocentrisme forcenés, etc.). Tout ceci n’a rien à voir avec le fait que l’on n’a pas besoin de nos enfants dans la vieillesse ou de questions de confort. Les raisons de la baisse de la natalité en Chine (ou au Japon, ou en Corée) sont quant à elles différentes de celles qui nous touchent, l’écosystème là-bas est totalement différent, le seul point commun me semble la disparition de la dimension spirituelle dans la vie des gens.
[Là encore, vous présentez comme « irréfutable » ce qui relève de votre sentiment personnel. Je ne sais pas ce que vous appelez « dimension spirituelle »]
Il me semble que c’est Malraux qui disait que
«Il n’a jamais existé de grande civilisation qui ne soit adossée à une religion »
ou que
«Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.»
À titre personnel, pendant très longtemps dans ma vie, j’ai trouvé ces idées absurdes, en raison de ma religiophobie primaire. J’ai beaucoup évolué là-dessus ces dix dernières années, en lisant et en observant. C’est une idée dérangeante, quand on est cartésien, mais incontournable.
[La spiritualité « morale » est une invention chrétienne. Et ce manque de « spiritualité » n’a pas empêché Rome ou Athènes d’être des grandes civilisations…]
Je ne parlais pas nécessairement de la spiritualité morale au sens chrétien du terme, mais du fait qu’une certaine idée de sacré, de transcendant, puisse permettre de dépasser le statut ordinaire de l’homme et donner du sens. Il me semble qu’il existe plusieurs points communs à toutes les grandes civilisations : la présence du sacré, le développement d’une architecture et d’un art du sacré, les principes mythiques fondateurs, etc. Tout cela a totalement disparu chez nous. Revoyez la cérémonie d’ouverture des JO pour bien comprendre où nous en sommes exactement.
[Mais j’attire votre attention sur le fait qu’une telle conclusion nécessite une analyse approfondie, et qu’il est dangereux de se laisser emporter par ses sentiments, qui nous conduisent toujours à regretter ce qu’on a connu et qui nous est familier.]
Je suis tout à fait d’accord avec ça, à 100%. C’est pourquoi j’ai tenté de mettre en avant deux indicateurs qui sont, peut-être, plus objectifs que la myriade d’autres que l’on pourrait relever.
Ceci dit, j’aimerais garder, comme vous le faites, plus d’espoir. J’ai essayé de garder cet espoir toute ma vie, mais des expériences personnelles très douloureuses pendant la crise du Covid m’ont, je crois, enlevé l’idée qu’on pourrait s’en sortir et même, pour tout vous dire, qu’il y a encore réellement quelque chose à sauver. C’est un peu un retournement de l’argument que vous donniez sur l’impossibilité de vraiment juger l’état d’une civilisation de l’intérieur, et qu’en particulier on peut se laisser emporter par ses sentiments; on peut aussi avoir l’impression qu’il faut se battre et sauver des choses que l’on a connu mais qui, en fait, sont déjà totalement mortes.
Je m’excuse pour cette note pessimiste. Comprenez moi. Je viens de lire les nouvelles plaquettes de présentation des études scientifiques dans des universités belges. L’un des points fondamentaux mis en avant est «l’apprentissage de la solidarité et du respect des opinions et de la culture d’autrui.» Vous vous rendez compte : l’objectif des études scientifique est dorénavant l’apprendre à respecter les «opinions» ! Le renversement par rapport à ce qu’on m’avait appris, dans le temps, est absolument total.
@ Frank
[C’est totalement faux. Mes informations ne viennent pas d’un sentiment que je pourrais avoir après avoir donné quelques séminaires devant une audience, mais de l’intérieur et de collaborations directes sur plusieurs années.]
Les miennes non plus. Je n’ai donné cet exemple qu’à titre d’illustration. J’ai eu l’opportunité de recruter et de faire travailler depuis des années des ingénieurs issus de ces formations. En mathématiques ou en physique, il y a certainement des différences avec notre époque – par exemple ils sont mieux formés en matière d’analyse numérique, et moins bien en topologie – mais je ne remarque pas la baisse de niveau flagrante que vous évoquez.
[La baisse concerne tout autant les connaissances, la capacité à raisonner et, de manière considérable, les capacités de travail et la volonté de travailler très dur.]
Sur ce dernier point, par contre, ma perception rejoint en partie la vôtre. Même les gens issus de formations d’élite arrivent « fatigués ». Il y a quarante ans, quand un ingénieur prenait son premier poste il voulait « bouffer le monde » sur le plan professionnel. Aujourd’hui, on dirait qu’ils arrivent en pensant aux vacances et à la retraite. Par ailleurs, ils supportent très mal la frustration et du coup ils sont peu tenaces quand l’affaire devient difficile.
[Les raisons sont connues : le vivier pour faire monter les gens exceptionnels s’est énormément rétréci. Les gens comme moi, venant d’une classe sociale très inférieure et ayant fait des études primaires et secondaires dans de petits établissements de province, ne sont quasiment plus représentés. Pour citer un physicien, examinateur de l’X pendant de nombreuses années : « avant, chaque année, on avait 25 ou 30 étudiants vraiment exceptionnels au concours, des gens qui savaient répondre parfaitement à tout ; aujourd’hui, on n’en n’a plus que 5 ou 6. »]
C’est un peu mon analyse : le niveau des meilleurs reste à peu près équivalent à celui des générations précédentes, mais la pyramide s’est complètement écrasée, et le niveau de l’excellence ne se retrouve que dans un groupe de plus en plus petit.
[Il reste donc, oui, une pointe de gens vraiment excellents. Grâce principalement à l’existence de grands lycées dans le 5ème ou à Versailles. Et noter bien que les fondations sur lesquelles ces grands lycées fonctionnaient ont été minées récemment par notre grand ami Macron. Ils ne peuvent plus fonctionner sur de purs critères de mérite. Leur chute a commencé et elle sera irréversible si un virage à 180 degrés n’est pas rapidement pris au sein de l’ÉN. C’est une question de (peu) de temps. La haine absolue de l’excellence et du mérite est telle dans le microcosme qui décide que j’ai perdu espoir, même pour ces endroits-là.]
Ce qui pose à mon avis la question fondamentale – désolé, mais les réflexes marxiens ont la vie dure. Et la question est « qui bono » ? A qui profite le crime – ou du moins, pourquoi les classes dominantes en arrivent à estimer que le prix à payer pour sauver ce dispositif ne vaut pas d’être payé ? Ce comportement peut être compris chez les bourgeois, qui tirent leur position sociale de leur capital. Mais pour les classes intermédiaires, qui tirent leur position et leur légitimité du capital immatériel dans lequel les connaissances, les compétences, la capacité de travail jouent un rôle essentiel, ce processus annonce la fin des haricots. Comment donc expliquer ce qui s’apparente à une forme de suicide ?
[Une dernière remarque : les quelques personnes encore vraiment excellentes que notre système produit ne se tournent presque plus vers la transmission (enseignement) ou la recherche. C’est aussi un autre gros problème pour l’avenir.]
Tout à fait d’accord. Et c’est un très gros problème, parce que les étudiants d’aujourd’hui seront les enseignants de demain, et qu’une fois la chaîne de transmission rompue il est long et coûteux de la reconstituer. Mais le problème qui se pose dans l’enseignement est le symptôme d’un problème global : nous vivons dans une société qui dévalorise en permanence la transmission, parce qu’elle a besoin d’individus-consommateurs détachés de l’histoire.
[« D’où tirez-vous cette idée ? La natalité diminue de façon continue depuis deux siècles, et est en fait corrélée au niveau de développement économique et sanitaire d’une société. » Je ne parle pas d’une diminution de la natalité qui permettrait le renouvellement des générations. Je parle d’un effondrement irréversible et catastrophique qui fait que nous n’existerons tout simplement plus si nous continuons dans cette voie. Pensez-vous que notre civilisation peut perdurer de cette manière ?]
Je ne pense pas qu’on en soit à un « effondrement catastrophique ». Si l’on regarde le très long terme, la problématique de pression sur les ressources implique une réduction lente de la population humaine au niveau global. Je ne pense pas qu’il y ait une « catastrophe » si dans un siècle on revient à 8 milliards d’humains à la place des 11 que nous sommes actuellement.
[La baisse de natalité, accompagnée d’un très net non-désir d’enfant chez les jeunes femmes, que l’on vit aujourd’hui en France a à mon avis d’autres bases beaucoup plus graves et profondes (perte totale de confiance en l’avenir, croyance que faire des enfants est fondamentalement « mal », pour plusieurs raisons, individualisme et égocentrisme forcenés, etc.).]
Je suis d’accord avec ce point. Le problème n’est pas la baisse de la natalité, mais les RAISONS pour lesquelles la natalité baisse. Une chose est de passer à une moyenne de 1,5 enfants par femme parce que pour des raisons économiques moins de parents veulent avoir deux ou plus, et une autre d’arriver au même chiffre parce que beaucoup de femmes ne veulent plus du tout avoir d’enfants, parce que l’enfant est vécu comme une gêne. Nous revenons je pense ici au problème que j’ai évoqué plus haut, celui d’un capitalisme qui nécessite des individus-consommateurs détachés de l’histoire. Cela implique non seulement pas de liens avec le passé, mais aussi pas de projection sur l’avenir.
[« Là encore, vous présentez comme « irréfutable » ce qui relève de votre sentiment personnel. Je ne sais pas ce que vous appelez « dimension spirituelle » » Il me semble que c’est Malraux qui disait que
«Il n’a jamais existé de grande civilisation qui ne soit adossée à une religion » ou que «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.»]
Je ne connaissais pas la première citation, et la seconde a toutes les chances d’être apocryphe. Mais à supposer qu’elles soient toutes deux authentiques, il faut noter que Marlaux n’était ni un historien, ni un sociologue, mais un romancier… et là encore, se pose la question du vocabulaire. Qu’est ce qu’on appelle une « religion » ? Une forme de transcendance suffit à la caractériser, ou faut-il autre chose ? Le communisme ou le positivisme sont-elles des « religions » ?
Je vous accorde qu’il est difficile d’imaginer une grande civilisation qui ne soit pas organisé par une forme de transcendance, simplement parce qu’on voit mal quelqu’un risquer sa vie s’il ne croit pas en quelque chose qui le dépasse, et qui restera présent lorsqu’il ne sera plus. Et cette croyance ne peut être purement individuelle, elle nécessite un support institutionnel, social. Est-ce cela que vous appelez « religion » ?
[À titre personnel, pendant très longtemps dans ma vie, j’ai trouvé ces idées absurdes, en raison de ma religiophobie primaire. J’ai beaucoup évolué là-dessus ces dix dernières années, en lisant et en observant. C’est une idée dérangeante, quand on est cartésien, mais incontournable.]
J’avoue que, tout en étant issu de plusieurs générations de laïcards, je n’ai jamais été vraiment religiophobe. Le phénomène de croyance m’a toujours fasciné, peut-être parce que je suis arrivé à l’âge de réflexion quand mon père et mes oncles, tous staliniens de stricte obédience pendant leur jeunesse, ont perdu la foi. Or, pour utiliser la formule de François George, « ces gens là avaient cru à quelque chose de grand, et cette croyance les grandissait ». Voir ces gens rapetisser à mesure qu’ils cessaient de croire m’a peut-être sensibilité à la fonction sociale de la croyance…
[Je ne parlais pas nécessairement de la spiritualité morale au sens chrétien du terme, mais du fait qu’une certaine idée de sacré, de transcendant, puisse permettre de dépasser le statut ordinaire de l’homme et donner du sens. Il me semble qu’il existe plusieurs points communs à toutes les grandes civilisations : la présence du sacré, le développement d’une architecture et d’un art du sacré, les principes mythiques fondateurs, etc. Tout cela a totalement disparu chez nous. Revoyez la cérémonie d’ouverture des JO pour bien comprendre où nous en sommes exactement.]
Sur ce point, je suis en partie d’accord avec vous. Je partage votre diagnostic sur l’importance du sacré et du transcendent, et il est incontestable que nous vivons dans une société ou le sens du sacré est remis en cause. Il suffit d’entendre les litanies de nos intellectuels sur le besoin de « désacraliser » – on son synonyme, « dépoussiérer » – telle ou telle institution, tel ou tel pan de la culture. Mais à mon avis, il est du sacré comme du savoir ou de la culture : il n’est pas remis en cause partout. Il y a une élite dominante qui garde jalousement ce sacré pour elle. Cette élite continue à cultiver traditions et rituels, se marie à l’église, et construit ses mythes fondateurs. Le problème est que ce séparatisme social laisse une majorité de la population orpheline.
[Ceci dit, j’aimerais garder, comme vous le faites, plus d’espoir. J’ai essayé de garder cet espoir toute ma vie, mais des expériences personnelles très douloureuses pendant la crise du Covid m’ont, je crois, enlevé l’idée qu’on pourrait s’en sortir et même, pour tout vous dire, qu’il y a encore réellement quelque chose à sauver. C’est un peu un retournement de l’argument que vous donniez sur l’impossibilité de vraiment juger l’état d’une civilisation de l’intérieur, et qu’en particulier on peut se laisser emporter par ses sentiments; on peut aussi avoir l’impression qu’il faut se battre et sauver des choses que l’on a connu mais qui, en fait, sont déjà totalement mortes.]
Tout à fait. Mais comme on ne peut pas le savoir, il est toujours bon de se battre au cas où elles seraient vivantes. Et d’une certaine façon, ce combat les garde en vie. C’est le fondement de « l’optimisme méthodologique » dont j’ai fait mon guide dans la vie. Peut-être que le combat est inutile, mais si c’est le cas, je ne le saurai jamais. Et mon optimisme ne risque donc pas d’être démenti. Pourquoi alors y renoncer ?
[Vous vous rendez compte : l’objectif des études scientifique est dorénavant l’apprendre à respecter les « opinions » ! Le renversement par rapport à ce qu’on m’avait appris, dans le temps, est absolument total.]
Comme disait le regretté Pierre Dac, « quand on entend ce qu’on entend, et qu’on voit ce qu’on voit, on se dit qu’on a raison de penser ce qu’on pense ». Moi, aussi, quand je lis ce genre de document, cela me donne envie de me taper la tête contre les murs. Le plus terrible est qu’une bonne partie de ceux qui commandent ces plaquettes n’y croient pas plus que vous et moi, mais cela fait partie des choses qu’il faut dire pour contenter les dragons de vertu qui veillent…
Mais d’une manière générale, le système éducatif est chaque fois moins vu comme un lieu de transmission de connaissances, et de plus en plus comme un lieu de formatage. L’idée n’est plus de former des citoyens capables de penser par eux-mêmes (au risque d’arriver aux « mauvaises » conclusions), mais de former des citoyens « respecteux des différences », « tolérants », « non-sexistes », « non racistes »… Si l’on veut être méchant, on pourrait dire que notre société ne fait plus confiance à l’intelligence des gens.
[Mais pour les classes intermédiaires, qui tirent leur position et leur légitimité du capital immatériel dans lequel les connaissances, les compétences, la capacité de travail jouent un rôle essentiel, ce processus annonce la fin des haricots. Comment donc expliquer ce qui s’apparente à une forme de suicide ?]
On pourrait y voir un autre signe de l’effondrement, ou du suicide, civilisationnel. Mon avis personnel est que la classe intermédiaire a tout simplement oublié l’importance de ce capital immatériel, ils ne voient pas, n’analysent pas la situation rationnellement. En tout cas, c’est comme ça dans mon entourage. D’ailleurs, la plupart des professeurs de collège et de lycée ont eux-mêmes accompagné l’effondrement avec enthousiasme !
[Je ne pense pas qu’il y ait une « catastrophe » si dans un siècle on revient à 8 milliards d’humains à la place des 11 que nous sommes actuellement.]
Je suis tout à fait d’accord, mais avec les tendances actuelles ce n’est pas ce qui arrivera (enfin, il restera peut-être 8 milliards d’être humain, mais l’Occident aura disparu). Il faudrait comprendre comment inverser, in fine, les courbes. Il y a des théories qui disent que si on passe sous 1.5 ou 1.4, c’est irréversible.
[Le problème n’est pas la baisse de la natalité, mais les RAISONS pour lesquelles la natalité baisse.]
En effet, c’est ce que je voulais dire. Les raisons sont le vrai enjeu et la vraie source d’inquiétude. Il est difficile de voir comment combattre le phénomène.
[Je vous accorde qu’il est difficile d’imaginer une grande civilisation qui ne soit pas organisé par une forme de transcendance, simplement parce qu’on voit mal quelqu’un risquer sa vie s’il ne croit pas en quelque chose qui le dépasse, et qui restera présent lorsqu’il ne sera plus. Et cette croyance ne peut être purement individuelle, elle nécessite un support institutionnel, social. Est-ce cela que vous appelez « religion » ?]
Oui, c’est pour moi le rôle essentiel de la «religion» au sens très large du terme.
[Or, pour utiliser la formule de François George, « ces gens là avaient cru à quelque chose de grand, et cette croyance les grandissait ». Voir ces gens rapetisser à mesure qu’ils cessaient de croire m’a peut-être sensibilité à la fonction sociale de la croyance…]
Jolie citation et excellente remarque, qui illustre parfaitement une facette de ce à quoi je voulais faire allusion
(le rôle de la «religion»).
[Peut-être que le combat est inutile, mais si c’est le cas, je ne le saurai jamais. Et mon optimisme ne risque donc pas d’être démenti. Pourquoi alors y renoncer ?]
Oui, j’ai essayé pendant longtemps de penser comme vous. J’essaie encore mais c’est de plus en plus difficile.
[Si l’on veut être méchant, on pourrait dire que notre société ne fait plus confiance à l’intelligence des gens.]
Absolument. C’est même peut-être pire : on a «oublié» ce que le mot intelligent veut dire…
Pour conclure ce nouvel échange : surtout n’arrêtez pas le blog; et peut-être serait-il temps de songer à agir plus largement…
@ Frank
[On pourrait y voir un autre signe de l’effondrement, ou du suicide, civilisationnel. Mon avis personnel est que la classe intermédiaire a tout simplement oublié l’importance de ce capital immatériel, ils ne voient pas, n’analysent pas la situation rationnellement. En tout cas, c’est comme ça dans mon entourage. D’ailleurs, la plupart des professeurs de collège et de lycée ont eux-mêmes accompagné l’effondrement avec enthousiasme !]
Il y a une contradiction intéressante dans cette affaire : pour protéger la valeur de leur « capital immatériel » en dissuadant d’éventuels concurrents de l’acquérir, les classes intermédiaires ont fabriqué une idéologie qui dévalorise la transmission, le savoir, l’effort, le mérite, c’est-à-dire, les éléments qui lui ont permis de se constituer, et sur lesquels repose sa propre reproduction. Et cette contradiction est plus ou moins bien gérée. Si je prends le milieu des ingénieurs, que je connais bien, le niveau de conscience sur ces questions est très fort : c’est un milieu plutôt conservateur, qui valorise la transmission et le mérite scolaire. Les parents suivent les études de leurs enfants, sont soucieux de les voir suivre les meilleures formations, et se méfient des discours anti-méritocratiques quand ils ne les rejettent frontalement. Mais si on prend le milieu enseignant, on trouve souvent la situation inverse…
[Pour conclure ce nouvel échange : surtout n’arrêtez pas le blog; et peut-être serait-il temps de songer à agir plus largement…]
Peut-être… mais comment ? J’ai un boulot, des obligations… et puis le militantisme de base, celui qui fait les marchés et colle des affiches, j’ai déjà donné et j’estime avoir fait ma part. J’ai essayé de proposer mes services à différentes personnalités politiques croisées au hasard. Le problème est que les questions de fond ne les intéressent pas, et que je n’ai pas trop envie de perdre mon temps à fabriquer des éléments de langage. Je participe à quelques groupes de réflexion, j’agis dans ma profession, dans la petite parcelle de pouvoir et d’influence dont je dispose. Mais quoi faire d’autre ? C’est un peu tard pour commencer une carrière politique, à supposer que j’aie ce qu’il faut pour ça…
Je vous conseille de garder votre energie. Gaza et plus generalement palestine/israel c est un conflit qui va durer une eternite car aucun des 2 parties n est prete pour la paix
Cote israelien : les electeurs ont elu et reelu Netanyaou et il n y a pas de mouvement politique pret a des concessions significatives, au contraire une partie importante de la population voit comme solution au “probleme palestinien” quelque chose de similaire a ce que les nazis imaginaient pour les juifs (pour info les nazis au debut ne voulaient pas forcement massacrer les juifs, ils pensaient par ex les deporter a madagascar . On est plus tres loin des plans de certains en Israel)
Cote palestinien : l OLP est completement corrompue et discredite. Le Hamas est un parti islamiste qui vise l elimination d Israel mais c est aussi le parti qui represente la majorite de la population (ils avaient gagne les elections a Gaza). C est evidement subjectif car le Hamas n a jamais remit son titre en jeu mais si on regarde les images de liesse apres l attaque en octobre on peut imaginer que le soutient est toujours la. C est probablement la raison pour laquelle aucun pays ne veut accueillir des gazaouis actuellement. Meme les pays arabes dont la population est pro palestinienne ne veulent importer des islamistes
Tant que les 2 parties ont envie d en decoudre et pensent qu elles vont gagner au final, il n y a rien a faire. Nous pouvons plus utilement utiliser nos moyens sur des conflits ou la situation n est pas bloquee ou qui sont plus proche de chez nous
@ cdg
[Je vous conseille de garder votre énergie. Gaza et plus généralement Palestine/Israël c’est un conflit qui va durer une éternité car aucune des 2 parties n’est prête pour la paix.]
Je ne peux que vous donner raison. Côté Israël, il y a deux énormes obstacles. D’une part, Israël est en position de force et ne voit aucune raison pour faire les sacrifices territoriaux indispensables pour avoir la paix. Et d’autre part, Israël a besoin d’un ennemi extérieur pour contrer les tendances centrifuges de la société israélienne elle-même. Sans une « menace vitale » réelle ou fantasmée à ses portes, les Israéliens se massacreraient entre eux. Coté Palestinien, trop de sang a coulé, trop de sacrifices ont été faits pour pouvoir aujourd’hui renoncer à toute revendication nationale.
[Tant que les 2 parties ont envie d’en découdre et pensent qu’elles vont gagner au final, il n y a rien à faire.]
Pardon, mais il y aurait quelque chose à faire : imposer de l’extérieur un arrangement viable par la force, qu’elle soit militaire ou économique. On l’a bien fait au Kossovo, on l’a fait en Irak. Pourquoi pas en Palestine ?
[On l’a bien fait au Kossovo, on l’a fait en Irak. Pourquoi pas en Palestine ?]
Mais enfin n’est-ce pas évident ? Parce que les Américains n’y ont aucun intérêt, ou n’y voit aucun intérêt, en tout cas pour le moment.
@ Frank
[Mais enfin n’est-ce pas évident ? Parce que les Américains n’y ont aucun intérêt, ou n’y voit aucun intérêt, en tout cas pour le moment.]
Bien entendu. Mais mon commentaire visait à répondre à l’objection “on ne peut rien faire”. Bien sur que “on” peut faire quelque chose, surtout quand ce “on” est Américain. Le problème n’est pas que “on” ne PEUT rien faire, mais que “on” ne VEUT rien faire…
Bonjour,
Si l’on reprend la définition du “génocide” proposée à l’article 2 du « traité pour la prévention du crime de génocide » de 1949, j’ai l’impression (et sans volonté polémique, l’utilisation du mot génocide pour qualifier ce que fait Netanyahu ne me dérangeant pas), que l’on pourrait parler du 7 octobre dans les mêmes termes, non? Diriez vous que, à suivre cette définition, que le Hamas a perpétré quelque chose qui pourrait s’apparenter à un génocide?
Bien Cordialement
« l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
@ FG
[Si l’on reprend la définition du “génocide” proposée à l’article 2 du « traité pour la prévention du crime de génocide » de 1949, j’ai l’impression (et sans volonté polémique, l’utilisation du mot génocide pour qualifier ce que fait Netanyahu ne me dérangeant pas), que l’on pourrait parler du 7 octobre dans les mêmes termes, non? Diriez vous que, à suivre cette définition, que le Hamas a perpétré quelque chose qui pourrait s’apparenter à un génocide?]
Non, parce que je n’ai aucun élément pour affirmer que le massacre du 7 octobre résulterait d’une « intention » de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Y a-t-il par exemple des éléments qui permettent d’affirmer que le Hamas, avant de tirer sur les participants au festival, a cherché à faire une distinction entre juifs et non juifs, entre israéliens et non israéliens ? Non, ils ont tiré dans le tas. L’objectif du massacre était de frapper de stupeur l’opinion israélienne, de montrer que le Hamas avait la capacité de frapper sur le territoire israélien, et accessoirement de prendre des otages pour pouvoir les négocier ensuite. Le fait que l’acte soit le résultat d’une INTENTION de « de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » manque.
J’insiste sur ce point : le crime de « génocide » repose essentiellement sur un élément subjectif, qui est l’intention qui guide l’acte.
“Pardon, mais il y aurait quelque chose à faire : imposer de l’extérieur un arrangement viable par la force, qu’elle soit militaire ou économique. On l’a bien fait au Kossovo, on l’a fait en Irak. Pourquoi pas en Palestine ?”
Pardon, mais pourquoi, en tant que Français, devrions-nous faire quelques chose exactement ??
Les USA ont imposé des “arrangements” au Kosovo et en Irak, car ils avaient un intérêt géopolitique à le faire, quel intérêt avons-nous à défendre dans le cadre de la résolution du conflit israélo-palestinien ??
Je vais très claire, cela fait 75 que les hébreux et les philistins nous cassent les roudoudous avec leur obsession de remake des trompettes de Jéricho dans lequel certains de nos concitoyens devraient en plus prendre parti, du fait d’un devoir de solidarité religieux tordu et ainsi augmenter les tensions au sein de notre peuple.
Donc à part si nous avons des intérêts concrets à nous impliquer dans ce conflit, laissons-les à leurs emmerdes et qu’elles ne viennent pas nous contaminer.
@ Lingons
[Donc à part si nous avons des intérêts concrets à nous impliquer dans ce conflit, laissons-les à leurs emmerdes et qu’elles ne viennent pas nous contaminer.]
Vous posez là une question fondamentale, qui est au cœur de l’affrontement entre la « grande France » et la « petite France », avec de votre côté un net penchant pour cette dernière. La question ici est celle de savoir s’il faut se mêler des affaires du monde, aspirer à être un acteur global – avec le coût que cela implique – ou bien s’il faut se concentrer strictement sur nos « intérêts concrets » et se désintéresser du reste.
Personnellement, je suis convaincu que si la grandeur a un coût, à long terme elle a un retour sur investissement infiniment plus important. Être un acteur global, s’intéresser et intervenir sur la marche du monde, cela permet de forger des alliances, de peser sur des tendances, d’acquérir une expérience qui, même si elle paraît inutile en termes « d’intérêts concrets » sur le moment, permet d’anticiper des évolutions ou de faire face aux crises quand elles se présentent. Se retirer dans sa forteresse et laisser le monde se débrouiller sans nous, c’est une manière de perdre le contact avec ce qui change ailleurs et renoncer à peser dessus. A terme, c’est devenir un « musée d’antiquailles » pour reprendre la formule de Bloch.
[ Être un acteur global, s’intéresser et intervenir sur la marche du monde, cela permet de forger des alliances, de peser sur des tendances, d’acquérir une expérience qui, même si elle paraît inutile en termes « d’intérêts concrets » sur le moment, permet d’anticiper des évolutions ou de faire face aux crises quand elles se présentent.]
Est ce que la diplomatie féministe entre dans le domaine “de la marche du monde, permettant de forger des alliances, de peser sur des tendances, d’acquérir une expérience qui, même si elle paraît inutile en termes « d’intérêts concrets » sur le moment, permet d’anticiper des évolutions ou de faire face aux crises quand elles se présentent” ?
Parce-que à mes yeux, je ne vois pas où est l’intérêt de la France.
@ Glarrious
[Est ce que la diplomatie féministe entre dans le domaine “de la marche du monde, permettant de forger des alliances, de peser sur des tendances, d’acquérir une expérience qui, même si elle paraît inutile en termes « d’intérêts concrets » sur le moment, permet d’anticiper des évolutions ou de faire face aux crises quand elles se présentent” ?]
Certainement pas. C’est le genre de campagne « politiquement correcte » qui fait plaisir aux lobbies chez nous, mais qui au contraire nous isole à l’international. D’une manière générale, il faut être très prudent lorsqu’on va expliquer aux autres comment ils doivent vivre.
“Vous posez là une question fondamentale, qui est au cœur de l’affrontement entre la « grande France » et la « petite France », avec de votre côté un net penchant pour cette dernière”
Vous présupposez extrêmement mal de mon penchant entre “petite et grande France”, je suis au contraire tout à fait disposé à ce que la France se mêle des affaires du monde au quatre coins de la planète, et en utilisant au besoin tous les moyens de coexistions nécessaires, mais uniquement dans l’objectif pragmatique de défendre les intérêts nationaux, à court à long terme.
Par exemple, La France ne s’est pas investie dans la guerre de 30 ans par délire d’une “grandeur” abstraite, mais bien car nous avions tous intérêts à défendre les princes protestants pour affaiblir nos ennemies vitaux qu’étaient les Habsbourg.
À l’inverse, lorsque la France part dans votre délire de grandeur abstraite, se donnant comme rôle autoproclamé d’être arbitre de tout et de rien, on se retrouve dans les guerres de succession d’Autriche qui furent une catastrophe pour nous au niveau géopolitique.
Donc, je veux bien que nous intervenions dans ce conflit en Judée, allons même dézinguer de l’Hébreu ou du Philistin au besoin, mais uniquement si vous êtes capable de me présenter des avantages concrets, à quelque niveau que ce soit (diplomatique, économique, géopolitique, militaire…), que nous pouvons retirer d’un tel investissement.
Paradoxalement, c’est plutôt vous qui êtes dans la logique de “petite France” avec cette vision de Français moyen dans son canapé le samedi après midi, après avoir passé la tondeuse, qui s’imagine une espèce de fonction d’arbitre planétaire sur un conflit car “vue à la télé”, dans un délire messianique occidentale à bout de souffle.
On se bat pour des intérêts, pas pour des idéologies ou des considérations morales.
Car pour reprendre MonGénéral, que vous aimez citer à tout bout de champ, “Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités”
@ Lingons
[Vous présupposez extrêmement mal de mon penchant entre “petite et grande France”, je suis au contraire tout à fait disposé à ce que la France se mêle des affaires du monde au quatre coins de la planète, et en utilisant au besoin tous les moyens de coexistions nécessaires, mais uniquement dans l’objectif pragmatique de défendre les intérêts nationaux, à court à long terme.]
Mais il est difficile de déterminer à l’avance « le long terme ». Des positions qui seront stratégiques demain peuvent apparaître secondaires aujourd’hui… prenez par exemple la Palestine. Imaginez que la France arrivait à trouver une solution au conflit. Notre statut diplomatique, notre autorité au niveau international en sortirait très renforcé. Et ce renforcement, nous permettrait certainement de mieux défendre nos intérêts…
Il est tout à fait possible de déterminer les intérêts à long d’un engagement, pour peu qu’on ait une vision politique suffisante. Pour reprendre mon exemple de la guerre de 30 ans, la France avait à court terme pour interet de conquérir de nouveaux territoires, essentiellement en actuelle Franche comté, et à long terme celui de fragiliser l’emprise des Habsbourg sur le Saint empire et donc redéfinir les équilibres de puissance en Europe.
Vous confirmez donc que vous êtes incapable de nous fournir un exemple a court comme à long terme d’intérêts concret que nous aurions à nous impliquer dans ce conflit…
À part des affirmations vagues “Ouiii si on fait ça, alors peut-être que ça nous aidera dans le futur, mais je ne sais pas quand où et comment”.
Avec des “si” on met Paris en bouteille, mais on ne fait pas de la géopolitique…
@ Lingons
[Il est tout à fait possible de déterminer les intérêts à long d’un engagement, pour peu qu’on ait une vision politique suffisante. Pour reprendre mon exemple de la guerre de 30 ans, la France avait à court terme pour intérêt de conquérir de nouveaux territoires, essentiellement en actuelle Franche comté, et à long terme celui de fragiliser l’emprise des Habsbourg sur le Saint empire et donc redéfinir les équilibres de puissance en Europe.]
Votre exemple n’illustre pas votre affirmation. Lorsque la France s’engage dans la guerre de 30 ans, c’est essentiellement pour des intérêts de court terme. Et dans ce cas, il est facile de voir ce qui est ou non intéressant. Par contre, on a dans certains cas intérêt à s’impliquer dans certains conflits non parce que cela nous procure un gain immédiat, mais parce que cela renforce des liens avec des pays qui pourront être nos alliés dans d’autres conflits ou notre pouvoir d’influence dans certaines régions. Pensez par exemple à la guerre de Crimée, qui a permis à la France de redevenir une puissance européenne…
[Avec des “si” on met Paris en bouteille, mais on ne fait pas de la géopolitique…]
Vous vous trompez, c’est avec des “si” qu’on fait de la géopolitique, justement…
“Lorsque la France s’engage dans la guerre de 30 ans, c’est essentiellement pour des intérêts de court terme.”
Absolument pas, renseignez-vous sur le sujet avant de sortir de telles affirmations, la France s’engage dans ce conflit avec pour objectif principal de réduire la puissance des Habsbourg et particulièrement de la branche espagnole avec qui elle est en conflit depuis 1 siècle, c’est du court terme ça ?
“Par contre, on a dans certains cas intérêt à s’impliquer dans certains conflits non parce que cela nous procure un gain immédiat, mais parce que cela renforce des liens avec des pays qui pourront être nos alliés dans d’autres conflits ou notre pouvoir d’influence dans certaines régions. Pensez par exemple à la guerre de Crimée”
Et là, c’est votre exemple qui n’illustre pas votre affirmation, l’intérêt à court terme de la France dans ce conflit et de mettre fin une bonne fois pour tout au système de la sainte alliance dont les reliquats sont défendus par la Russie. De même, il est impératif pour les Français comme pour les Anglais d’empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes.
Vous voyez, même en prenant votre exemple je peux vous identifier facilement les intérêts à long et à court termes, avec des acteurs et des positionnements identifiés, de la France de se lancer dans ce conflit, chose que vous êtes incapable de faire pour votre petite croisade morale en Palestine.
“Vous vous trompez, c’est avec des “si” qu’on fait de la géopolitique, justement…”
Ah ça, c’est sûr que lorsqu’on ne veut voir que ce qui arrange le petit film que l’on se fait dans sa tête et qu’on tord la réalité pour que cela y corresponde, alors tout devient possible…
@ Lingons
[“Lorsque la France s’engage dans la guerre de 30 ans, c’est essentiellement pour des intérêts de court terme.” Absolument pas, renseignez-vous sur le sujet avant de sortir de telles affirmations, la France s’engage dans ce conflit avec pour objectif principal de réduire la puissance des Habsbourg et particulièrement de la branche espagnole avec qui elle est en conflit depuis 1 siècle, c’est du court terme ça ?]
Oui. Et le fait que le conflit durait déjà depuis un siècle vous montre que le danger auquel la France faisait face en s’engageant dans le conflit était un danger IMMEDIAT, et non une spéculation sur un danger à venir à long terme. Vous confondez ici deux choses : ce n’est pas parce qu’une guerre dure longtemps que les intérêts en jeu sont des intérêts à long terme. Par ailleurs, contrairement à ce que vous semblez penser la guerre de 30 ans n’est pas une guerre au sens moderne du terme, avec des combats entre des belligérants bien déterminés poursuivant des buts de guerre précis, qui ont duré toute la période. La guerre de 30 ans, c’est la dénomination choisie pour regrouper des conflits successifs qui se sont étalés entre des alliances changeantes, avec des buts de guerre eux aussi divers.
[Et là, c’est votre exemple qui n’illustre pas votre affirmation, l’intérêt à court terme de la France dans ce conflit et de mettre fin une bonne fois pour toutes au système de la sainte alliance dont les reliquats sont défendus par la Russie. De même, il est impératif pour les Français comme pour les Anglais d’empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes.]
Et dans les deux cas, quel est le gain « à court terme » ? Empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes n’apporte aucun gain de court terme à la France, à supposer même que cela apporte un gain du tout. Même chose pour la fin de la « sainte alliance ». Dans les deux cas, ce sont des avantages stratégiques dont les effets ne se font sentir qu’à long terme, à supposer que ces effets soient patents. Mon exemple illustre donc parfaitement mon commentaire : un pays qui prétend à la puissance ne s’engage pas seulement dans des conflits qui lui offrent un gain immédiat ou à court terme, mais aussi dans des conflits qui lui permettent de gagner des avantages stratégiques et des alliances…
[Vous voyez, même en prenant votre exemple je peux vous identifier facilement les intérêts à long et à court termes,]
Vous n’avez identifié aucun intérêt « à court terme » dans mon exemple…
[“Vous vous trompez, c’est avec des “si” qu’on fait de la géopolitique, justement…” Ah ça, c’est sûr que lorsqu’on ne veut voir que ce qui arrange le petit film que l’on se fait dans sa tête et qu’on tord la réalité pour que cela y corresponde, alors tout devient possible…]
C’est vous qui ne voulez pas voir la réalité. La géopolitique, c’est justement l’art d’élaborer des scénarios et des hypothèses par nature invérifiable. Prenez par exemple cette théorie selon laquelle la Russie bénéficierait d’un avantage stratégique en ayant accès aux « mers chaudes ». Cette théorie, qui date du XIXème siècle, n’a jamais été vérifiée. Elle repose sur des scénarios et des hypothèses de ce que la Russie pourrait faire si elle avait un tel accès, et ces scénarios et hypothèses n’ont jamais été vérifiés, puisque la Russie n’a jamais eu un tel accès. Que ferait-elle si elle avait un accès aux mers chaudes ? Aucun fait ne nous permet de le dire, nous n’avons que des hypothèses. C’est donc bien sur des « si » que depuis plus d’un siècle les puissances occidentales investissent des moyens pour empêcher la Russie de gagner un tel accès…
Pour juger de l’intérêt qu’on aurait à s’engager dans le conflit du moyen orient, nous n’avons d’autre moyen que de faire des scénarios et des hypothèses sur les conséquences éventuelles d’un tel choix – et accessoirement, sur les conséquences éventuelles du choix contraire. Que cela vous plaise ou non, la politique en général et la géopolitique en particulier ne sont pas des sciences exactes, et vous n’avez pas la possibilité de faire fi du « petit film qu’on se passe dans la tête »…
Je ne peux que souscrire à cette formule. A des élèves qui me demandaient pourquoi ça se passait “bien” dans mes classes, et “mal”, par exemple, chez ma collègue d’histoire, je le leur ai raconté mes cours de latin en classes préparatoires. Nous arrivions à peine que notre professeur nous donnait une version que nous avions à rendre à la fin de l’heure. A chaque cour. Et tandis que nous traduisions péniblement Sénèque ou Cicéron, notre maître faisait cours… et nous étions tenus de retenir ce qu’il disait : il nous interrogeait en colle à ce sujet. Je n’ai JAMAIS senti à quel point on faisait confiance à notre intelligence que dans ses cours, et c’est pour moi un modèle que j’ai bien du mal à imiter… mais je m’y efforce.
Je suis persuadé que les élèves sentent très bien, à défaut de le comprendre, lorsqu’on fait confiance à leur intelligence à force d’exigence. Il est d’usage dans mon métier de prétendre que les enfants n’ont aucune limite (et qu’un Rimbaud se cache derrière le dernier des cancres), avant de les traiter comme des idiots. A mon avis, c’est l’inverse : les enfants sont intelligents, mais limités ; mais il faut toujours parier sur leur intelligence, ne serait-ce que pour les forcer à toucher à leurs propres limites, en espérant que, l’orgueil aidant, ils suivent nos conseils pour les repousser.
@ Louis
[Je suis persuadé que les élèves sentent très bien, à défaut de le comprendre, lorsqu’on fait confiance à leur intelligence à force d’exigence. Il est d’usage dans mon métier de prétendre que les enfants n’ont aucune limite (et qu’un Rimbaud se cache derrière le dernier des cancres), avant de les traiter comme des idiots. A mon avis, c’est l’inverse : les enfants sont intelligents, mais limités ; mais il faut toujours parier sur leur intelligence, ne serait-ce que pour les forcer à toucher à leurs propres limites, en espérant que, l’orgueil aidant, ils suivent nos conseils pour les repousser.]
Je suis à cent pour cent d’accord avec vous, mais mon point n’était pas celui-là. Pendant très longtemps, on a attribué les maux de la société – racisme, intolérance, xénophobie – à l’ignorance. Pour les idéalistes, des Lumières aux années 1970, homme savant et cultivé, usant de sa raison, ne pouvait qu’être tolérant, ouvert, pénétré de vertus républicaines puisque la République est fondée sur la Raison. Il y a dans cet idéalisme sans doute excessif une confiance absolue dans l’intelligence des gens. Et c’est cette confiance qui a disparu. On part au contraire de l’idée que ce n’est pas parce qu’on transmet des connaissances et des méthodes de raisonnement que les individus arriveront aux « bonnes » conclusions. Plutôt que de leur enseigner l’histoire, la philosophie, les sciences, et les laisser tirer leurs propres conclusions il faut donc leur bourrer le crâne pour s’assurer qu’ils ont en tête les « bonnes » idées.
@Descartes:
[Combien de nos intellectuels, combien de nos hommes politiques se sont contentés de répéter « il faut une solution à deux états » alors même que les Israéliens faisaient tout ce qu’il faut pour qu’une telle solution devienne impossible sans que personne ne bouge le petit doigt ?]
Si cette solution est devenue impossible favorisez-vous la liquidation d’Israël ou celle de la Palestine ? Il semble bien qu’une fois posée cette impossibilité vous n’ayez plus qu’à choisir votre nettoyage préféré. Raison pour laquelle je suppose la solution à deux états est une carte forcée dans les discours de tous ces gens. Trump propose à tous les palestiniens de devenir des garçons d’hôtel apatrides et des postes de danseuses du ventre aux palestiniennes, mais ça ne fait pas très sérieux.
@ GEO
[« Combien de nos intellectuels, combien de nos hommes politiques se sont contentés de répéter « il faut une solution à deux états » alors même que les Israéliens faisaient tout ce qu’il faut pour qu’une telle solution devienne impossible sans que personne ne bouge le petit doigt ? » Si cette solution est devenue impossible favorisez-vous la liquidation d’Israël ou celle de la Palestine ? Il semble bien qu’une fois posée cette impossibilité vous n’ayez plus qu’à choisir votre nettoyage préféré.]
L’autre option est celle d’un état unique dans lequel les deux populations coexisteront. Et à long terme, je pense que ce sera l’aboutissement du processus. Je vais même aller plus loin : je pense qu’Israël aura de plus en plus de mal à préserver une « identité juive ». La crispation de la droite nationaliste, avec l’inscription récente dans les textes du fait qu’Israël est un « état juif » montre qu’une partie de l’opinion israélienne est très consciente de ce risque. Il y a une double problématique démographique : d’une part, l’immigration juive vers Israël tend à diminuer, et surtout l’émigration tend à devenir très importante, notamment parmi les jeunes les plus diplômés. Le poids étouffant des ultra-orthodoxes, la droitisation et la violence de la vie publique, l’état de guerre permanent contribuent fortement à ce mouvement. Le gouvernement israélien garde un secret absolu sur les chiffres de l’émigration, mais on estime le solde migratoire pour 2024 à -50.000 personnes, pour un pays qui fait 10 M d’habitants, soit 0,5% du total. C’est beaucoup, parce que la population des arabes israéliens a une fécondité légèrement plus importante que celle des juifs israéliens, ce qui fait mécaniquement augmenter leur poids. Et l’effet sera encore plus important si Israël annexait la Cisjordanie où Gaza, sauf à procéder à un « nettoyage ethnique » qu’il faudrait faire accepter par la communauté internationale.
D’autre part, se pose le problème de la main d’œuvre. Une partie de l’économie israélienne repose sur la main d’œuvre palestinienne, et c’est pourquoi un « nettoyage ethnique » de la Cisjordanie poserait des sérieux problèmes. Pour briser cette dépendance, Israël recrute des travailleurs en nombre de plus en plus important dans certains pays d’Asie. A terme, ce processus créera des communautés non-juives qui demanderont leur place dans la société.